Le long métrage documentaire de Hamid Benemra, Bouts de vies, bouts de rêves, consacré au peintre et graphiste algérien Mustapha Boutadjine, a été projeté à la salle Burkina à Ouagadougou. Ouagadougou (Burkina Faso) de notre envoyé spécial Mustapha Boutadjine, artiste algérien connu par ses collages, regrette dans le film documentaire de Hamid Benemra, Bouts de vies, bouts de rêve, en compétition officielle au 23e Festival panafricain de cinéma et de télévision de Ouagadougou (Fespaco), que l'Algérie tourne le dos à la mer. Explication de ce natif du quartier «La glacière» d'Alger : «Tous les méditerranéens vivent de la mer. Nous, c'est tout à fait le contraire.» Sa déclaration est faite sur fond de la chanson Babor zamar khach al bahar. Il est évident que la mer n'est pas le thème principal de la démarche artistique de Mustapha Boutadjine, défenseur convaincu des idées de gauche. A travers la technique du collage de bouts de papiers, il a dressé le portrait de centaines de personnalités. «Ma matière première est gratuite. Je recycle les revues de la bourgeoisie en des images plus engagées», a-t-il expliqué montrant une pile de magazines dans son atelier parisien. L'artiste reprend à sa manière le graphisme des revues, les couleurs et les traits pour «refaire» des tableaux à l'esthétique particulière. D'où le surnom qui lui est donné de «serial colleur». «Je me suis retrouvé dans le même concept de Jacques Dérida, la déconstruction. Je détruis pour reconstruire, détourner un matériau», a-t-il détaillé. Le philosophe français, qui est né à Alger, est un adepte de la philosophie post-moderne, attachée à l'esthétisme, à la déconstruction et au «dépassement» de la métaphysique. A travers les œuvres de Mustapha Boutadjine, Hamid Benemra a rendu hommage aux «révolutionnaires» qui ont contribué au combat libérateur des Algériens comme Djamila Bouhired, Ali Lapointe, Frantz Fanon, Henri Alleg, Fernand Iveton, Maurice Audin. D'ailleurs, son documentaire commence par Qassaman. Dans Bouts de vies, bouts de rêves, Henri Alleg, militant communiste, évoque «les méthodes» de la colonisation française : «torture, massacres, interdiction d'ouvrir des écoles, bombardements de douars...». Mustapha Boutadjine a rappelé que Henri Alleg, journaliste à Alger Républicain, fut parmi les premiers à avoir dénoncé la torture. «Abane Ramdane a essayé de rassembler toutes les tendances prônant la suprématie du politique sur le militaire», a souligné l'artiste. Hommage est également rendu à des artistes et des écrivains tels que Mohamed Adar, Meriem Makeba, Aziz Dega, Mahmoud Derwiche, Louis Armonstrong, Cesaeria Evora, Miles Davis, Rachid Mimouni et Kateb Yacine. Mustapha Boutadjine a estimé que l'auteur de Nedjma est un héros national. Kamel Kerbouz, ancien directeur du Théâtre régional d'Annaba, a confié devant la caméra de Hamid Benemra : «En Algérie, les artistes ressemblent à de la zlabia. Ils ne sont consommés que durant le mois du Ramadhan !» Mustapha Boutadjine a parlé de son quartier de naissance et a plaidé pour l'architecture populaire visible au niveau de «La glacière». Les anciens champions de boxe et les chanteurs châabi de ce quartier de l'Est d'Alger sont évoqués dans le documentaire. L'africanité et la souffrance de l'homme noir y sont présentes aussi. «Je n'ai pas oublié que les ancêtres ont été exposés comme des animaux dans les zoo en France. Je ne veux pas qu'on porte leur histoire dans les couloirs des archives», a déclaré la danseuse Joe Coco. Mustapha Boutadjine, qui défend une certain idéal internationaliste, évoque aussi l'arbitraire subi par les peuples rom et gitan, pourtant européens comme tous «les décideurs» de Bruxelles. Il a dressé aussi des portraits d'Abraham Serfaty, de Fidel Castro, de Che Guevara, du couple Rosenberg, d'Emiliano Zapata, de Steve Biko, de Toussaint Louverture, de Malcom X, de Martin Luther King, de Mumia Abu Djamal, des Black panthers. Formé à l'Ecole des beaux-arts d'Alger, Mustapha Boutadjine a suivi des cours à l'école des arts décoratifs de Paris. Son exposition «Black is toujours beautiful» l'a rendu célèbre dans le milieu de l'art engagé. Le film de Hamid Benemra est accompagné par les percussions de l'artiste algérien Abdelmadjid Guemguem, connu par Guem. Originaire de la région de Batna, cet artiste, noir de peau, est connu par des albums tels que Couleurs pays et Rose des sables. Bouts de vies, bouts de rêves est filmé comme la thématique qu'il développe : le collage, la fragmentation, la construction/recontruction. Le documentaire suit une rythmique intéressante, même s'il traîne en longueur, ce qui peut lasser le spectateur. Le réalisateur ne s'est pas attardé comme il le faut sur un élément important du parcours artistique de Mustapha Boutadjine, la conception du célèbre logo de l'Entreprise algérienne de distribution de produits pétroliers, Naftal. A peine quelques secondes. Ce n'est pas suffisant. Clairement marqué sur le plan idéologique, Bouts de vies, bouts de rêves plaide pour une certaine vision du monde. On peut aimer ou pas. Hamid Benemra ne cédera pas d'un iota. C'est un engagement politique assumé. Totalement. Face au public de la salle Burkina à Ouagadougou, Hamid Benemra a confié qu'il avait commencé à faire du cinéma au début des années 1980. Il a rendu hommage à sa défunte mère, infirmière au maquis durant la guerre de Libération nationale qui lui avait parlé de l'utilisation du napalm par l'armée française. Aux journalistes, Hamid Benemra a regretté la non-sélection de son film dans les festivals occidentaux.