La décision du dernier Conseil des ministres d'inclure les pôles hydrocarbures de Skikda et d'Arzew dans le phalanstère des zones à haut risque a été débattue et commentée aussi bien par la population locale qu'au niveau de la zone industrielle de Skikda. Une partie des habitants de la ville interprète cette décision comme n'étant qu'un mea culpa assez tardif d'un système qui a privilégié la productivité au détriment de la sécurité. D'autres par contre saluent la décision du gouvernement et l'assimilent à un signe fort de la part des pouvoirs publics visant à conforter Sonatrach dans son destin d'entreprise citoyenne. C'est dire qu'entre la ville de Skikda et sa plateforme pétrochimique, la relation, et pour des raisons d'exiguïté, a été passionnelle voire conflictuelle. Les incidents et les catastrophes répétitifs qui ont eu lieu au niveau de la zone pétrochimique de Skikda sont venus conforter les habitants dans leur hantise et leur faciliter l'indexation de Sonatrach. Cette dernière en est très consciente et semble enfin comprendre le message des Skikdis qui souhaitent que les nouvelles dispositions de sécurité ne se limiteront pas à « libéraliser » les périmètres limitrophes du pôle hydrocarbures, mais enclencher plutôt tout un process de normalisation qui toucherait également les installations. 500 millions de dollars pour un Soweso bis ? Le communiqué publié à l'issue du Conseil du gouvernement et sans trop verser dans le détail mentionne que l'élargissement des zones à haut risque a été décidé pour « mettre fin à une situation d'anarchie et assurer la sécurité des citoyens, de leurs biens et de l'économie nationale ». Un énoncé qui, faut-il le souligner, place l'être humain en première place, ce qui laisse comprendre que la configuration spatiale des limites de la plateforme pétrochimique se verra chamboulée par la délocalisation de tous les habitants qui s'étaient incrustés le long de la périphérie de la zone. Le décret, qui puise ses références de la loi 04-20 du 25 décembre 2004 et particulièrement de son article 33, aura donc la force de la loi pour mettre un terme à l'urbanisation accrue dans l'enceinte même de la plateforme et aux limites des zones de sécurité. Selon un haut cadre du pôle de Skikda, Sonatrach aura à débourser 500 millions de dollars pour commander un ensemble d'études spécialisées qui définiront les modalités de sécurisation des zones d'Arzew et de Skikda et serviront de schéma directeur nécessaire pour la mise en application du décret. Selon ses dires, l'initiative algérienne de revoir ses zones à haut risque a été motivée par les derniers incidents de Skikda et ressemblerait, à quelques détails près, à la directive Soweso, adoptée par les Etats européens. Ainsi et selon la même source, le foncier de la plateforme pétrochimique de Skikda devra certainement être standardisé pour une utilisation plus rationnelle des espaces et une reconfiguration des zones. Et si a priori le réaménagement « intra-muros » ne devrait pas constituer un grand problème pour Sonatrach qui dispose d'une grande latitude de décision, les inconvénients « extra-muros » constituent à première vue un grand obstacle. Les premiers réaménagements, à effectuer dans l'enceinte même du pôle, devraient s'articuler en priorité sur la séparation des blocs administratifs des zones d'exploitation. A ce sujet, la catastrophe du GNL reste une référence en matière de risque qu'engendre une telle mitoyenneté. L'explosion n'avait pas seulement soufflé trois trains de liquéfaction, mais tout le bâtiment administratif, situé à quelques mètres seulement des installations. A ce jour, les Skikdis se demandent encore ce qui serait arrivé si l'explosion a eu lieu durant les heures de travail. Par ailleurs, l'entreprise de gestion de la zone industrielle de Skikda (EG Zik) révèle dans un rapport « l'inexistante de plans de développement approuvés et actualisés permettant la prise en charge des questions de développement du pôle », une situation qui avait permis dans le passé d'implanter des unités sur le tas. Cette situation devrait être bannie, d'autant plus que la zone de Skikda s'apprête à accueillir pas moins de six grands projets. D'autres problèmes devraient être également revus comme l'occupation de 280 ha par des lignes aériennes de haute tension. Quand la Zik dément Khelil Pour le volet extra-muros, la tâche est beaucoup plus complexe. S'étalant sur une superficie globale de plus de 1275 ha, la zone de Skikda est d'abord à moins de 2 km à vol d'oiseau à l'est de la ville. Le mont Mouadher sert, il est vrai, de paravent entre les deux, mais ce n'est pas le cas pour les agglomérations implantées tout au long de la périphérie sud et est de la zone. Cette dernière a constitué, depuis son implantation, un véritable aimant qui a permis la prolifération d'agglomérations dans une grande anarchie urbanistique. Des îlots ont poussé à la place d'anciennes oliveraies et constituent aujourd'hui un véritable tablier qui longe la clôture de la plateforme. En l'absence de statistiques fiables, ils seraient plus de 10 000 habitants à vivre dans ces lieux. La plupart ont bénéficié d'un lot de terrain accordé gracieusement par les pouvoirs publics. Les agglomérations les plus vulnérables sont celles implantées à moins de 200 m seulement de la plateforme, à l'exemple de Barrot, d'El Guelta, de Laghouat, d'El Karia... A titre de rappel, lors du dernier incident survenu au terminal pétrolier, suite à l'explosion de deux bacs de fuel, tous les habitants des agglomérations limitrophes au sud de la zone avaient été forcés à l'exode en pleine nuit. Le lendemain, le ministre venu se recueillir à la mémoire des deux victimes de l'accident avait déclaré à propos de ces habitants : « De toute façon, on n'avait pas à bâtir aux limites d'une zone pétrochimique. Ces installations étaient là bien avant le pullulement de l'agglomération que nous vivons aujourd'hui. » Le ministre n'avait certes pas tort, puisque en moins de 15 ans toute la ceinture sud de la zone a été accaparée par des constructions, avec la bénédiction des autorités locales de l'époque. Mais pas seulement les autorités locales, car même Sonatrach y avait contribué. Elle a même aggravé la situation en décidant à la fin de l'année 1999 de financer à hauteur de 92 millions de dinars la construction d'un bidonville en dur à moins de 500 m à lest de la raffinerie pour recaser une partie des 265 familles qui habitaient à l'intérieur de la zone. L'autre problème auquel devra faire face Sonatrach reste la route qui longe le périmètre de la zone dans presque toute sa longueur. Reconvertie en chemin de wilaya, alors qu'elle ne représentait qu'une piste, cette route dessert aujourd'hui deux grandes agglomérations : Ben M'hidi et Fil Fila. A mentionner à ce sujet que cette route n'a jamais été inaugurée, et qu'en 1982 le ministre des Travaux publics de l'époque avait nettement refusé de « couper le ruban » de l'inauguration en s'insurgeant qu'on puisse se targuer d'ouvrir une telle route à proximité d'une zone industrielle. Même si la première vision du décret semble s'articuler beaucoup plus sur l'urgence de délimiter les espaces sensibles et d'éviter tout accaparement étranger des assiettes proches des installations à haut risque, Sonatrach aura à l'aube de ce nouveau décret à revoir beaucoup d'autres paramètres, comme la formation et les moyens matériels nécessaires pour optimiser la sécurité de la zone. Cette dernière se caractérise par la présence en son sein d'une multitude de risques potentiels qui vont du risque d'explosion (gaz, pétrole, réacteur du complexe pétrochimique...) aux risques chimiques (chlore, hélium...). Le volet humain devrait aussi être concerné. La plupart des cadres, qui ont accompagné la mue du pôle de Skikda, sont déjà partis en retraite ou s'apprêtent à le faire. Il est primordial pour Sonatrach de mettre à exécution un plan de relève à la mesure de ses ambitions et de son statut afin d'éviter les cavalcades comme ce fût le cas lors du plan de relève officié par l'Enip. Mais en tout état de cause, la décision du gouvernement de déclarer Skikda zone à haut risque constitue déjà un acquis dans l'attente de voir la généralisation de la culture sécuritaire qui ne se limite pas uniquement aux « murs » et aux délocalisations, mais également à la formation et à la mise en œuvre de moyens d'intervention. En évoquant cette culture, il serait utile de rappeler aux décideurs que la ville de Skikda qu'on « décrète » zone à haut risque ne dispose même pas d'abris. Tous ceux qui existaient auparavant ont été abandonnés, voire reconvertis en commerce.