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«Je rêve d'un mur avec les photos des disparus sur la place des Martyrs» Nassera Dutour. Porte-parole du collectif des familles de disparus en Algérie (cfda)
C'est l'une des images les plus marquantes, aujourd'hui encore, du reliquat sanglant des années 1990 : le rituel des familles de disparus serrant les portraits de leurs enfants et observant leur rassemblement du mercredi à la lisière de la place Addis-Abeba, devant l'institution officielle des droits de l'homme incarnée depuis 2009 par la Commission nationale consultative pour la promotion et la protection des droits de l'homme (CNCPPDH), de Farouk Ksentini. Ces mères-courage, qui ne sont pas sans rappeler les fameuses «Mères de la place de Mai», en Argentine, bravent ainsi depuis des années la matraque des flics et l'indifférence de la société pour réclamer la vérité sur le sort de leurs enfants, en scandant inlassablement : «Reddouna ouladna», rendez-nous nos enfants ! La cause des disparus est portée à bras-le-corps par le Collectif des familles de disparus en Algérie (CFDA), association créée à Paris en mai 1998 et qui a ouvert un bureau à Alger, en septembre 2001, sous le nom bien connu de SOS Disparus. Evoquant la question de la mémoire et de l'oubli, Nassera Dutour, porte-parole du CFDA, rappelle l'attitude du président Bouteflika dès son arrivée au pouvoir, lorsqu'il déclarait «elli fat mat» et qu'il martelait, lors d'un meeting à la salle Harcha, alors qu'il faisait campagne pour le wiam el madani : «Vos enfants ne sont pas dans ma poche !» Mais le plus dur pour elle, ce fut incontestablement la charte pour la «moussalaha». Un grand moment de solitude pour les familles des victimes. «C'était très dur. J'ai très mal vécu cette période. C'étaient des moments de rage, de colère» confie Mme Dutour. «On ne peut pas imposer la réconciliation par le haut», poursuit-elle, avant de lâcher : «Il s'agit de nous réconcilier avec qui ? A propos de quoi ? Nous disons : il faut d'abord dire la vérité pour savoir ce qu'on doit pardonner, quelle page on doit tourner, avec qui doit-on se réconcilier.» «Chanson pour Amine» Interrogée sur l'idée d'un mémorial pour les disparus, Nassera Dutour répond : «Mon rêve c'est qu'un jour, il y ait un mur à la place des Martyrs, en plein milieu, là où il y a beaucoup d'espace, un mur où il y aurait les photos des disparus, même si on ne peut pas les mettre toutes. A côté, il y aurait la liste de tous les disparus.» Le combat des familles de disparus a fait l'objet d'un travail documentaire et archivistique extrêmement important. Nassera Dutour cite, en l'occurrence, le film Chanson pour Amine, un documentaire de 52 mm signé Alberto Bougleux, basé sur des images recueillies par deux journalistes, Sophie Lorant et Kouider Zerrouk. Le jeune Amine en question n'est autre que le fils de Nassera, dont elle n'a plus de nouvelles depuis le 30 janvier 1997, date de son enlèvement à Baraki. Il avait tout juste 21 ans. Il convient de citer aussi l'œuvre photographique de l'artiste Omar D. et son livre Devoir de mémoire (A Biography of Disappearance - éd. Autograph ABP, Londres, 2007) auquel a contribué le sociologue LahouariAddi. Mme Dutour évoque au passage la masse de documents administratifs cumulés au sein du CFDA et de SOS Disparus. «En dossiers individuels, nous en sommes à 5400 dossiers», dit-elle, en précisant que d'autres cas vont certainement émerger : «Parfois, dans les rassemblements, les mères me donnaient des lettres, dès fois elles écrivaient sur des bouts de papier. Tout cela, je l'ai conservé. Cette année encore, on a eu deux ou trois cas de disparitions des années 1990 qui n'ont jamais été mentionnées nulle part. Et s'il y a une commission vérité, d'autres cas vont se révéler.» De leur côté, les autorités avancent le chiffre de 8023 cas recensés, ajoute-t-elle. «M. Ksentini, qui est notre interlocuteur, affirme dans la presse qu'il n'y a pas d'archives. Ce n'est pas vrai, il y a des archives et elles sont disponibles. On les trouve partout. On lui a dit qu'il y avait déjà une partie de la vérité dans nos propres archives. Commencez par nous ! On a des noms d'auteurs d'enlèvements. A Baraki, c'est le commandant M'barek. Tout le monde a vu le commandant M'barek venir arrêter des gens, accompagné de militaires», martèle la porte-parole du CFDA. Nassera Dutour indique, en outre, que son association s'apprête à ouvrir prochainement un centre de documentation à Oran, en précisant que l'ensemble des témoignages recueillis seront numérisés et gravés sur CD. En parlant de «mémoire numérique», il est important de relever ce mémorial virtuel dédié aux disparus et réalisé par une ONG catalane (Sodepau) en étroite collaboration avec le CFDA. On peut voir ce travail sur le site : http://www.memorial-algerie.org/. En cliquant sur le lien, on est d'emblée ému par la longue liste de disparus qui se profile en fond d'écran. Sous le titre : «Le web contre l'oubli», il est précisé que ce mémorial a été conçu afin de sauvegarder «la mémoire publique d'une tragédie contemporaine délibérément effacée».