Ils sont 1000 disséminés à travers tout le territoire national. Les villages socialistes, mis en place en 1973 par Boumediène, devaient améliorer les conditions de vie précaires des paysans. Aujourd'hui, ils ont beaucoup changé. «Il y a quarante ans, raconte Ali, 65 ans, chèche jaune vissé sur la tête, il n'y avait rien ici. Puis tout a poussé comme des champignons, avec des habitations modernes.» Epiceries, taxiphones, cafés… Dans la rue principale, la vie s'organise autour de commerces classiques. Rien ne laisse penser que Bougous, village de l'extrême est du pays, à quelques kilomètres de la frontière tunisienne, était destiné à devenir l'un des fleurons de la Révolution agraire chère au président Houari Boumediène. «Moi, par exemple, je vivais dans un douar, dans un simple gourbi. L'Etat a fait venir les gens ici pour apporter du neuf à l'agriculture. Elle en avait besoin après tout ce que nous avait fait la France coloniale», raconte encore Ali. A l'origine, Bougous était un ensemble de maisons identiques, blanches au toit rouge, lointaine influence de l'ami soviétique d'alors. «Nous voulions faire de ces villages des modèles, non seulement pour l'Algérie, mais pour toute la région, explique ammi Rabah, 75 ans, qui a, lui aussi, vu la naissance de ce village. «L'Algérie était socialiste, et je pense que Boumediène avait fait le bon choix en matière de développement économique. Ce sont ses successeurs qui ont tout remis en cause, et regardez maintenant le résultat ! Boumediène savait mieux que quiconque ce qu'il fallait pour l'Algérie, il fallait lui faire confiance et continuer sur la même voie après lui.» Un élu de la commune de Dréan, près de Bougous, qui a voulu garder l'anonymat, malgré ses sympathies pour l'ex-parti unique, estime au contraire que ces villages constituent un «grand gâchis». «Pour construire de tels villages, explique-t-il, il fallait d'abord éduquer nos fellahs ! Au lieu de devenir des villages à vocation agricole, ils sont devenus des sortes de cités-dortoirs. Boumediène a fait la confusion entre révolution agraire et industrie industrialisante, analyse-t-il. Les gens se sont installés dans la région non pas pour travailler la terre, mais pour aller travailler au complexe sidérurgique d'El Hadjar, à Annaba. Et ces villages socialistes sont finalement devenus des symboles de l'exode rural.» Mechta Un autre élu à l'APW d'El Tarf nuance : «Non, tout n'est pas désastreux. Nous produisons encore en Algérie, et c'est là l'essentiel. A mon avis, il serait souhaitable de repenser tous ces anciens villages socialistes, de les réaménager en nouveaux centres agricoles plus modernes, plus attractifs, plus conformes à l'idéologie dominante actuellement. Je suis persuadé que Boumediène lui-même aurait agi ainsi.» Bougous, à l'instar d'autres villages socialistes, disposait de commodités (école, mairie, bureau de poste, dispensaire…) qui auraient pu améliorer les conditions de vie des fellahs. Mais quarante ans après, le constat est sinistre. Tout a été «complètement défiguré», comme le reconnaît Hichem, 35 ans, qui affirme être né et avoir grandi ici. «Regardez les habitations, rien ne ressemble à ce qui existait à l'époque, même la mosquée a changé de look ! Certes, elle est devenue plus grande, mais il n'y a rien qui puisse faire comprendre que nous sommes les habitants d'un village censé incarner le travail de la terre.» Ammi Smaïl, 70 ans, barbe de trois jours, chéchia blanche sur la tête, n'y vas pas par quatre chemins : «Village socialiste ? Quel socialisme ? L'Algérie n'a jamais été un pays socialiste et ne le sera jamais. Le socialisme, c'est pour les pays développés culturellement, par un pays comme le nôtre ! Nous aurions dû rester tranquillement dans nos mechtas et travailler le minuscule lopin de terre que nous avions. Regardez à quoi ressemble Bougous, ce n'est plus un village socialiste, mais un bidonville géant. Oqsimoubillah, Boumediène ghlat !» Aïcha, l'une des rares femmes qui a bien voulu nous parler, est catégorique : «Il faut revoir de fond en comble l'idée de ces villages. D'ailleurs, nous devrions inviter Amara Benyounes (ministre de l'Aménagement du territoire, ndlr) à venir ici et constater de ses propres yeux ce que le village est devenu. Peut-être qu'il aura des idées pour rendre Bougous plus agréable à voir et à vivre aussi.»