La pirogue, la dernière fiction du cinéaste sénégalais, Moussa Touré, a été projetée lors du deuxième Festival international du cinéma d'Alger (FICA), journées du film engagé en décembre dernier. Sorti en 2012, La pirogue, co-écrit par Abasse Ndione, Eric Névé et David Bouchet, raconte l'histoire de jeunes harraga sénégalais et guinéens, qui affrontent les vagues de l'Atlantique pour tenter de rejoindre les îles Canaries. Moussa Touré, 54 ans, est également scénariste et producteur. Il a réalisé d'autres films et documentaires comme Toubab Bi en 2001 et Nosaltres en 2006. -L'émigration clandestine paraît être le problème le plus partagé par les Africains. Votre film, La pirogue, le montre clairement, n'est-ce pas ? C'est un des plus gros problèmes du continent. Ceux qui nous dirigent voient bien que les jeunes partent, mais ne disent rien, ne font rien pour les empêcher de quitter le pays. On a l'impression que ces dirigeants sont ravis de constater le départ des plus jeunes de la population. Ils ne prennent aucune initiative, ne font aucun discours pour tenter de retenir les partants, les convaincre de rester. Bref, faire quelque chose pour eux… -Et qu'est-ce qui empêche les Africains de bâtir des Etats forts, puissants économiquement et culturellement ? Il y a tout, mais on ne démarre pas… Les dirigeants du continent sont entièrement responsables de cette situation. C'est très clair. La population n'y est pour rien. Nos jeunes sont là, veulent apprendre, sont disponibles pour travailler dans leur pays. Ils ne sont pas paresseux. Il suffit de s'intéresser à eux, de les solliciter. Il faut que nos jeunes trouvent du travail dans leur pays. Les jeunes qui émigrent, une fois installés et embauchés ailleurs, envoient de l'argent à leur famille. S'ils quittent leur pays, c'est parce qu'on ne leur donne pas de l'espoir chez eux. Attention, cette situation ne peut pas durer. L'Afrique est jeune. 75% de sa population est jeune. Il faut donc qu'on commence à parler à ces jeunes. Les discours actuels ne tiennent plus. Les changements sont inévitables. -Les jeunes ne devraient-ils pas arriver au pouvoir, diriger l'Afrique ? Les jeunes vont finir par arriver au pouvoir quoi qu'il arrive. On ne se rend pas compte, mais nos dirigeants sont vieux. Ils ne vont pas vivre 200 ans… -Dans La pirogue, on a l'impression que toute l'Afrique est à bord avec ces passagers en conflit... Bien sûr ! Ils sont là en conflit, chacun veut sa parcelle du pouvoir, s'imposer. Rendez-vous compte, l'Union africaine (UA), depuis qu'elle existe, qu'a-t-elle fait ? Cette UA est loin de représenter les populations. A chaque fois que les membres de l'UA se rencontrent quelque part, les bagarres éclatent. -Les artistes n'ont-ils pas ce rôle de réunir, fédérer les Africains ? C'est pour cela que dans La pirogue, j'ai abordé un sujet qui nous touche tous. Le film est sénégalais, mais il est aussi africain. Il s'adresse à tout le continent. Vous pouvez changer les personnages du film, mettre des Algériens ou des Ethiopiens, c'est la même chose, la même préoccupation. Pour moi, l'Afrique est très «documentaire». Nous n'avons pas besoin de trop réfléchir pour trouver des thèmes. Il suffit d'aller au bord de la plage, attendre la nuit pour voir les jeunes s'apprêter à prendre la barque et partir ailleurs. En ce moment, les jeunes Sénégalais se déplacent jusqu'au Maroc pour traverser vers l'Europe. Tout le monde le sait. Ce n'est pas un mystère. L'idée de La pirogue s'est donc imposée d'elle-même. Comme celle de la famine en Afrique, il ne faut pas aller loin pour trouver cette autre idée. -Dans votre film, vous avez tenu à répondre au fameux discours de Dakar de l'ex-président français Nicolas Sarkozy (prononcé le 26 juillet 2007 à l'université Cheikh Anta Diop), d'après lequel l'homme africain ne serait pas entré dans l'histoire… Nous aurions voulu lui répondre sur place, mais nous avons été bloqués à l'époque par Abdoulay Wade. L'ex-président du Sénégal ne voulait pas répondre. Pour lui, ce n'était pas grave. Je me rappelle que les Maliens avaient tout de suite répondu à l'attaque de Sarkozy que je nomme Sarko-phage (…). Je l'ai fait dans La pirogue, car je voulais le faire, dire mon point de vue sur cette question, à ce discours insultant. Mon film est politique, car la base même du départ des jeunes vers d'autres terres est d'abord politique.