A la tête de l'AFREC depuis septembre 2004, Dr Hussein El Hag, de nationalité soudanaise, revient dans cet entretien sur la création de l'institution qu'il dirige, sa mission et ses objectifs, mais surtout sur les enjeux énergétiques du continent africain qui, de plus en plus, fait l'objet de convoitises des multinationales pétrolières. Un mot sur la commission... La commission africaine de l'énergie (AFREC) est le fruit d'une décision émanant de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) lors du sommet de Lusaka (Zambie) en juillet 2001. Cette institution a été créée pour répondre aux objectifs d'élaboration, d'identification et de lancement de grands projets énergétiques en Afrique à la fois dans le domaine pétrolier, gazier et d'électricité. Elle est aussi chargée de solutionner les problèmes liés aux conséquences de l'utilisation des sources énergétiques et à la pollution de l'environnement et de mettre en place des politiques et projets de coopération interafricains dans le domaine de la formation des ressources humaines dans différents secteurs énergétiques. L'énergie constitue aujourd'hui une composante indispensable à l'économie mondiale et aucun pays au monde ne peut être puissant économiquement s'il ne dispose pas de sources d'énergie. C'est pour cela qu'on assiste aujourd'hui à un conflit mondial pour s'accaparer des gisements de l'énergie. Ce qui ce passe en Irak en est l'exemple le plus édifiant. L'Afrique fait de plus en plus objet de convoitises des puissances mondiales pour faire main basse sur ses ressources gazières et pétrolières notamment dans la région du golfe de la Guinée, du Gabon et du Nigeria. D'après nos informations, les Etats-Unis importent aujourd'hui 15% de leurs besoins pétroliers d'Afrique et ils projettent d'augmenter ce pourcentage à 25% à l'horizon de 2010. L'Europe, pour sa part, prévoit de relier le continent aux pays de l'Afrique du Nord pour s'approvisionner en gaz, en pétrole mais aussi en électricité. C'est le cas également pour la Chine qui s'intéresse au pays de l'Afrique de l'Est. Devant ces convoitises avouées des puissances mondiales, le rôle de l'AFREC est justement de mettre une place un centre décision pour l'Afrique en matière d'énergie. Pourquoi une commission africaine de l'énergie ? L'OUA a été, dans le passé, la plus haute instance politique africaine regroupant l'ensemble des pays africains pour qui elle représentait le cadre privilégié de coordination et de coopération. L'idée de l'Union africaine (UA) est venue par la suite pour remplacer l'OUA dont les objectifs étaient considérés comme dépassés par le temps. Une Union africaine calquée sur le modèle de l'Union européenne notamment dans ses démembrements (parlement, commissions, conseils, organisations inter-européennes...). C'est dans ce cadre qu'est venue l'idée de créer une commission africaine de l'énergie dans la mesure où l'énergie représente un enjeu important. Il y a seulement 14 pays africains qui sont producteurs de pétrole, les 30 restants ne disposent pas de ressources énergétiques. La nécessité d'une commission africaine à l'énergie ne semble pas être partagée par plusieurs pays africains, en dénote le nombre réduit de pays ayant ratifié la convention de création de l'AFREC... Le retard accusé dans la ratification de cette commission est dû au fait que plusieurs pays n'ont pas encore pris conscience du rôle primordial de l'énergie, à l'absence d'une prise de conscience par rapport à l'importance de la coopération interrégionale et à la faiblesse de la volonté politique. Nous avons senti également, depuis la promulgation de la décision de création de l'Afrec en 2001, un relâchement de la part de certains pays africains à vouloir soutenir l'idée d'une commission de l'énergie. Lorsque j'ai pris mes fonctions en septembre en 2004, il y avait seulement quatre pays qui avaient ratifié la convention. Nous avons besoin de 15 ratifications pour la validation de la convention. Grâce à nos efforts et nos relations mais surtout à ceux du ministre de l'Energie algérien, Chakib Khelil, nous avons pu obtenir 15 ratifications. D'autres pays sont également en train de ratifier la convention en la soumettant à leurs instances législatives respectives. Lors du sommet de Khartoum en janvier dernier, les participants ont abordé cette question qui décidément ne concernait pas uniquement l'Afrec mais la plupart des autres conventions portant création d'autres organisations spécialisées de l'UA. Une décision a été prise appelant tous les pays africains à accélérer le processus de ratification de l'Afrec. En tant que directeur de l'Afrec, je voudrais à ce que chacun des pays africains, membre de l'UA, ratifie la convention. Quelles sont les actions entreprises par l'AFREC depuis sa création en 2001 ? Nous avons pu justement réaliser beaucoup de choses. Au cours des 20 mois derniers, depuis mon arrivée à ce poste, nous avons pu créer une large dynamique au sein du continent à travers notamment la participation aux nombreux congrès et ateliers dédiés à l'énergie et lancer un important travail de sensibilisation afin de démontrer la nécessité et l'intérêt d'une commission africaine de l'énergie. Une nécessité reconnue à la lumière des montées spectaculaires des prix du pétrole. Nous sommes également arrivés à mettre en place un système d'information pour l'énergie en Afrique. C'est un système fondamental dans lequel nous avons été aidés par l'Agence algérienne de l'énergie. Aucun plan, aucune stratégie ne peut être tracée sans une banque de données. Nous avons bien avancé dans ce projet. L'autre travail accompli par l'AFREC est celui de la mise en place d'un programme de formation et mise à niveau des compétences africaines dans le domaine de l'énergie. Nous avons programmé l'ouverture de cinq centres régionaux de formation dont l'IAP de Boumerdès pour les pays nord-africains francophones. Quelles sont les actions futures de l'AFREC ? Outre le programme de formation sur lequel nous comptons beaucoup pour former des compétences africaines capables de relever les défis du continent en matière d'énergie, nous avons un programme de réalisation de plusieurs projets énergétiques dans le domaine pétrolier, gazier et de l'électricité. C'est un programme de trois ans. Dans le domaine gazier, l'objectif essentiel réside surtout dans la mise en place d'un plan pour récupérer les gaz torche notamment dans la région du Golf de Guinée. Des millions de mètres cubes sont brûlés sans pour autant en tirer un bénéfice quelconque. Nous avons donc un plan pour récupérer ces gaz et les utiliser pour la production de l'électricité et la distribuer par la suite aux pays africains qui ont des problèmes d'électrification. Il y a aussi le projet du gazoduc transsaharien reliant le Nigeria à l'Algérie. S'agissant du domaine pétrolier, nous travaillons sur la création d'une organisation africaine regroupant à la fois les pays producteurs et consommateurs. Dans le domaine de l'électricité, nous projetons de réaliser plusieurs projets dont celui d'Inga dans le Congo démocratique. Ce projet est en mesure de produire l'équivalent de toute la production actuelle de l'Afrique en électricité. C'est un projet hydroélectrique produisant de l'électricité à partir des célèbres cascades d'Inga. Il représente un des principaux projets de l'AFREC et du NEPAD. Nous avons proposé la mise en place d'une commission internationale pour le financement et la réalisation de ce projet. Nous avons besoin de pas moins de 50 milliards de dollars pour concrétiser ce projet et de près de 30 000 miles de fil de haute tension pour transporter l'électricité aux quatre coins de l'Afrique. L'autre projet que nous considérons également comme important est celui de la réalisation de raffineries. Sur toute la côte ouest africaine, il n'y a qu'une seule raffinerie à Mombassa (Nairobi) d'une capacité de production de 20 000 barils/jour alimentant 5 pays (Kenya, Zambie, Burundi, Tanzanie et le Rwanda). Dans ce cadre, il y a un projet de raffinerie en collaboration avec l'organisation du Sahel et du Sahara (SS) basée en Libye. L'Afrec peut-elle constituer un lobby africain face aux convoitises de plus en plus avouées des multinationales pétrolières à l'égard des sources énergétiques en Afrique ? Nous savons bien que le seul souci des multinationales pétrolières est le gain. Ces derniers accaparent la grande part des bénéfices en laissant des miettes au pays africains. Nous avons attiré l'attention lors d'un congrès tenu à Johannesburg en octobre 2005 sur la question de la mise en place de capacités africaines en matière de prospection, de l'exploration et de production. Nous avons dit qu'il existe aujourd'hui des sociétés africaines expérimentées dans le domaine énergétique à l'instar de Sonatrach en Algérie, de SA en Afrique du Sud et d'autres sociétés au Nigeria et en Angola qui sont capables, en collaborant ensemble, à moderniser les capacités de prospection, de l'exploration, de production et de l'exportation en Afrique. Il y a plusieurs importants gisements africains qui ne sont pas exploités. Ce sont les nations africaines qui doivent en tirer profit et non pas les multinationales. Les pays africains doivent faire appel d'abord aux sociétés africaines dans l'exploration de leurs gisements. En un mot, les ressources énergétiques doivent profiter d'abord aux africains.