La décision administrative prise par les autorités algériennes d'agréer les trois chaînes privées de télévision, El Djazaïria, Ennahar TV et Echourouk, relève d'un cas de jurisprudence atypique qui n'a pas son pareil dans le monde de l'audiovisuel. N'ayant aucune assise légale en Algérie, l'intrusion de ces chaînes qualifiées d'offshore du fait de leur statut de droit étranger ont été malgré tout tolérées pendant de longs mois, voire courtisées par le pouvoir qui encourage ministres et autres représentants de l'Etat à squatter les plateaux et les débats organisés sur ces nouvelles chaînes. En mal de légitimité, le pouvoir a laissé faire ces nouvelles chaînes, dont il espérait tirer avantage pour tenter de crédibiliser le discours officiel en faisant un support de substitution aux médias officiels trop marqués par leur asservissement génétique à ce même pouvoir. La bienveillance avec laquelle ces télévisions sont traitées par le pouvoir a laissé sceptique l'opinion publique avertie quant à la révolution cathodique annoncée avec l'arrivée de ces nouvelles chaînes privées dans le paysage audiovisuel national. Pour insolite qu'elle soit, l'ouverture – par effraction mais non moins consentie par le pouvoir – du champ télévisuel au privé ne pouvait que produire des situations ubuesques, où la décision administrative prime le droit. Alors que l'on annonce pour bientôt l'adoption de la loi sur l'audiovisuel, il y a lieu de se demander pourquoi les pouvoirs publics font montre d'un tel empressement pour «légaliser» les trois chaînes privées par voie administrative en les accréditant sous le statut d'entreprises de presse étrangère ? Pourquoi cette mise en conformité tardive par rapport à la loi, au souvenir de laquelle le pouvoir s'est subitement rappelé, n'a-t-elle pas été invoquée et opposée aux responsables de ces chaînes plus tôt ? Dans l'attente de la promulgation de la loi sur l'audiovisuel, les autorités auraient bien pu continuer à fermer les yeux et à s'accommoder de ces chaînes, comme elles le font avec une complaisance non feinte depuis une année. Elles ont opté pour un autre choix qui ne fait qu'ajouter à l'opacité dans laquelle on semble préparer dans l'antichambre du pouvoir l'ouverture de l'audiovisuel au privé. Ces chaînes, qui sont toutes de droit étranger et au contenu généraliste, vont-elles changer d'abord de statut pour devenir des chaînes nationales, et ensuite, de vocation pour se transformer en télévisions exclusivement thématiques, si cette conditionnalité contenue dans le projet de loi du gouvernement est approuvée par le Parlement ? Avec cette mesure administrative, le pouvoir n'a fait que baliser, dans le sens d'un plus grand verrouillage, le paysage audiovisuel, en envoyant un message aux éventuels nouveaux candidats porteurs de projets de création de télévisions privées que ne seront désormais autorisés à activer que les projets qui obtiendront l'agrément de l'administration. Lequel agrément, comme pour le quitus des partis politiques, sera délivré, selon les usages politiques bien établis, à la tête du client, suivant une sélection rigoureuse, pour ne retenir que les projets jugés «politiquement corrects» par le pouvoir. Les contours de la configuration du champ audiovisuel de demain se précisent de plus en plus.