Américains et Britanniques ont peut-être tout prévu, sauf l'essentiel, c'est- à-dire l'après Saddam Husseïn qu'ils ont réussi à arracher du pouvoir en très peu de temps. Tout juste quelques semaines à l'issue desquelles, le président américain George Bush avait annoncé la fin de la guerre. Pourtant d'autres guerres allaient commencer. La résistance armée que personne à vrai dire n'arrive à identifier et les successeurs potentiels à Saddam Husseïn, décidément bien trop nombreux et peu regardants sur la notion même de démocratie. Des élections ont bien eu lieu, mais elles ont conduit à l'éveil du sentiment communautaire, et chaque phase du processus de normalisation l'exacerbe. Résultat : Américains et Britanniques en sont aujourd'hui à appeler à la formation d'une large coalition pour prévenir tout risque de guerre civile que beaucoup disent bien réelle. C'est ainsi que la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice et son homologue britannique Jack Straw, venus à Baghdad souligner l'urgence de la formation d'un gouvernement irakien, ont achevé hier leur visite sans annoncer de résultat concret de leur démarche. Ils se sont gardés de prendre partie dans la dispute sur le choix d'un Premier ministre, alors que la contestation de la candidature du chiite Ibrahim Jaâfari a touché son propre camp, mais souhaité un gouvernement fort, capable de stabiliser le pays et de sortir de la violence. « Nous sommes venus soutenir le processus en cours et il ne me revient pas ni à M. Straw de déterminer qui sera le Premier ministre », a déclaré Mme Rice à la presse avant la fin de la visite de deux jours. « Ce sera aux Irakiens d'en décider, mais nous avons besoin d'un gouvernement fort, uni et conduit par quelqu'un qui est capable d'apporter la stabilité et de répondre aux besoins du peuple irakien », a dit la secrétaire d'Etat. Elle a estimé que les leaders irakiens, qui discutent depuis plus de trois mois, devaient aboutir rapidement. « Si vous n'avez pas attribué les postes importants, ce sera difficile de former le gouvernement », a-t-elle dit. M. Straw et Mme Rice ont estimé que leur démarche, pendant laquelle il ont rencontré les représentants de tous les groupes participant aux tractations sur le gouvernement, ne constitue pas une ingérence dans les affaires irakiennes. « Les Américains ont perdu plus de 2000 soldats, nous en avons perdu plus de 100 et il y a 140 000 militaires (étrangers) qui aident au maintien de la paix », a déclaré le chef de la diplomatie britannique. « Nous avons le droit de demander à traiter avec monsieur A, B ou C, car on ne peut traiter avec personne », a-t-il ajouté, soulignant que « ce sont les Etats-Unis et la Grande-Bretagne qui ont libéré le pays », un point de vue difficile à partager, puisque le pays est au bord de l'éclatement après également que tous les prétextes invoqués pour attaquer l'Irak se soient révélés infondés. Une bien terrible logique qui développe d'autres arguments qui font fi de la situation. « Il est de la plus haute importance maintenant pour les Irakiens de progresser et je pense que nous sommes en droit de le dire. Les pertes humaines américaines et britanniques et les énormes sommes dépensées sont à elles seules une raison pour les pousser à faire des progrès », a ainsi ajouté le ministre britannique muet par contre sur les pertes irakiennes et les immenses dégats causés à leur pays. La présidence irakienne a annoncé ces derniers jours des accords sur la mise en place d'un Conseil de sécurité nationale, chargé des décisions stratégiques, d'un comité ministériel qui aura à gérer le dossier sécuritaire et d'un accord sur les règles de fonctionnement du Conseil des ministres. Ces accords sont destinés à associer surtout les représentants des Arabes sunnites aux prises de décision, eux qui réclamaient leur mot à dire, notamment sur le dossier de la sécurité. Les négociations n'ont pas encore atteint le stade de l'attribution des postes ministériels et la contestation de la candidature de M. Jaâfari au poste de Premier ministre, jusqu'ici cantonnée aux camps sunnite et kurde, a touché les rangs de son propre groupe parlementaire. Des voix de parlementaires chiites se sont élevées pour demander son désistement, d'autres souhaitent que la question du choix du Premier ministre soit confiée au Parlement. M. Jaâfari, qui dit ne pas vouloir renoncer à sa candidature, a été désigné avec une voix d'avance par les responsables de son alliance, celle des chiites conservateurs, qui a envoyé 128 députés au Parlement de 275 sièges. Trop d'enjeux qui fractionnent la classe politique irakienne. Mais jusqu'à quelles limites ?