Près de 10 ans après la mort du journaliste Abdelhaï Beliardouh, victime de séquestration et de violence, la cour criminelle de Tébessa a acquitté, hier soir, les quatre accusés, dont le principal, Saâd Garboussi, à la grande stupéfaction des membres de sa famille et de la partie civile. L'acquittement ! L'acquittement pour quatre accusés ! Du tribunal correctionnel à celui criminel, dix ans après, pour en arriver là ! Le verdict tombe comme un couperet vers 23h ! La deuxième mort de Abdelhaï Beliardouh, dit Azza ! D'abord, revenons à la plaidoirie du collectif des avocats de la partie civile. Ainsi, après Me Soudani Zoubeir, Me Bourayou Khaled a entamé la sienne en relevant un point important : le rejet par la Cour suprême de la correspondance qu'il (l'avocat) avait adressée au procureur général de cette institution au nom des parties civiles et dans laquelle il sollicitait le renvoi du dossier devant une autre juridiction compte tenu des pressions et tensions pesant sur le dossier par l'accusé principal Saâd Garboussi qui, en sa qualité de président de la Chambre de commerce et d'industrie de Tébessa, exerçait et n'en continue pas moins de le faire une grande influence sur aussi bien l'environnement que sur le dossier lui-même. Cette demande exprimait les craintes de la partie civile.
Selon l'avocat de la partie civile, la découverte de la disparition de documents déterminants mettant en exergue la responsabilité pénale des accusés vient confirmer les doutes des parties civiles. Il mettra aussi l'accent sur la procédure d'instruction en la forme criminelle, qui a été effectuée en l'absence de ces documents, notamment le rapport préliminaire de la police judiciaire concernant l'audition des mis en cause et des témoins (la copie presque illisible n'a été récupérée que le 12 novembre dernier) et le PV de Adel Sayed, témoin à charge. Il a aussi relevé des insuffisances criantes quant à la procédure de l'instruction qui a toléré l'audition des témoins à décharge une année et demie après la mort de Beliardouh. Et le comble, c'est qu'ils ont été auditionnés à la demande de Garboussi le 3 août 2003. Il a cité dans cet ordre d'auditions, celle d'un témoin qui a déclaré que Beliardouh lui aurait demandé de faire un témoignage contre Garboussi, confirmant les sévices et tortures que le journaliste avait subis. La déclaration de ce témoin devant le juge d'instruction et à la barre a été faite après la mort de Beliardouh.
Il dira : «Ces violations flagrantes de la procédure auraient dû susciter une enquête administrative de la chancellerie, attirer l'attention du ministère public et la chambre d'accusation.» Par ailleurs, Me Bourayou Khaled a décortiqué les énigmes du dossier. L'enlèvement, la séquestration et les sévices subis par Beliardouh s'expliquent par la volonté de Garboussi de chercher à savoir quelles étaient la ou les sources de l'article en question. Selon lui, le fallacieux prétexte consistant en l'assistance de Beliardouh pour la confection du démenti ne tient pas la route en ce qu'elle ne suppose par le recours à la violence. Aussi, ajoutera-t-il, Beliardouh a fait réellement l'objet d'enlèvement comme le confirment cinq témoins à charge. «Il a été bousculé, giflé et traîné par Sâad Garboussi, président de la Chambre de commerce et d'industrie de Tébessa, de l'intérieur du kiosque à la rue, où l'attendaient trois autres personnes y (la Chambre) officiant, autrement dit les autres accusés, dans une voiture de marque Daewo de couleur verte», plaidera-t-il. Beliardouh a été forcé de s'engouffrer dans la voiture et conduit au bureau du centre commercial de Garboussi, où son interrogatoire a été fait sous l'œil d'une caméra. D'ailleurs, «dans sa déclaration, Beliardouh soutenait qu'il a été torturé et fait l'objet de tentative d'agression physique, que le rapport de police a qualifié d'agression corporelle», poursuivra Me Bourayou. Une fois cet interrogatoire terminé, Beliardouh a été soumis à un autre mené par un policier à la retraite spécialisé dans les procédures d'interrogatoire. Le journaliste a été conduit à travers les principaux points de la ville de Tébessa pour être présenté comme un trophée. « A partir de ce moment, la vie de Beliardouh a basculé et son suicide ne peut s'expliquer que par la purification de son corps de la souillure dont il a fait l'objet», conclut Me Bourayou.
C'est terrible ce qui s'est passé, une affaire de ce qui pourrait être qualifié, non pas d'absence, mais carrément d'éloignement de témoins (à charge s'entend). Pourtant, comme on le sait, la loi donne un très grand pouvoir discrétionnaire au président du tribunal criminel, en l'occurrence Abdallah Gouaïdia, qui aurait pu faire venir les témoins à charge par la force publique, s'il l'avait voulu. Quant à Me Ali Meziane, il a relevé les contradictions des témoins dont certains n'ont pas été entendus par la police judiciaire et dont les dépositions sont intervenues une année et demie après la mort de Beliardouh. Il a développé qu'il y a d'une part l'enlèvement qui est un crime puni par l'article 291 aliéna 1 et qu'il y a lieu de le distinguer de la séquestration tel prévu par l'article 294 aliéna 1. Le réquisitoire était très pertinent. Après un rappel du contrôle exercé sur la police judiciaire afin d'éviter toute atteinte aux libertés individuelles et collectives, le procureur général a démontré que les actes des accusés portent une grave atteinte à la liberté d'expression eu égard à la qualité de journaliste de la victime (le défunt Beliardouh). Rappelant aussi les dispositions de la Constitution relatives aux libertés, il a souligné la gravité des faits qui ont eu lieu de manière préméditée, concertée, et au moyen de deux véhicules. Il a surtout insisté sur un point : les faits constituent une arrestation de la victime par les accusés, sans aucune qualité, de manière arbitraire et constitutive d'un crime flagrant au sens de l'article 41 du code de procédure pénal et qui requiert la qualification d'enlèvement par application de l'article 291 du code pénal, et par conséquent, 10 ans de prison pour chacun des accusés. La défense des accusés a mis l'accent sur l'ignorance de Garboussi Saâd et son illettrisme, qui l'ont ainsi conduit à exiger d'un journaliste de révéler la source de ses écrits. Elle explique que les actes de ses clients ne visaient qu'à obtenir de Beliardouh son assistance pour formuler le démenti et les aider à le faire paraître. D'aucuns disent que l'on a assisté à un cabotinage pathétique, tragique. Quoi qu'il en soit, les parties civiles ont décidé de se pourvoir en cassation, et l'on s'attend au pourvoi du procureur général.