S'il y a bien une constante à relever dans la gestion des questions sensibles en Algérie, c'est sans conteste le principe physique du couple action-réaction. Ce dernier semble être le seul canal de concertation entre les gouvernés et les gouvernants. Tout le monde a eu droit récemment aux manchettes des journaux relatant, avec un soupçon de fierté, la fermeture et la mise sous scellés de certaines écoles privées récalcitrantes à entrer dans le droit chemin, celui de se conformer à la loi de la République. Il a fallu attendre l'irruption dans le débat du premier magistrat du pays pour que s'arrête le ridicule et pour enfin comprendre et admettre que l'Etat de droit est opposable à tout un chacun, il demeure à la notion de citoyenneté avec ce que cela suppose comme droits et devoirs. Si on a rouvert ces mêmes écoles une semaine après avec le même vacarme médiatique, l'on n'a toujours pas situé l'essence du quiproquo qui persiste entre les initiateurs de l'école privée et l'administration. En fait, force est de constater qu'il y a confusion chez les uns et autisme chez les autres. Il y a confusion chez certains parents ayant opté pour l'école privée. Ces derniers, forts de ce qui les intéressent dans la Constitution du pays, revendiquent, au nom de la liberté, le libre choix du mode d'enseignement qu'ils souhaitent prodiguer à leurs enfants. Ne pas confondre statut de l'école (privée/publique) et le service public rendu. Or, si l'enseignement est un droit constitutionnel, l'école remplit, quant à elle, une mission de service public, à ne pas confondre avec le statut de l'établissement lequel peut être privé ou public. Tout comme la clinique privée remplit une mission de service public - qui est la santé pour tous - sous une forme de gestion privée. Il n'en demeure pas moins que l'une et l'autre des formes de gestion doivent être assujetties aux mêmes lois de la République. Ce qui semble persister, c'est une certaine confusion entre l'école privée et l'école libre, cette dernière a vu le jour sous d'autres cieux et même chez nous (les écoles fondées par l'association des oulémas durant la colonisation) pour s'opposer à l'école publique laïque. Elle est le fait de groupes sociaux conservateurs qui revendiquent un enseignement un peu plus religieux pour leur progéniture. Et c'est peut être une spécificité bien algérienne que les tenants de l'école privée revendiquent à l'aube du troisième millénaire une école « libre » à caractère laïque ! A suivre les différents pourparlers entre l'administration et le collectif des écoles privées, dont certaines sont aujourd'hui agréées, il y a manifestement un problème de terminologie mais aussi un problème de programme d'enseignement et plus précisément un problème de langue d'enseignement et c'est bien à ce niveau où je situe l'autisme des autres... de l'administration. Le cahier des charges, élaboré dans la précipitation et sans réelle concertation avec les concernés (encore une constante du ministre des écoles, collèges, lycées et universités depuis plus d'une décennie), consacre l'essentiel de son texte aux conditions logistiques et aux mesures coercitives et de manière lapidaire le volet pédagogique en insistant sur un article, source de toutes les incompréhensions, relatif à la langue d'enseignement des matières scientifiques que l'administration restreint à la seule langue nationale, excluant de facto l'usage d'autres langues plus appropriées. Les rédacteurs des cahiers des charges limitent au passage le nombre d'heures d'enseignement, mais ne s'oppose en aucune manière à voir de plus près les matières opérationnelles qu'ils résument aux cours de danse ou de musique. Il y a là une position manifestement doctrinaire qui ressemble à de l'antijeu, alors que tous les spécialistes s'accordent à dire qu'il y a un problème entre l'enseignement scientifique en 1er cycle exclusivement en langue nationale et celui prodigué dans les cycles supérieurs exclusivement en langues étrangères. Repenser cette contradiction pouvait permettre de retrouver des passerelles plus logiques entre les différents cycles d'enseignement et engager enfin la réforme de l'école « S » sur une voie prometteuse de succès en dehors de tout règlement de compte idéologique et partisan. Le jeu dangereux de l'opposition entre l'école privée et l'école publique sur fond idéologique Apprendre la Marseillaise est inacceptable ! Comme il est, à un degré moindre, inacceptable de persister dans l'incohérence - sous couvert de souveraineté nationale et autres subterfuges mal appropriés. Il est tout aussi dangereux de jouer insidieusement, au travers d'une opposition « voulue » entre l'école privée et l'école publique », l'opposition francophone (puisque c'est de ceux là qu'il s'agit) et le peuple. Cela relève d'une stratégie du tout perdant, qui a montré ses limites, quand pendant des décennies, l'on a opposé avec véhémence les secteurs économiques publics et privés pour aboutir aujourd'hui, avec une décennie de retard et quelques milliards de dollars partis en fumée à la privatisation tous azimuts des derniers fleurons du secteur public économique. Il faudrait aujourd'hui, que certains parents d'élève des écoles dites « privées » fassent preuve d'un peu de clairvoyance. S'inscrire dans une logique de l'Etat de droit ne peut se faire en dehors des lois de la République, il faudrait par ailleurs un peu plus d'honnêteté intellectuelle et une dose de courage politique de la part des pouvoirs publics dans la rédaction des termes de référence pour lever les derniers tabous et permettre enfin à l'école de se hisser à la lumière universelle. Accéder à l'excellence, pourquoi pas ? L'Etat de droit est une nécessité vitale. Une école « privée » agréée, remplissant une mission de service public, bénéficiera de toute l'aide et de la protection de l'Etat ; elle pourrait consacrer, dès lors, des ressources qu'elle pourrait mobiliser par le biais de dons privés à améliorer ses conditions de travail et pourquoi pas accéder à l'excellence. Pourquoi ne regarderait-on pas ces écoles privées comme autant de laboratoires qui pourraient contribuer au dessin de l'architecture future de l'enseignement en Algérie ? Pourquoi école privée et école publique n'auraient-elles pas un dessein commun, celui de former l'Algérien de demain ? Enfin, mes trois enfants âgés respectivement de 7, 10 et 16 ans n'ont jamais connu les bancs de l'école publique, ma décision était prise bien avant d'avoir l'idée d'être père, elle est devenue conviction, quand, bercé par l'image que m'ont laissée mes instituteurs admiratifs devant le destin de Mouloud Feraoun, je fus durement ramené à la réalité en apprenant que mes copains, peu enclin à l'effort intellectuel donc orientés vers « la vie active », allaient s'inscrire pour devenir instituteurs et qu'ils allaient inévitablement apprendre la vie à mes futurs enfants. Devenus parents, nous nous sommes engouffrés dans le sillage d'autres parents, pour le moins téméraires, dans ce qu'est devenue, dix ans après, l'école dite privée. En guise de conclusion Dieu merci, nos enfants réussissent aux examens nationaux et étrangers et ne demandent qu'à voir tous les autres Algériens de leur âge réussir autant. Les marginaliser en les pointant d'un doigt accusateur, c'est faire offense à leur amour à leur pays, l'Algérie ! Une angoisse demeure celle d'aller grossir les rangs du lycée international et peut-être des universités françaises, alors que nous- mêmes, purs produits de l'école et de l'université algériennes - qui n'avons à aucun moment déserté ce pays - nous nous battons pour que l'Algérie accède au niveau des meilleurs. Cela semble inévitable, si la réforme de l'école demeure otage des considérations idéologiques contradictoires. Devrait-on rappeler par ces temps de réconciliation nationale, que 150 000 Algériens sont morts, tous convaincus d'être plus Algériens que les autres ! Cela devrait nous ouvrir les yeux sur les risques que court la « nation Algérie », son élite et son peuple, à recourir à l'autisme comme seul moyen d'avoir raison.