Si la nomination de l'actuel ministre de l'Intérieur, Ali Laâreyedh, au poste de chef du gouvernement, a été une surprise par certains observateurs, c'est parce qu'ils ne connaissent pas très bien les normes de succession au sein du Mouvement Ennahda, plutôt similaires à l'ordre d'accession au trône dans les royautés. Par ailleurs, il est utile de rappeler que c'est cette même hiérarchie qui a permis à Laâreyedh de postuler au ministère de l'Intérieur, deuxième par ordre d'importance après la présidence du gouvernement, dans l'équipe de Jebali. Le ministère de la Justice et, par conséquent, Noureddine Bhiri, est le suivant dans l'ordre de la succession. Ceci pour comprendre le choix d'Ennahda pour mettre Ali Laâreyedh à la tête du gouvernement. Pour ce qui est des enjeux et des marges de manœuvre, c'est une autre histoire. La scène politique est beaucoup plus complexe qu'à l'issue des élections du 23 octobre 2011. Comment le parti Ennahda et Ali Laâreyedh vont-ils manœuvrer pour obtenir une majorité stable à ce deuxième gouvernement d'ossature islamiste ? Tout le monde sait que le parti Ennahda dispose de 89 sièges sur les 217 que compte l'Assemblée nationale constituante (ANC). Il a donc besoin de partager le pouvoir pour parvenir à la majorité absolue, comme ce fut le cas avec la troïka, quand le parti Ennahda s'est associé au CPR du président de la République, Moncef Marzouki (29 sièges), et Ettakattol du président de l'ANC, Mustapha Ben Jaâfar (20 sièges). Manœuvres Aujourd'hui, ces deux alliés ne sont plus aussi forts. Le CPR ne dispose plus que d'à peine 13 sièges, alors qu'Ettakattol n'en a que 11. Ce dernier n'a toutefois pas manqué d'exprimer ses divergences par rapport à Ennahda dans les dernières tractations sur le remaniement. Ettakattol est intransigeant dans sa requête d'accorder les ministères de souveraineté (Intérieur, Justice, Affaires étrangères, en plus de la Défense) à des indépendants. Il ne s'est pas encore prononcé sur ses intentions envers l'équipe de Jebali. Toutefois, l'aile dissidente du CPR, le groupe Wafa de Abderraouf Ayadi, est disposée à prêter main-forte à ce gouvernement, tout comme le bloc parlementaire Liberté et dignité, composé de 11 sièges, qui a régulièrement soutenu les positions prônées par la troïka au sein de l'Assemblée. Ensemble, ces blocs parlementaires peuvent assurer au gouvernement Laâreyedh une majorité, oscillant entre 120 et 135 sièges, garantissant l'obtention de la confiance à l'Assemblée. Toutefois, comme la phase traversée par la Tunisie est très délicate, chacun tente de trouver la feuille de route la plus consensuelle possible, Ali Laâreyedh va essayer d'éviter les coups de foudre de l'opposition en neutralisant quelques ministères de souveraineté On parle déjà d'un indépendant, Samir Annabi, à la tête du ministère de la Justice. Ennahda a également donné des signes clairs de vouloir «laisser» le ministère des Affaires étrangères. Ne reste posé que le cas du ministère de l'Intérieur que les islamistes ne veulent lâcher qu'en contrepartie de l'élargissement de l'alliance gouvernementale à des personnalités du bloc démocratique, notamment du Parti républicain de Néjib Chebbi ou de l'Alliance démocratique de Mohamed El Hamedi. Or, ces derniers refusent de rallier le gouvernement et limitent «leur offre» à le soutenir si jamais son programme comprend l'indépendance des ministères de souveraineté et du ministère des Affaires religieuses, ainsi qu'un calendrier précis pour les échéances électorales. La partie est loin d'être jouée aussi bien pour Ennahda que pour ses détracteurs au sein de l'opposition.