Verdict de l'affaire Beliardouh-El watan-Garboussi La justice cède à la mafia locale El Watan le 13.12.12 Près de 10 ans après la mort du journaliste Abdelhaï Beliardouh, victime de séquestration et de violence, la cour criminelle de Tébessa a acquitté, hier soir, les quatre accusés, dont le principal, Saâd Garboussi, à la grande stupéfaction des membres de sa famille et de la partie civile. L'acquittement ! L'acquittement pour quatre accusés ! Du tribunal correctionnel à celui criminel, dix ans après, pour en arriver là ! Le verdict tombe comme un couperet vers 23h ! La deuxième mort de Abdelhaï Beliardouh, dit Azza ! D'abord, revenons à la plaidoirie du collectif des avocats de la partie civile. Ainsi, après Me Soudani Zoubeir, Me Bourayou Khaled a entamé la sienne en relevant un point important : le rejet par la Cour suprême de la correspondance qu'il (l'avocat) avait adressée au procureur général de cette institution au nom des parties civiles et dans laquelle il sollicitait le renvoi du dossier devant une autre juridiction compte tenu des pressions et tensions pesant sur le dossier par l'accusé principal Saâd Garboussi qui, en sa qualité de président de la Chambre de commerce et d'industrie de Tébessa, exerçait et n'en continue pas moins de le faire une grande influence sur aussi bien l'environnement que sur le dossier lui-même. Cette demande exprimait les craintes de la partie civile. Selon l'avocat de la partie civile, la découverte de la disparition de documents déterminants mettant en exergue la responsabilité pénale des accusés vient confirmer les doutes des parties civiles. Il mettra aussi l'accent sur la procédure d'instruction en la forme criminelle, qui a été effectuée en l'absence de ces documents, notamment le rapport préliminaire de la police judiciaire concernant l'audition des mis en cause et des témoins (la copie presque illisible n'a été récupérée que le 12 novembre dernier) et le PV de Adel Sayed, témoin à charge. Il a aussi relevé des insuffisances criantes quant à la procédure de l'instruction qui a toléré l'audition des témoins à décharge une année et demie après la mort de Beliardouh. Et le comble, c'est qu'ils ont été auditionnés à la demande de Garboussi le 3 août 2003. Il a cité dans cet ordre d'auditions, celle d'un témoin qui a déclaré que Beliardouh lui aurait demandé de faire un témoignage contre Garboussi, confirmant les sévices et tortures que le journaliste avait subis. La déclaration de ce témoin devant le juge d'instruction et à la barre a été faite après la mort de Beliardouh. Il dira : «Ces violations flagrantes de la procédure auraient dû susciter une enquête administrative de la chancellerie, attirer l'attention du ministère public et la chambre d'accusation.» Par ailleurs, Me Bourayou Khaled a décortiqué les énigmes du dossier. L'enlèvement, la séquestration et les sévices subis par Beliardouh s'expliquent par la volonté de Garboussi de chercher à savoir quelles étaient la ou les sources de l'article en question. Selon lui, le fallacieux prétexte consistant en l'assistance de Beliardouh pour la confection du démenti ne tient pas la route en ce qu'elle ne suppose par le recours à la violence. Aussi, ajoutera-t-il, Beliardouh a fait réellement l'objet d'enlèvement comme le confirment cinq témoins à charge. «Il a été bousculé, giflé et traîné par Sâad Garboussi, président de la Chambre de commerce et d'industrie de Tébessa, de l'intérieur du kiosque à la rue, où l'attendaient trois autres personnes y (la Chambre) officiant, autrement dit les autres accusés, dans une voiture de marque Daewo de couleur verte», plaidera-t-il. Beliardouh a été forcé de s'engouffrer dans la voiture et conduit au bureau du centre commercial de Garboussi, où son interrogatoire a été fait sous l'œil d'une caméra. D'ailleurs, «dans sa déclaration, Beliardouh soutenait qu'il a été torturé et fait l'objet de tentative d'agression physique, que le rapport de police a qualifié d'agression corporelle», poursuivra Me Bourayou. Une fois cet interrogatoire terminé, Beliardouh a été soumis à un autre mené par un policier à la retraite spécialisé dans les procédures d'interrogatoire. Le journaliste a été conduit à travers les principaux points de la ville de Tébessa pour être présenté comme un trophée. « A partir de ce moment, la vie de Beliardouh a basculé et son suicide ne peut s'expliquer que par la purification de son corps de la souillure dont il a fait l'objet», conclut Me Bourayou. C'est terrible ce qui s'est passé, une affaire de ce qui pourrait être qualifié, non pas d'absence, mais carrément d'éloignement de témoins (à charge s'entend). Pourtant, comme on le sait, la loi donne un très grand pouvoir discrétionnaire au président du tribunal criminel, en l'occurrence Abdallah Gouaïdia, qui aurait pu faire venir les témoins à charge par la force publique, s'il l'avait voulu. Quant à Me Ali Meziane, il a relevé les contradictions des témoins dont certains n'ont pas été entendus par la police judiciaire et dont les dépositions sont intervenues une année et demie après la mort de Beliardouh. Il a développé qu'il y a d'une part l'enlèvement qui est un crime puni par l'article 291 aliéna 1 et qu'il y a lieu de le distinguer de la séquestration tel prévu par l'article 294 aliéna 1. Le réquisitoire était très pertinent. Après un rappel du contrôle exercé sur la police judiciaire afin d'éviter toute atteinte aux libertés individuelles et collectives, le procureur général a démontré que les actes des accusés portent une grave atteinte à la liberté d'expression eu égard à la qualité de journaliste de la victime (le défunt Beliardouh). Rappelant aussi les dispositions de la Constitution relatives aux libertés, il a souligné la gravité des faits qui ont eu lieu de manière préméditée, concertée, et au moyen de deux véhicules. Il a surtout insisté sur un point : les faits constituent une arrestation de la victime par les accusés, sans aucune qualité, de manière arbitraire et constitutive d'un crime flagrant au sens de l'article 41 du code de procédure pénal et qui requiert la qualification d'enlèvement par application de l'article 291 du code pénal, et par conséquent, 10 ans de prison pour chacun des accusés. La défense des accusés a mis l'accent sur l'ignorance de Garboussi Saâd et son illettrisme, qui l'ont ainsi conduit à exiger d'un journaliste de révéler la source de ses écrits. Elle explique que les actes de ses clients ne visaient qu'à obtenir de Beliardouh son assistance pour formuler le démenti et les aider à le faire paraître. D'aucuns disent que l'on a assisté à un cabotinage pathétique, tragique. Quoi qu'il en soit, les parties civiles ont décidé de se pourvoir en cassation, et l'on s'attend au pourvoi du procureur général. ====================================================================== Farouk Ksentini, avocat de Garboussi : Les journalistes présents au procès ont été très surpris d'apprendre que Garboussi avait pour avocat Me Farouk Ksentini, qui occupe la fonction de président de la commission consultative des droits de l'homme. Maître Ksentini s'est chargé des pourvois en cassation. Garboussi a utilisé les services de cet avocat très proche du président Abdelaziz Bouteflika. L'acquittement était assuré. =========================================================== Déclarations des avocats de la partie civile : Me Zoubeir Soudani «Je pense que nous avons vécu à travers ce procès une situation totalement biaisée, et à la réflexion, je m'interroge s'il ne s'agit pas là d'un véritable cas d'école de subornation de témoins. En effet, deux témoins oculaires, qui ont été entendus par la police et qui ont relaté dans le détail les actes de violence suivis d'enlèvement au moyen de voitures, se sont abstenus par la suite de répondre aux convocations du juge d'instruction, qui a été obligé de délivrer à leur encontre des mandats d'amener. Bizarrement, des témoins se sont présentés plus d'une année après les faits et 10 mois après la mort de Beliardouh, de manière spontanée devant le juge d'instruction pour déclarer que Beliardouh leur aurait demandé de faire un faux témoignage à son bénéfice. Lors de ce procès, nous n'avons entendu que les témoins cités par les avocats des accusés. Enfin, on ne peut pas ne pas s'interroger sur les raisons de l'absence de quatre témoins à charge, qui ont été entendus par la police et qui ont relaté par le menu détail l'enlèvement de Beliardouh. On ne peut pas ne pas être interpellé par la supposée amnésie de deux témoins à charge, qui ont la qualité de journalistes. Je reste perplexe quand je me rappelle que ces derniers, dans le cadre de l'association des correspondants de Tébessa, avaient fait appel au wali et au ministère de l'Intérieur, le 23 juillet 2002, pour qu'ils soient autorisés à porter des armes eu égard aux dangers auxquels ils s'estimaient être exposés. En définitive, le mot à retenir de ce procès est celui transmis par Beliardouh lui-même le 21 juillet 2002 tel que rapporté par un témoin lors de ce procès : Garboussi est trop puissant.» Me Bourayou Khaled «L'acquittement de Garboussi et de ses subalternes intervient dans un contexte de procédures, qui se caractérise par des violations flagrantes et des omissions graves marquant un dossier qui a mis une dizaine d'années pour aboutir à ce procès. Un dossier duquel ont disparu des pièces déterminantes qui, comme par hasard, incriminent les accusés tant par la véracité des faits que par les preuves qu'elles comportent. De ces pièces extirpées volontairement du dossier de la procédure, je cite le rapport préliminaire de police qui conclut à l'existence de violences sur la personne de Beliardouh lors de son enlèvement et de sévices et tortures durant sa séquestration où il avait fait l'objet d'une tentative d'agression corporelle touchant à son honneur. Ces faits graves de procédure, qui auraient dû faire l'objet d'une enquête de l'inspection gênerale, n'ont pas résisté et encore moins influé sur cette décision d'acquittement. Beliardouh a fait l'objet d'un acte de justice privée de la part de Garboussi. Par cet acquittement, la justice légale lui donne raison. Beliardouh avait confié à un de ses confrères lui proposant de déposer plainte contre Garboussi que ce dernier est puissant. A titre posthume, l'acquittement de son séquestreur lui donne raison. C'est son unique satisfaction dans ce procès. Les journalistes qui ont pu s'échapper des mains des terroristes sont aujourd'hui confrontés à la puissance des notables pour ne pas dire des féodalités locales. Le défunt Beliardouh est la première victime de cette nouvelle tragédie.»