Jeudi matin, soit au lendemain de l'enterrement de Haroun et Brahim, c'est la matinée du «tombeau» (sbah lakbar). Une foule impressionnante composée de parents, proches et voisins des familles des victimes, s'est rassemblée à l'Unité de voisinage (UV 18), dans le quartier, au bas des immeubles où résident les familles endeuillées. En dépit du froid sibérien, de la pluie incessante et parfois de la neige qui s'abattent sans répit depuis deux jours sur la région, tout ce monde a tenu à aller se recueillir sur les tombes des enfants martyrs. Cinq bus de l'université et deux de l'Entreprise de transport de Constantine (ETC) leur ont été fournis par les autorités de wilaya pour rallier le cimetière de Zouaghi de Aïn El Bey, situé à 18 km de la nouvelle ville Ali Mendjeli. La maman de Haroun, Nadra, une très jeune femme, a trouvé le courage d'aller se recueillir sur la tombe de son fils. Encore silencieuse. La dernière fois qu'elle a parlé c'était mardi avant que la nouvelle lui coupe la voix : «Nous rendons régulièrement visite aux grands-parents paternels de mes enfants ici à l'UV 18 (eux, ils habitent 5 km plus loin à l'UV 13, ndlr) et samedi nous sommes arrivés mes 4 enfants et moi vers 14 h ; Haroun est le copain de Brahim, dès qu'ils se voient, ils ne se quittent plus. Vers 16h30, j'ai demandé à Abderrahmane (le jumeau de Haroun) d'appeler son frère pour retourner chez nous, et il l'a fait, sans trop de conviction, vous connaissez les gosses…» Hier, elle était accompagnée par des voisins, des proches et des personnes qui voulaient seulement apporter leur soutien. Ils avaient tous le visage livide, ravagé par le chagrin. «Ce n'est pas parce qu'ils sont morts qu'on dit de belles choses sur eux ; ils étaient réellement angéliques, et si mignons !» se sont-ils écriés. La maman de Brahim, quant à elle, a été mise sous tranquillisants. Elle ne peut même pas bouger, nous a péniblement fait savoir sa fille Hadil, une adolescente de 17 ans, qui nous a fait, à son corps défendant, ce témoignage poignant au bas de l'immeuble : «Brahim était l'unique garçon. Nous sommes 6 filles et un garçon. C'était le petit frère le plus doux du monde, très obéissant…» Petite pause suivie d'un bref sanglot. «Mardi à 13 h, reprend-elle, j'ai entendu un grand bruit de foule dehors, je suis sortie en courant parce que les gens criaient ‘‘l'gawhoum, l'gawhoum'' (ils les ont retrouvés), mais après j'ai entendu : ils ont été tués, leurs corps sont dans des sacs. Je suis retournée à la maison, et j'ai trouvé ma mère consciente et joyeuse. D'autres personnes de la famille lui ayant dit qu'ils étaient vivants. J'ai décidé de tout lui dire, d'un trait. Alors, elle s'est effondrée sans un cri.» La jeune fille, submergée par le désespoir, nous a laissé et a couru vers la maison. Un proche voisin de la famille de Haroun nous a confié que le père de ce dernier, accablé par le chagrin, s'est, à plusieurs reprises, cogné la tête contre le mur. L'angoisse des enfants et des parents Les enfants refusent d'aller à l'école, et ce, depuis dimanche. Les plus petits, ne parlent que d'enlèvement, que de monstres qui découpent les enfants en morceaux, que d'hommes encagoulés qu'ils auraient aperçus dans tous les coins… Il faut dire que les adultes non plus n'arrivent pas à gérer cette situation qui les dépasse, et dépasse du reste toute la population. Ils ont le sentiment d'être abandonnés. «Nous sommes parqués dans un désert perdu, où il n'y a aucune sécurité. Il existe seulement deux commissariats pour une ville de 300 000 habitants», s'insurge un père de famille.