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Je voulais rendre hommage à la structure des nouvelles S.F. des années 50
Amine Sidi-Boumèdine. Réalisateur
Publié dans El Watan le 14 - 12 - 2012

Deuxième participation au FOFA avec L'Ile, court métrage récemment récompensé au Festival de Dubaï, en qualité de meilleur film arabe.
-C'est votre deuxième participation au FOFA, après la projection de Demain, Alger en 2011. Cette année, vous avez appris votre sélection par voie de presse. Quel genre de positionnement peut-on avoir face à ce genre de configuration ?
Nous avons effectivement appris notre sélection par voie de presse, sans qu'aucun responsable n'ait daigné nous signifier cette sélection par mail. Je ne parle même pas d'invitation, officielle ou non. Pour résumer, nous n'avons eu aucun contact avec quiconque impliqué de près ou de loin dans l'organisation de ce Festival. Pour couronner le tout, le catalogue du FOFA a été édité et la page présentant L'Ile contient des photos utilisées sans aucune autorisation et plusieurs erreurs facilement évitables si on nous avait consultés au préalable (ce qui se fait d'ailleurs dans tous les festivals du monde). Nous sommes aujourd'hui le 11 décembre et toujours aucune nouvelle !
-Vous venez avec L'Ile, un second film. Vous pénétrez dans le genre communément appelé «film d'anticipation». Mais ce film donne tout simplement une vision personnelle de la ville d'Alger, comme si elle devenait la capitale de la douleur discrète...
Le film joue un peu avec les codes de l'anticipation, puisqu'il présente, dans sa première partie, une ville vidée de ses habitants et peuplée d'immeubles et de maisons en déliquescence, éléments qui peuvent donner l'idée qu'on se trouve dans une ville fantôme, et dans un futur plus ou moins proche - une façon aussi de jouer avec les propres codes du spectateur, pour qui «post-apocalypse» veut forcément dire «futuriste». C'est aussi une façon de donner ma propre vision d'Alger . une ville abandonnée par ces habitants «d'origine» (les Français vivant dans les quartiers de Saint-Eugène, Bab Azzoun, etc.) mais qui continue d'être habitée par d'autres occupants (nous, Algériens).
Le parallèle devient frappant quand ce monde que l'on croit ancré dans un futur post apocalyptique devient tout simplement le monde réel d'aujourd'hui, quand de la nuit noire émerge la vie, le soleil, la communauté... et que l'on se rend compte que cette ville est plus vivante, plus palpitante que jamais, mais peuplée de fantômes, d'ombres et de «comptes non réglés». Je trouvais très intéressant de faire ressentir les choses de cette façon, au lieu de l'habituelle carte postale mensongère présentée autant dans certains films que dans le fait que les seules parties de la ville aujourd'hui restaurées se situent comme par hasard sur les «trajets officiels» et les sites gouvernementaux. Une manière de briser la vitrine mais également de mettre en avant les quartiers que je préfère, les plus populaires et - ne soyons pas faux culs - ceux qui me semblaient les plus «cinégéniques». C'est en effectuant de très nombreux repérages que j'ai pu intégrer la vraie population qui peuple ces lieux, celle qui se cache pour vivre...
-Il y a peut-être deux parties. Paradoxalement, la première n'annonce pas la seconde. Il y a une dichotomie entre les deux instants qui donnent au film un sentiment d'inachevé. On sent que le film que vous souhaitiez faire se trouve dans ce temps suspendu de la première partie.
Sans doute oui il existe deux parties bien distinctes et cette distinction, quoique risquée, m'a tout de suite parue évidente. Après la solitude, le personnage rencontre un «passeur» et je tenais absolument à ce que la scène de dialogues entre eux soit la plus simple possible, puisqu'elle n'a qu'un seul but . une transmission d'informations. Le café - et à plus forte raison la petite pièce de la fin - est pour moi comme un sas de décompression, un centre de «transit» comme on peut en trouver dans les circuits d'immigration illégale. On ne lâche jamais le point de vue du personnage, qui parfois se confond avec le mien propre (la première partie - de loin la plus intéressante logiquement), ou s'en éloigne (la seconde - qui est également le sas de décompression du film, avant que le récit ne redevienne réaliste) selon que la situation colle ou non avec mes propres expériences d'exilé.
Par ailleurs, le film étant fortement sous l'influence des écrits de Ray Bradbury, je voulais reprendre et rendre hommage à la structure même des nouvelles S.F. des années 50, celles que je lisais pendant mon enfance. Partant d'une première partie mystérieuse, elles se poursuivent en une seconde partie plus courte et «classique» (propice aux explications sommaires), avant de se terminer dans un questionnement et un temps suspendu (avec cette sensation de ne pas savoir exactement comment le reste de l'histoire va se dérouler). Ce sentiment d'inachèvement dont vous parlez vient sans doute de là, mais pour moi, l'histoire de cet homme s'arrête bel et bien ici puisque son but est atteint . retrouver une nouvelle communauté, une nouvelle lumière. Le reste ne me regarde pas ; le reste est à inventer par le spectateur lui-même, à condition qu'il n'ait pas renoncé à rêver...
-Il y a peut-être deux parties. Paradoxalement, la première n'annonce pas la seconde. Il y a une dichotomie entre les deux instants qui donnent au film un sentiment d'inachevé. On sent que le film que vous souhaitiez faire se trouve dans ce temps suspendu de la première partie…
Sans doute oui, il existe deux parties bien distinctes. Cette distinction, quoique risquée, m'a tout de suite parue évidente. Après la solitude, le personnage rencontre un «passeur» et je tenais absolument à ce que la scène de dialogue entre eux soit la plus simple possible, puisqu'elle n'a qu'un seul but : une transmission d'informations. Le café – et à plus fort raison la petite pièce de la fin – est pour moi comme un sas de décompression, un centre de «transit» comme on peut en trouver dans les circuits d'émigration illégale. On ne lâche jamais le point de vue du personnage, qui parfois se confond avec le mien propre (la première partie est de loin la plus intéressante logiquement), ou s'en éloigne (la seconde - qui est également le sas de décompression du film, avant que le récit ne redevienne réaliste), selon que la situation colle ou non avec mes propres expériences d'exilé.
D'autre part, le film étant fortement sous l'influence des écrits de Ray Bradbury, je voulais reprendre et rendre hommage à la structure même des nouvelles S.F. des années 1950, celles que je lisais pendant mon enfance. Partant d'une première partie mystérieuse, elles se poursuivent en une seconde partie plus courte et «classique» (propice aux explications sommaires), avant de se terminer dans un questionnement et un temps suspendu (avec cette sensation de ne pas savoir exactement comment le reste de l'histoire va se dérouler). Ce sentiment d'inachevé dont vous parlez vient sans doute de là. Mais pour moi l'histoire de cet homme s'arrête bel et bien ici, puisque son but est atteint : retrouver une nouvelle communauté, une nouvelle lumière. Le reste ne me regarde pas ; le reste est à inventer par le spectateur lui-même, à condition qu'il n'ait pas renoncé à rêver...
-Comment le sujet est venu vers vous ?
Je ne sais pas comment les idées me viennent, mais je sais une chose, j'avais besoin d'explorer un univers autre, nouveau, de préférence fantastique, avec une évocation du temps, tout en développant une idée S.F. originale (un voyage dans le temps qui n'aurait pas comme but le changement du passé ou l'influence sur l'histoire du monde). Le sujet du film reste l'exil mais l'exil sous toutes ses formes : celui qui vous fait quitter votre «espace» d'origine et celui, plus violent car il n'y aucun retour possible, qui vous fait voyager dans le temps. Un symbole (très subtilement ajouté dans le dos du personnage principal) permet de lier ces deux concepts, celui du «labyrinthe».
C'est en effet un symbole spatial (un espace où l'on peut se perdre facilement) et un symbole temporel (les circonvolutions non linéaires du temps) Or, si notre personnage est un «vrai» voyageur du temps, son histoire est plus proche que l'on croit de ce que nous vivons nous-mêmes ; le temps passe et nous quittons le passé comme des voyageurs temporels, n'ayant pour seul refuge le présent que nous vivons. Il me faudrait plus de temps pour développer ces concepts, mais en gros le passé est le seul pays que l'on quitte et où il ne sera plus jamais possible de revenir. L'exil dans ce qu'il a de plus extrême, de plus frustrant...
-Entre Demain, Alger et L'Ile, il y a toujours cette idée d'une géographie que vous souhaitez explorer, comme si le puzzle algérien devenait une mise en scène ?
La géographie (en tant que labyrinthe) est en effet très importante dans L'Ile, un peu moins dans Demain, Alger. Dans ce dernier, ce sont les visages qui m'intéressent, car ce sont ceux de personnages encore maîtres de leur destin, même s'ils ne le savent pas encore. Rien n'est écrit pour eux, le choix est encore à faire. Leurs confrontations, leurs peurs, les infimes variations qui se nichent dans leurs regards sont autant d'indicateurs de leur indécision face à cet obscur destin. Il fallait donc traquer cette indécision, cette peur de mal faire, et surtout cette solitude que rien ne peut soulager (et encore moins le départ de celui qui «sait»). La ville reste hors champ, mais existe pleinement.
Dans L'Ile, bien au contraire, le personnage n'a aucune emprise sur son propre destin (au début du film, il est déjà scellé), et doit seulement se contenter de suivre le chemin qu'on lui a tracé, un peu comme une initiation. Son visage étant masqué (pour des raisons plus terre à terre de sécurité), il n'est qu'un anonyme perdu dans les méandres d'une ville dont la géographie doit être domptée au même titre que ses habitants par ce nouvel arrivant.
-Avec votre premier film, Demain, Alger, on sentait une forme de filmage épuré, où vous vidiez vos plans, vous tentiez une approche sensitive et cela donnait un aspect classique, dans le sens où l'image devenait élégante, posée et raffinée. Dans L'Ile, la situation est quasi similaire surtout dans cette première partie, où les déambulations de ce personnage énigmatique participent à ce classicisme…
C'est vrai que, formellement, j'ai toujours été fan des réalisateurs capables de «suspendre le temps», comme Kubrick, Kitano, Gus van Sant et bien d'autres... Le plan fixe n'est pas forcément le meilleur moyen d'y arriver, mais en ces temps où «porter la caméra à l'épaule» devient une norme, je ne suis pas sûr que «poser» sa caméra relève encore d'un classicisme démodé. Quoi qu'il en soit, je ne suis pas du genre à «théoriser» ma mise en scène. D'abord, parce que je n'ai pas fait assez de films pour avoir un style bien établi, ensuite parce que je suis dans un moment de ma vie où j'essaye d'abord de faire correspondre le fond et la forme, mon point de vue à celui des personnages. Or dans les deux films, le problème de la solitude, du temps suspendu, est central, car, d'après moi, il est également celui du pays tout entier : le fameux «calme avant la tempête» que l'on ressent tous, surtout après ce qui s'est passé dans les années 1990.
-Le film est intemporel. Le temps est dilaté. C'est un élément de mise en scène qui reflète un aspect du cinéma élégiaque. Il y a un parti pris de suivre ce personnage. En voyant cela, je songeais à une phrase du critique de cinéma Serge Daney qui disait : «Par moments, j'ai préféré marcher, c'est-à-dire parler avec mes jambes, plutôt que de parler, c'est-à-dire marcher avec ma bouche – mais au fond, c'est la même chose.» L'Ile, c'est un peu la retranscription visuelle de cette citation. Qu'en pensez-vous ?
J'aime beaucoup cette phrase de Serge Daney. Je ne sais pas si elle correspond à L'Ile, mais elle est en phase avec ma manière de rêver mes films. Avant d'écrire la moindre ligne, avant de «parler» avec mon stylo-ordinateur, je réfléchis énormément aux idées que je veux développer, même – et surtout – s'il s'agit de les «cacher» derrière une narration. Cette réflexion passe par la marche, par le parcours que me font suivre les rues d'une ville, car le rythme suivi donne son impulsion à l'esprit, le fait voyager afin de dépasser la réalité pour mieux la surplomber (le contraire de ce qui se passe lorsque l'on réfléchit sur la terrasse d'un café, regardant la vie passer devant soi, ce qui m'arrive également de faire).
La marche de cet homme, c'est avant tout la marche du rêveur, de celui qui découvre un nouveau monde – un monde presque Lovecraftien – du voyageur qui échoue sur une île dont il doit explorer les moindres recoins avant de s'y installer. Il existe effectivement un vrai parti pris (le «vrai» parti pris du film), celui de coller aux basques du personnage, de prendre le temps de le suivre, de goûter avec lui – et pendant un long moment – le silence qui pèse sur lui, et dont lui-même profite, venant visiblement d'un futur totalement ruiné et ravagé (ne dit-il pas qu'il «n'a pas vu de ville depuis longtemps ?»). Il y a toujours cette peur d'ennuyer le spectateur, mais cela ne m'a jamais empêché d'aller au bout de cette idée. Sa marche est celle du fantôme qui n'a pas encore croisé ceux qu'il vient hanter. Une vraie marche funèbre...


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