Corruption, détournement de biens publics, abus de confiance et association de malfaiteurs. Soixante-quinze accusés appartenant au système Khalifa seront à nouveau jugés par le tribunal criminel de Blida à partir de mercredi, car la défense et le ministère public se sont pourvus en cassation. El Watan Week-end vous récapitule ce qu'il faut savoir de l'affaire. -1-Qui est Rafik Khalifa ?
Rafik Abdelmoumène Khalifa, 47 ans, obtient un diplôme de pharmacie après des études chez les jésuites. Son père, Laroussi Khalifa, est le fondateur de la sécurité militaire. Il a été ministre de l'Industrie et de l'Energie de Ahmed Ben Bella de 1962 à 1963 avant d'être envoyé en prison pendant 2 ans pour son opposition à Houari Boumediène puis de prendre la tête d'Air Algérie. En 1990, Rafik Khalifa reprend la pharmacie de son père à Chéraga (Alger). Rafik Khalifa est déjà doué en affaires. Dans une biographie qu'il a écrite, il affirme acheter en Chine et en Inde des médicaments très consommés comme la vitamine C ou l'aspirine. Le conditionnement se fait dans son arrière-boutique. Au milieu des années 1990, il décide de se lancer dans la construction de ce qui deviendra un empire. Il vend une villa héritée de son père et bénéficie d'un crédit auprès de la Banque de développement local (BDL) d'un montant de 950 milliards de dinars. Avec cette somme, il peut fournir l'argent nécessaire à la constitution du capital d'une nouvelle banque privée. El Khalifa Bank naît en 1998. -2-Quelle est l'ampleur de son «empire» ? Rafik Khalifa met sur pied une banque privée de droit algérien. Moins d'une année plus tard, le marché aérien algérien s'ouvre aux entreprises privées. Le pharmacien lance Khalifa Airways pour concurrencer Air Algérie. Fin 2001, la compagnie possède 30 appareils et transporterait 800 000 passagers. Cette nouvelle compagnie ouvrira aussi une école de pilotes. En Algérie, Rafik crée Khalifa Location (KFC), une agence de location de véhicules. Le groupe Khalifa est aussi très impliqué dans le monde sportif. Grâce à sa banque, Rafik Khalifa propose des partenariats aux clubs de foot locaux et sponsorise des voitures de course. En juin 2001, il parvient à devenir le sponsor de l'Olympique de Marseille. En 2002, le jeune entrepreneur lance une télévision privée depuis Paris, Khalifa TV. Pour y travailler, il n'hésite pas à débaucher les journalistes des médias nationaux, comme Maâmar Djebbour. Pour le lancement de la chaîne, il organise une immense fête dans une luxueuse villa de Cannes, où il invite les stars du showbiz international. Les fêtes démesurées se renouvelleront, parfois en payant les célébrités pour s'assurer de leur présence. Rafik Khalifa est désormais un goldenboy auquel l'Etat fait appel pour s'introduire auprès de gouvernements étrangers. -3-Que lui reproche la justice ? En novembre 2002, les transferts de capitaux du groupe vers l'étranger sont bloqués par la Banque d'Algérie. Quatre mois plus tard, trois cadres de Khalifa TV sont arrêtés à l'aéroport d'Alger avec deux millions d'euros en liquide alors qu'ils s'apprêtaient à s'envoler pour Paris. El Khalifa Bank a un trou de 3,27 milliards de dinars dans sa caisse. Les différentes enquêtes et les auditions pendant le procès révéleront la mise en place d'un véritable système mafieux qui fera perdre 200 milliards de dinars à des entreprises publiques et des organismes nationaux comme l'AADL, l'OGPI mais aussi à la CNAS, la Casnos et la CNR. Lors de la création de sa banque, Rafik Khalifa envoie ses émissaires faire le tour des entreprises publiques pour les convaincre de placer leur argent chez El Khalifa Bank. La promesse ? Des intérêts de 8 à 15% sur les sommes déposées, alors que les autres banques ne proposent que 3 à 10%. En échange de leur accord, les dirigeants des organismes publics reçoivent de beaux cadeaux, comme des voyages gratuits sur Khalifa Airlines ou des cartes d'accès au complexe de thalassothérapie de Sidi Fredj. La fameuse académie de la compagnie aérienne ne recrute ses élèves que parmi les enfants de tous ces responsables qui ont conclu des partenariats avec le groupe Khalifa. De même, de nombreux responsables ont pu bénéficier de prêts, disponibles en liquide, qu'ils n'ont jamais remboursé en totalité. Les comptes de la banque Khalifa ont systématiquement été manipulés pour ne pas éveiller trop de soupçons. -4-Qui d'autre est mis en cause ? Tout le système Khalifa se basait sur l'illégalité des transactions financières. Un seul exemple révélateur : un jour, Rafik Khalifa se rend à l'agence de Chéraga de sa banque, accompagné du directeur de la compagnie aérienne Antinéa Airlines, une compagnie qu'il venait d'acheter. Le PDG de Khalifa demande l'ouverture immédiate d'un compte pour son collaborateur. Le directeur d'agence s'exécute, puis Rafik Khalifa demande que l'on retire 208 millions de dinars du compte en banque dont le solde est… zéro. Les retraits en liquide de ce type sont la règle dans le système Khalifa. Il suffisait aux collaborateurs de présenter aux directeurs d'agence un petit bout de papier signé de Rafik Khalifa pour pouvoir retirer l'argent, à titre de «crédit» sans aucun contrôle ni aucune justification des dépenses. L'une des autres principales accusations est celle de corruption. Les failles dans la gestion de la banque sont signalées à la Banque d'Algérie dès 2000. Les ministres de tutelle de chacun des organismes publics ayant investi dans El Khalifa Bank connaissent la situation, mais personne ne s'alarme. Autre signe, de l'immensité du système de corruption, le transfert de 20 millions d'euros vers l'étranger, alors que le commerce extérieur de Khalifa était bloqué par la Banque d'Algérie. Les journalistes qui sont invités à couvrir certains événements par le groupe Khalifa se voient offrir des enveloppes contenant 3000 à 5000 francs français (45 000 à 75 000 DA). Au-delà de Rafik Khalifa, ce sont donc tous les intermédiaires, les directeurs d'agence bancaire, les responsables des organismes qui ont investi dans Khalifa et toutes les personnes ayant bénéficié d'avantages qui sont mises en cause. Pour autant, certaines parties dénoncent le fait que la justice a, d'elle-même, évité à certains responsables politiques de rendre des comptes, en les écartant de l'arrêt de renvoi. -5-Que risquent les accusés dans ce nouveau procès ? Lors du procès de 2007, Rafik Khalifa a été condamné, en son absence, à la prison à perpétuité. Il est emprisonné au Royaume-Uni, alors que l'Algérie a obtenu son extradition. Djamel Guellimi, directeur général de Khalifa TV, reconnu coupable d'association de malfaiteurs, a été condamné à 15 ans de prison et à une amende d'un million de dinars. Le caissier principal d'El Khalifa Bank et les responsables des agences ont écopé de 10 ans de prison. Des peines de 2 à 5 ans ont été prononcées à l'encontre des différents intermédiaires et responsables d'organismes publics ayant investi dans Khalifa. A l'époque, Mourad Medelci, alors ministre des Finances, le patron de l'UGTA, Sidi-Saïd, et le chef du MSP, Bouguerra Soltani, avaient comparu comme témoins sans être inquiétés. Ils ne devraient pas l'être cette fois non plus. Seuls 75 des 104 accusés de la première instance sont à nouveau convoqués devant le juge Antar Menouar. Les audiences pourraient permettre d'éclairer certaines zones d'ombre, pour autant, les peines sont conformes au code pénal. La corruption d'un agent public, l'obtention d'avantages injustifiés dans des marchés publics, le recel et les autres faits de corruption sont punis d'un emprisonnement de 2 à 10 ans et d'une amende de 200 000 DA à 1 000 000 DA.