Hier matin, le président français a prononcé un discours très attendu au Palais des nations devant les deux chambres du Parlement. Monsieur le président de la République, Mesdames et Messieurs les parlementaires, c'est un honneur d'être reçu par vous, parlementaires des deux Chambres réunies, qui représentez le peuple algérien. Je mesure l'importance de l'événement.Car ma visite vient à un moment chargé de symboles et de sens. Il y a cinquante ans, l'Algérie accédait à l'indépendance. Et s'arrachait à la France après une guerre longue de huit ans. Elle devenait la République algérienne, libre et souveraine. Elle conquérait ce droit qui ne peut être refusé à aucun peuple : celui de pouvoir disposer de lui-même. Cinquante ans, c'est court à l'échelle de l'histoire. Et pourtant, quel chemin parcouru depuis 1962 ! L'Algérie aujourd'hui est un pays respecté sur la scène internationale qui compte et qui pèse. L'Algérie est un pays dynamique, dont les ressources sont considérables, dont l'économie est en développement. L'Algérie est un pays jeune, dont la moitié de la population à moins de 26 ans, et qui est donc plein de promesses. L'Algérie est aussi un pays courageux, il l'a prouvé après la terrible épreuve terroriste qu'il a traversée avec dignité et unité. A cette Algérie fière de son passé, consciente de ses forces et qui change et innove, j'adresse mes vœux de prospérité et de succès. La question qui est posée à nos deux pays, l'Algérie et la France, est simple : sommes-nous capables d'écrire ensemble une nouvelle page de notre histoire ? Je le crois, je le souhaite, je le veux. Nous en avons besoin. Nous ne partons pas de rien. Nous pouvons nous appuyer sur les liens humains, linguistiques, économiques qui unissent nos deux peuples. Mais cette amitié, pour vivre, pour se développer, doit s'appuyer elle-même sur un socle. Ce socle, c'est la vérité. Nous la devons à tous ceux pour qui notre histoire commune reste douloureuse, blessée, avec des cicatrices qui peinent 50 ans après à se refermer. Nous la devons à notre jeunesse qui attend de nous des engagements, des perspectives, un horizon. Rien ne se construit de solide sur la dissimulation, l'amnésie ou le déni. La vérité n'abîme pas : elle répare. Elle ne divise pas : elle rassemble. L'histoire, même quand elle est tragique, doit être dite. C'est l'ensemble du passé colonial que je veux regarder aujourd'hui avec lucidité, tel qu'il a été, tel qu'il a duré, tel qu'il a été enduré. Pendant 132 ans, l'Algérie a été soumise à un système profondément injuste, brutal et destructeur. Rien ne peut justifier les agressions commises contre la population algérienne, la négation de son identité et de son aspiration à vivre libre. Je reconnais ici les souffrances que le système colonial français a infligées au peuple algérien. Parmi ces souffrances, les massacres de Sétif, de Guelma et de Kherrata demeurent profondément ancrés dans la mémoire et dans la conscience des Algériens. A Sétif, le 8 mai 1945, le jour même où dans le monde triomphaient la liberté et la justice, la France manquait à ces valeurs universelles, celles qu'elle a contribué à faire éclore, celles de la République. La vérité doit être dite, de la même façon, sur les circonstances dans lesquelles l'Algérie s'est délivrée de ce système. Elle doit être dite sur la guerre d'Algérie, cette guerre que la France a mis tellement de temps à appeler par son nom. Nous devons le respect à toutes les mémoires. Et donc la vérité sur la violence, sur l'injustice, sur les souffrances, sur la torture. Connaître, et donc établir, la vérité est une incontournable obligation à laquelle Algériens et Français doivent contribuer ensemble. Dans cette perspective, il est évidemment nécessaire que les historiens aient accès aux archives. Une coopération dans ce domaine a déjà été engagée. Je souhaite qu'elle s'approfondisse et que les verrous sautent ; que, de part et d'autre, les ressentiments s'effacent ; que la paix des mémoires repose sur la connaissance du passé et non sur l'occultation de la mémoire. D'autant plus que notre histoire commune n'est pas faite uniquement de drames, d'oppressions et d'humiliations. C'est aussi une histoire humaine. Au-delà des oppositions et des fractures, au-delà même des blessures et des deuils, demeure la relation nouée par des Français d'Algérie – instituteurs, médecins, architectes, professeurs, artistes, commerçants, agriculteurs – avec le peuple algérien. Je me rendrai demain à Tlemcen, la ville de Messali Hadj, l'un des fondateurs du nationalisme algérien. Il évoque dans ses mémoires des Français d'Algérie avec qui ses rapports étaient caractérisés, dit-il, par «une réelle amitié et une véritable confiance». Il dit la force de ces relations simples, quotidiennes, naturelles, dont le souvenir nous appartient. Et je n'oublie pas ces milliers de coopérants qui ont, des années durant, prêté main forte à la nouvelle République algérienne. Cette histoire, c'est aussi celle des grandes consciences françaises qui ont su s'élever contre l'injustice de l'ordre colonial. Georges Clemenceau qui, dès 1885, trouva les mots pour dénoncer «l'abus pur et simple de la force pour s'approprier l'homme» ; André Mandouze qui demeura toute sa vie fidèle aux valeurs dont témoignait son engagement héroïque dans la Résistance ; Germaine Tillion qui fut la militante inlassable du dialogue entre les hommes et entre les peuples ; François Mauriac qui sut rappeler où résidait la véritable grandeur d'un peuple : non pas dans sa force brutale, qui le ramène à ce qu'il a de plus bas, mais dans la puissance de ses messages universels, qui l'élève au-dessus de lui-même ; Albert Camus qui dénonça l'humiliation coloniale et ne cessa jamais de croire que la raison et la justice pouvaient l'emporter sur la violence.
La conscience de l'histoire, c'est aussi la mémoire de ce moment singulier pendant lequel Alger fut la capitale de la France libre. Ici se trouva, pendant les années sombres, le refuge de l'honneur et de la liberté de mon pays. Avec le Général de Gaulle, à sa tête. Le même général de Gaulle qui en 1962 permit la signature des Accords d'Evian. Voilà ce qui nous rassemble. Voilà ce qui permettra à nos nations de se retrouver et d'avancer ensemble. Monsieur le président Bouteflika, le 8 mai dernier, à Sétif, vous appeliez à «une lecture objective de l'histoire, loin des guerres de mémoire et des enjeux conjoncturels, afin d'aider les deux parties à transcender les séquelles du passé douloureux pour aller vers un avenir où règnent confiance, compréhension, respect mutuel et partenariat bénéfique». Cette vision, je la fais mienne aujourd'hui. Mais entre le passé et l'avenir, il y a le présent. Il est fait de rapports exceptionnels entre l'Algérie et la France. Cette proximité n'est pas une incantation. Elle n'est pas une abstraction. Elle est une réalité, qui se fonde d'abord sur des liens intimes, profonds, uniques pour la France comme pour l'Algérie. Sur les 900 000 Algériens qui résident à l'étranger, 700 000, soit neuf sur dix, vivent en France. Et je sais combien tous ces apports d'immigration ont contribué à façonner la France telle qu'elle est aujourd'hui avec tant de jeunes Français nés de parents algériens et qui sont en famille ici, chez vous. Ils se sont engagés dans tous les domaines, dans l'économie, mais aussi le cinéma, le théâtre, la littérature, ou encore le sport ; et les Assemblées parlementaires françaises comptent aujourd'hui des élus d'origine algérienne. Près d'un million de Français sont nés en Algérie. Ils gardent ce pays dans leur cœur. Et au-delà il y a, chez trois à quatre millions de personnes en France un fonds commun de références, de passions, de traditions, d'émotions, liés à l'Algérie et qui, loin d'affaiblir la France, la renforcent. Ces citoyens ne doivent jamais douter de leur place dans la République. Face à la discrimination, à la xénophobie, je vous assure de ma détermination et de mon intransigeance. Je n'accepterai pas davantage que la religion musulmane puisse être stigmatisée. Je sais les craintes et les alarmes que ce sujet a suscitées ici, en Algérie. Aussi sachez-le : je ne laisserai l'ignorance ou la malveillance nuire à aucun de mes compatriotes du fait de sa religion. Et si le fondamentalisme doit être combattu, et le terrorisme éradiqué où qu'il soit, aucun amalgame, aucune confusion ne doit être entretenue. J'y veillerai au nom des valeurs que je porte. Mais la géographie aussi nous rapproche. La mer Méditerranée ne nous sépare pas. Elle nous unit. Elle nous confère des responsabilités communes. Elle est un espace politique, économique, diplomatique. Nous avons le devoir de développer des projets qui bénéficient directement aux populations des deux rives. Je souhaite que la France et l'Algérie y travaillent ensemble. De même que la France et l'Allemagne ont été, après la guerre tragique qui les avait opposées, le cœur de la construction de l'Europe, l'Algérie et la France peuvent construire l'unité méditerranéenne de demain. C'est une ambition que nous pouvons partager avec nos voisins. C'est pourquoi, j'ai souhaité que l'Union pour la Méditerranée soit réorientée vers la mise en œuvre de chantiers concrets pour les populations riveraines, dans les domaines de l'énergie, des transports, de l'éducation notamment. C'est ainsi que nous pourrons formuler ensemble un projet politique pour la Méditerranée. Mais nous avons aussi une langue en partage. L'Algérie chérit l'arabe, mais elle a su se nourrir du français, se l'approprier comme un butin de guerre, mais aussi un instrument de connaissance, de diversité et de liberté. Tant d'écrivains algériens ont apporté à son génie. Kateb Yacine, Mohammed Dib hier, Assia Djebar, Anouar Benmalek, Yasmina Khadra aujourd'hui. Et c'est Albert Camus, ce fils d'Alger dont nous célébrerons l'an prochain le centième anniversaire de la naissance, qui a évoqué le premier cette «communauté franco-arabe» formée, par tous les écrivains algériens, dans l'égalité la plus parfaite. C'est fort de ces liens-là, de ces atouts-là, de cette responsabilité-là que je vous propose d'établir entre l'Algérie et la France un véritable partenariat stratégique, d'égal à égal. Pour nous donner les moyens d'aborder les enjeux qui se présentent à nos deux pays. Le premier est économique. La France et l'Algérie doivent franchir une nouvelle étape pour multiplier les échanges, les investissements et les réalisations communes. Nous avons à relever le défi du chômage, notamment celui des jeunes. Nous avons à réussir les transitions énergétiques. Nous avons à partager nos technologies, nos savoir-faire, nos expériences. Nous avons à inventer de nouveaux modes de développement, notamment dans le domaine de l'agriculture pour lequel nos ministres viennent de signer une convention de coopération. 450 entreprises françaises – de grands groupes mais aussi des PME sont implantées en Algérie où elles emploient directement 40 000 personnes – et même 100 000 indirectement, Ces entreprises développent de nombreuses actions de formation et réinvestissent en Algérie une grande partie de leurs bénéfices pour accroître leurs capacités de production. La France est le premier investisseur sur le territoire algérien, en-dehors du secteur des hydrocarbures. Elle est aussi son premier fournisseur, son troisième client. Nous sommes prêts à aller plus loin, en mobilisant nos entreprises dans les domaines de l'énergie, de la santé, de l'environnement, de la construction et des transports où l'Algérie exprime de nouveaux besoins. Hier, Renault a signé un important accord en vue de produire dans votre pays une voiture destinée au marché local et régional. D'autres entreprises françaises portent ici des projets innovants, dans les énergies renouvelables, dans les technologies de l'information et de la communication, dans les biotechnologies. Je m'en réjouis. A la suite de la signature hier d'une déclaration pour le partenariat productif, je souhaite aussi qu'elles développent des projets de coproduction qui contribueront à la création d'emplois et de richesses en France comme en Algérie. Le comité mixte économique que nous avons créé au niveau des ministres nous permettra d'assurer un suivi de notre relation en matière d'investissements, mais aussi pour le commerce et pour l'industrie. Et au-delà de nos relations économiques bilatérales, nous devrons développer des échanges entre l'Union européenne et le Maghreb. Le deuxième enjeu, c'est la jeunesse. C'est l'objet principal du document-cadre que nous avons signé avec le président Bouteflika aux termes duquel la France s'engage notamment à accompagner l'Algérie dans son projet de créer un vaste réseau d'instituts d'enseignement supérieur de technologie. Ces centres, qui seront dans un premier temps au nombre de quatre, ont vocation à s'étendre ensuite à l'ensemble du territoire algérien. Ils aideront les jeunes à acquérir, dans un cycle court, les connaissances et les compétences qu'attendent d'eux les entreprises, et qui leur permettront d'entrer plus facilement sur le marché du travail. Notre partenariat doit en effet être un message pour la génération qui arrive. Il doit répondre concrètement à ses attentes.
Dans le domaine de l'enseignement supérieur, nous pouvons aussi faire plus. Près de 600 accords de coopération lient les universités françaises et algériennes. Les programmes boursiers en cours ont permis de former plus de 10 000 universitaires et cadres. 25 000 Algériens étudient en France. Pour eux, mais aussi pour tous les étudiants que l'Algérie intéresse et attire, je souhaite que notre projet commun de construire une maison de l'Algérie à la Cité internationale universitaire de Paris voie le jour au plus vite.
La Conférence algéro-française de l'enseignement supérieur et de la recherche est une instance dans laquelle nous pouvons faire encore davantage. Notre coopération bilatérale doit s'inscrire dans le cadre d'un véritable projet euro-méditerranéen d'échanges universitaires. Avec un modèle dont nous pouvons nous inspirer : Erasmus.
Le troisième enjeu, c'est la circulation des personnes. Près de 200 000 Algériens reçoivent chaque année un visa dans nos consulats. Cette politique est indispensable pour conserver une maîtrise des flux migratoires, mais elle ne doit pas se transformer en un parcours d'obstacles. Au contraire, nous avons besoin que se poursuivent, et même s'amplifient, les allers et retours des étudiants, des entrepreneurs, des artistes, des familles et de tous ceux qui animent nos relations. Il a été question, l'année dernière, de prélever une taxe d'entrée sur le territoire français au moment de la demande de visa, en plus du prix du visa lui-même. Nous avons mis un terme à ce projet qui aurait constitué un frein de plus. Nous allons par ailleurs prendre des mesures pour améliorer l'accueil des demandeurs de visa, et pour que les documents soient délivrés plus vite par nos consulats. C'est une affaire de respect, de dignité et d'intérêt mutuel. Dans le même temps, nous attendons de l'Algérie qu'elle ouvre plus largement ses portes aux Français qui souhaitent se rendre sur votre territoire, parce qu'ils y ont des souvenirs, des attaches familiales et affectives, des projets personnels ou professionnels à réaliser. Et enfin, nos deux pays ont à peser davantage ensemble sur la scène mondiale. Nous portons les mêmes principes d'indépendance et de souveraineté. Nous sommes exposés aux mêmes risques, nous connaissons les mêmes menaces, nous portons les mêmes valeurs, nous avons le même besoin de vivre dans un environnement de paix et de stabilité. Or, le monde est en plein changement. Des peuples se sont soulevés contre la dictature. Des révolutions ont apporté l'espoir, mais ont levé aussi des inquiétudes. Chaque pays doit trouver sa propre voie et il ne peut y avoir de réponse unique aux aspirations des citoyens. Mais la leçon du Printemps arabe est que les peuples entendent prendre leur destin en main, parfois dans la confusion ou le tumulte. La France a confiance en eux, elle entend les accompagner dans la voie de l'ouverture, de la démocratie, de la liberté. Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ne se discute pas et ne se marchande pas. Ainsi en est-il du peuple palestinien. Aux Nations unies, l'Algérie et la France ont voté ensemble la résolution qui confère à la Palestine le statut d'Etat non-membre observateur. Nous devons parallèlement favoriser la reprise des négociations. C'est encore ensemble que nous avons participé à la réunion récente des amis du peuple syrien. Notre solidarité est essentielle à cet instant critique où le régime de Bachar Al Assad fait la guerre à son propre peuple et où nous devons aider les Syriens à trouver la voie de la liberté. Je sais aussi à quel point la question du Sahel est importante pour nous tous. Elle l'est pour l'Afrique de l'Ouest, mais pour la France aussi. Nous devons l'affronter ensemble et avec la volonté de laisser les Africains décider de leurs opérations de soutien de la paix. La crise malienne appelle des réponses multiples, qui sont à la fois politiques et humanitaires, mais aussi sécuritaires, car personne ne peut laisser le champ libre aux terroristes. La communauté internationale est aujourd'hui d'accord pour agir. Une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU est sur le point d'être votée. Mais l'Algérie est essentielle pour avancer.
Cinquante ans après l'indépendance de l'Algérie, ce sont deux Etats dans un rapport d'égalité et de respect qui ont signé hier la Déclaration d'Alger sur l'amitié et la coopération entre la France et l'Algérie. Cette déclaration, dont nos ministres, par des rencontres régulières, vérifieront l'application, a un principe et un but : créer ensemble, ouvrir une nouvelle page faite de progrès, de confiance et de réalisations communes. Cette déclaration a animé le plus beau sentiment : l'amitié. Elle se fonde sur trois exigences : La reconnaissance du passé, dans le respect des mémoires. De toutes les mémoires blessées ; La solidarité entre nos deux nations réunies par tant de destins communs et partagés ; Et enfin, l'espérance qu'inspire la jeunesse, ardente et impatiente. C'est pour elle que nous ouvrons un nouveau temps de nos relations. Vive l'Algérie! Vive la France! Vive l'amitié entre la France et l'Algérie !