Tôt dans la matinée d'hier, des milliers de citoyens, des jeunes pour la plupart, ont afflué de toutes parts, y compris des communes et localités limitrophes, vers le centre-ville de Constantine. Les établissements scolaires étaient fermés. Tous les commerces et autres activités étaient interrompus à la nouvelle ville Ali Mendjeli, dont les 300 000 âmes donnaient l'impression d'avoir disparu. C'était une ville morte. Les rares magasins qui étaient encore ouverts à 9h à Constantine se sont dépêchés de baisser rideau à leur tour, dès l'afflux des premiers manifestants. A partir de 9h30, la place du 1er Novembre, en face de la cour de Constantine, et la place des Martyrs jusqu'au boulevard Belouizdad (ex-Saint-Jean) étaient noires de monde. Il faut dire qu'auparavant, plusieurs marches, moins importantes, avaient eu lieu au centre-ville. L'on pouvait entendre de loin une véritable marée humaine scander : «La loi du talion (elkissas)», «Appliquez la peine de mort pour les assassins» ! Une colère qui n'a pas baissé depuis plusieurs jours. C'est un seul et unique cri de révolte, extraordinairement fédéré, qui fusait d'une foule chauffée à blanc. Le mot d'ordre, qui se définit comme «une initiative citoyenne spontanée», mais dont on ignore les tenants et les aboutissants, lancé à partir de mercredi via des milliers de tracts appelant «tout le peuple algérien à observer une journée de deuil et de protestation pacifique, pour dénoncer ce crime infâme et réclamer la peine de mort», a été totalement suivi par la population. Les prêches de vendredi, qui ont tous été axés sur «ce crime ignoble», ont également marqué les esprits et persuadé la population de la nécessité d'une action d'éclat pour dénoncer ce crime que personne n'a réussi à dépasser. Accès de colère Vers midi, alors que cette marche pacifique s'annonçait sous les meilleurs auspices, des jeunes sortent brusquement des rangs et commencent à jeter des pierres en direction du portail de la cour de justice et du siège de la sûreté du 10e arrondissement lui faisant face. Un fracas de verre provenant, selon des gens qui se trouvaient à proximité de la cour de justice, des fenêtres des lieux cités, se fait brusquement entendre. Plusieurs citoyens, dont des femmes et des agents de la Sûreté nationale, sont blessés par les pierres qui pleuvent sans répit. Un fourgon de la police est renversé et une partie des bordures séparant les allées de la place des Martyrs a été saccagée et des plants dévastés. Une dizaine d'émeutiers sont alors arrêtés. La brigade antiémeute arrive en renfort, usant de gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants, ou du moins les éloigner de la cour de justice et du commissariat. Un mouvement de panique s'empare de la foule, qui fuit dans toutes les directions à travers la ville. Immédiatement après, d'importants renforts de la Sûreté nationale sont dispatchés au niveau de toutes les artères principales de la ville pour éviter que l'émeute ne devienne totalement incontrôlable. Il faut relever que ce mouvement citoyen n'a pas eu lieu sans une certaine interférence des islamistes. Des salafistes, portable collé à l'oreille, ont été aperçus courant dans tous les sens. D'autres étaient, nous dit-on, en communication directe avec certaines chaînes de télévision. Par ailleurs, nos sources rapportent que des jeunes ont tenté d'investir, vers 11h, le commissariat de la nouvelle ville Ali Mendjeli et que des policiers les ont repoussés, heureusement sans dégât. De leur côté, les travailleurs de la Fonction publique ont observé, sous l'égide du Snapap, un arrêt de travail d'une heure – de 11h à 12h – pour dénoncer, selon un communiqué envoyé à notre rédaction, «le lâche crime des deux enfants Haroun et Brahim et réclamer un châtiment exemplaire pour ses auteurs». Le Front national pour les libertés (FNL) a également envoyé un communiqué dans lequel il «dénonce le crime odieux contre les deux innocentes victimes» et réclame «la peine maximale». A l'heure où nous mettons sous presse, les abords de la cour de justice et du commissariat du 10e arrondissement sont toujours sous haute surveillance de la brigade antiémeute.