« Je comprends ceux qui fraudent le Fisc lorsque ce dernier prend trop sur leurs gains. Les juges sont des fous anthropologiquement différents du reste de la race humaine. » Silvio Berlusconi Curieuse coïncidence. Au moment où toute l'Italie retenait son souffle, perplexe, abasourdie, divisée, on annonçait la capture du chef suprême de la mafia sicilienne Cosa Nostra Bernardo Provenzano, 74 ans, dernier boss historique encore en liberté. Il a été arrêté dans une ferme à Corleone près de Palerme. Bernardo, passé à la clandestinité en 1963, a été condamné à une dizaine de peines de prison à perpétuité, dont trois définitives. Il était devenu le chef suprême de Cosa Nostra en 1993 après l'arrestation de Toto Rina. Pourquoi évoquer la fin de parcours de ce truand ? Tout simplement parce que la « pieuvre » sous le règne de Silvio a pris un autre chemin. Le chef arrêté était considéré comme l'artisan d'une nouvelle stratégie qui écartait les assassinats pour se mouvoir efficacement dans la société italienne, provoquant une baisse de la garde de la part des institutions. Berlusconi était conscient de cet état de fait, mais laissait faire. Et puis d'une manière plus générale, l'Italie était sur le déclin économique. Un déclin bien illustré par Portelli, l'auteur d'Une Italie de Berlusconi, ce bonimenteur qui avait promis la prospérité pour tous mais qui s'était engagé aussi par écrit et en direct à la télévision, à ne pas briguer un nouveau mandat s'il ne parvenait pas à atteindre un certain nombre d'objectifs. Pour Portelli, évidemment, on est loin du compte. « En cinq ans, le gouvernement Berlusconi n'aura réglé aucun problème que connaît l'Italie. Dans une large mesure, il les a même aggravés. La réforme de l'Etat n'a pas été amorcée, sinon pour introduire plus d'inégalité entre les territoires au profit des plus riches. La relance de l'activité économique ne s'est pas produite. Des expédients financiers ont tenu lieu de politique. » Dans cette Italie extravagante, ce qui ressort des urnes, c'est qu'une bonne partie de la population est tombée sous le charme de Silvio Berlusconi depuis 5 ans au pouvoir, même si les Italiens sont persuadés que ce magnat marchand d'illusions cultive le cynisme et la démagogie. On peut le voir partout sur les chaînes TV qui lui appartiennent où il est omniprésent, amuseur public ou encore dans un stade de foot, où il ne se prive pas de pitreries pour épater en galerie. Le peuple semble apprécier. Sinon comment comprendre qu'il a pu se laisser gouverner sans rouspéter ni s'opposer au diktat du « Cavaliere ». Pourquoi ? Parce que le pays s'est révélé complètement obsédé par la richesse. La dernière charge du cavalier « Celui qui ne gagne pas assez doit faire comme Berlusconi. Le pauvre, souligne le sociologue Ferraroti, n'est plus contre le système, car il n'a rêvé que de s'approcher du paradis, des possédants, quitte à jouer les parvenus. Quitte à sauter à pieds joints dans l'illégalité. » Ce pas franchi est aussi encouragé par les appréhensions car « la gauche est pédante et impose des sacrifices. Lui, il nous fait rêver. Il est d'ailleurs si riche qu'il n'a pas besoin de s'enrichir. Mieux, il nous aidera, nous à devenir riches... » Pour l'heure et bien après le verdict, la confusion est générale. Seulement 25 000 voix séparent les deux candidats, soit 0,06%. Une broutille. C'est pourquoi le Cavaliere conteste en appelant au décompte manuel des voix comme en Amérique, rappelle-t-il. Même les officiels, pris à contre-pied, fustigent les faiseurs d'opinions, c'est-à-dire les instituts de sondages qui sont passés à côté de la plaque. « Il faut exiler les sondeurs, le plus loin possible, par exemple en Nouvelle-Zélande », s'est insurgé le ministre de la Justice. Ne s'avouant pas vaincu, mauvais joueur, Silvio, le brute, prône une grande alliance nationale comme en Allemagne ; sans doute pour sauver les apparences. Prodi, le bon, lui rétorque que la coalition, la sienne existe déjà et qu'elle s'est imposée par les urnes et qu'en aucun cas il ne fera cause commune avec Forza Italia. Pourtant sa coalition à lui, Romano est loin d'être un modèle du genre. Assemblage hétéroclite, allant des catholiques centristes à l'extrême gauche, avec même une association des consommateurs, qui fait dire à ses détracteurs que Prodi ne tiendra même pas 6 mois ! Ayant déjà exercé les fonctions de président du conseil des ministres, il y a dix ans, Prodi jouit d'une certaine expérience, affermie par son poste de président de la commission européenne. C'est en cette qualité qu'il a visité l'Algérie où il s'est exprimé sur plusieurs questions internationales et bilatérales. Un homme pragmatique S'il a reconnu que la crise israélo-palestinienne gêne le processus de Barcelone, cela ne doit pas constituer une entrave aux relations. La crise des Balkans, a-t-il rappelé, n'a pas empêché l'élargissement de l'Union européenne à l'Est. De même que pour le Sud, l'entreprise ne sera pas dénuée de tout obstacle. « Nous sommes condamnés à nous entendre », a-t-il suggéré. Prodi a par ailleurs toujours insisté pour que « l'Europe ait des relations fortes et amicales avec la rive sud de la Méditerranée qui a une place de plus en plus grande dans l'instauration de la paix et de la stabilité ». Ami de l'Algérie, comme il se définit lui-même, Prodi est pour une large coopération qui englobe aussi bien l'économie que la culture. A propos du flux migratoire, il estime que les Européens ont peur. Des solutions doivent être trouvées de part et d'autre entre l'Union européenne et la rive sud de la Méditerranée, avait-il déclaré lors de sa première visite en Algérie en 1999. « La distance entre Rome et Berlin est le double de celle qui sépare Rome d'Alger, mais ce qu'il faut surtout réduire, c'est la distance psychologique. » Figure marquante de la scène politique italienne, Prodi a été Premier ministre, entre 1996 et 1998, député et professeur d'économie à Bologne, président du groupe pétrolier ENI, à deux reprises. Au cours de sa campagne électorale qui a paru terne par rapport aux exhibitions théâtrales de son concurrent, Prodi a néanmoins réussi son ultime confrontation télévisuelle où il a promis de supprimer la taxe d'habitation sur les résidences principales en cas de réélection. Forcément populaire, cette mesure a séduit l'électorat. « Nous voulons donner confiance au pays, l'unifier pour livrer bataille afin que l'Italie retrouve la place qu'elle mérite, mais nous n'y parviendrons qu'avec la justice et l'harmonie nationale », avait-il déclaré. Ce qui est remarquable chez Prodi, souligne son ancien collègue à l'université, le professeur Froguier, politologue, c'est qu'il applique en tant que politicien, la politique qu'il prônait en tant qu'universitaire. Il y a une véritable continuité entre les idées et les actes. Son engagement politique est éclairé par sa réflexion intellectuelle. Prodi est un intellectuel qui s'engage dans la fidélité à ses « convictions ». Le triomphe à gauche de Prodi est indiscutable. Ce vieux routier de la politique, qui n'est pourtant affilié à aucun parti, a reçu un soutien massif des militants et sympathisants de gauche pour qu'il représente la seule chance de chasser Berlusconi du gouvernement. Son programme ? Prodi devra faire appliquer une série de réformes impopulaires. L'Italie, suggère-t-il, a besoin d'une forte dose de libéralisation, ce qui pourrait incommoder la gauche de son alliance. Il envisage en outre de lutter fermement contre l'évasion fiscale. « Je pense que les Italiens l'accepteront du moment qu'on leur explique en termes de justice. Ce qu'ils n'acceptent pas, c'est que la différence entre riches et pauvres s'accroisse à un rythme effrayant. » Il professore est optimiste « J'ai besoin de cinq ans pour pouvoir gouverner complètement », a-t-il martelé au début de la campagne. Maintenant que la balle est dans son camp, il a toute la latitude pour changer les choses. « Il faut que j'applique mon programme. Sinon l'Italie sera vraiment fichue », a-t-il annoncé sentencieux, mais visiblement grisé par son succès. « Il professore », comme l'aiment l'appeler ses proches, a séduit ses électeurs aux primaires où, sur les six candidats en lice, il a eu les faveurs des urnes avec près de 75% des voix. « Je veux d'abord m'adresser au cerveau des Italiens, à un pays de 60 millions d'habitants et non pas à une société segmentée entre les ouvriers, les petits patrons, les ménagères, etc. », répète volontiers ce catholique de toujours, progressiste par conviction qui incarne tous les espoirs de la gauche italienne réunie sous la bannière de l'Union. L'un de ses grands atouts reste le bilan de ses deux ans à la tête du gouvernement. Il s'était engagé à porter l'Italie dans la zone euro, ce qui semblait alors une gageure avec une lire comparée à une monnaie de singe. Il tint parole au prix d'impôts spéciaux acceptés bon gré mal gré par une opinion publique et des partenaires sociaux bien convaincus qu'il n'y avait pas de salut hors de la monnaie unique. Mais l'homme est jugé mauvais à l'exportation. Piètre orateur, il exaspère son auditoire avec son air professoral. Même Chirac, dit-on, affirmait « qu'il ne comprenait rien quand Prodi parlait ». Même à gauche, les jugements n'étaient pas plus tendres et d'aucuns doutaient qu'il puisse réussir à restaurer pleinement le prestige de l'institution européenne. Prodi a réussi ce pari. Lui le bon devra donc s'attacher à redorer le blason de son pays, avec toutes ses composantes, avec ses bons, ses brutes et ses truands... Parcours Romano Prodi est né le 9 août 1939 à Scandiano (province de Reggio d'Emilie). Il est docteur en droit de l'Université de Milan et postgradué de la London School of Economics. Il est un homme politique italien appartenant au parti de la Margherita (démocrate-chrétien de gauche) et à l'alliance de centre-gauche L'Olivier. Il en est devenu le président de la fédération nouvellement constituée le 26 février 2005. Il a exercé les fonctions de président du Conseil des ministres italien du 18 mai 1996 au 9 octobre 1998. Il a été président de la Commission européenne de septembre 1999 au 22 novembre 2004. Après avoir quitté la commission, il est devenu le candidat unique de l'Union. Une formation politique rassemblant les partis de gauche et une partie des partis du centre. Il est président d'honneur du Parti démocrate européen.