Tout le monde, et le Soudan en premier lieu, attend avec un certain intérêt les conclusions que le Conseil de sécurité de l'ONU doit tirer à la suite du rapport que lui adressera le secrétaire général Kofi Annan, concernant la crise dans la province soudanaise du Darfour. A la suite d'un premier rapport en juillet dernier, et d'un ultimatum en règle de tout juste trente jours, les choses semblaient bouger avec la reprise laborieuse, il est vrai, des pourparlers de paix, et des gestes de bonne volonté de Khartoum, apparemment sans résultat. Pire, les autorités gouvernementales sont accusées de duplicité pour avoir, semble-t-il, autorisé l'ouverture de camps d'entraînement des milices partagés parfois avec l'armée gouvernentale. Ou encore, les accusations de viols et de mauvais traitement formulées lundi, soit quelques heures à peine avant la présentation par Kofi Annan de son rapport. Il n'était donc pas étonnant hier que les Etats-Unis et les organisations internationales prônaient toujours la fermeté avec Khartoum, avant le verdict du Conseil de sécurité. En tournée au Darfour depuis lundi, le secrétaire d'Etat adjoint aux affaires africaines, Constance Newman, devait rencontrer hier les responsables soudanais pour les presser de mettre fin à la crise qui secoue depuis dix-huit mois cette région de l'ouest soudanais. Autrement, assure-t-on à Washington, « le Conseil de sécurité décidera d'agir » en imposant éventuellement des sanctions. L'instance onusienne, rappelle-t-on, avait accordé le 30 juillet un délai de trente jours au Soudan, sous peine de prendre des « mesures », pour rétablir la sécurité au Darfour, notamment par le désarmement des milices progouvernementales djandjawids, et l'acheminement sans entraves des aides alimentaires aux déplacés. La guerre civile au Soudan a fait entre 30 000 et 50 000 morts depuis février 2003, tandis que 1,5 million de personnes environ sont affectées par une « crise humanitaire sans précédent » dans le monde, selon les organisations humanitaires internationales. 1,2 million de déplacés sont installés dans des camps de fortune autour des grandes villes du Darfour (El Facher, Geneina et Nyala) et 180 000 se sont réfugiés au Tchad voisin, selon les estimations des agences internationales. En ce qui les concerne, les autorités soudanaises affirment avoir bien entamé le programme d'action convenu avec le représentant de l'ONU à Khartoum, Jan Pronk, pour répondre aux exigences du Conseil de sécurité et attendent un « verdict de clémence ». « Le programme est en train d'être réalisé pour assurer plus de sécurité et plus d'aide dans la région. Nous allons réussir et nous voulons faire avec les Nations unies un modèle exemplaire de coopération », a déclaré dimanche le ministre des Affaires étrangères soudanais, Mostafa Osman Ismaïl. Il a été largement relevé que Khartoum a considérablement facilité les démarches d'accès au Darfour pour les organisations humanitaires, déployé près 10 000 policiers pour sécuriser les camps de déplacés et abaissé de 30% l'état d'alerte parmi les réservistes de l'armée, dont 1500 ont déjà remis leurs armes aux autorités. Mais, selon les organisations humanitaires, les déplacés ont encore peur de regagner leurs villages malgré les assurances des autorités et restent la proie des djandjawids dès qu'ils s'aventurent autour des camps à la recherche de bois. Un grand nombre de viols a encore été enregistré, selon le Haut Commissariat des Nations pour les réfugiés (HCR). Le gouvernement a également signé avec l'Office international des migrations (OIM) un accord par lequel il s'engage à lui soumettre toutes les demandes de retour des déplacés pour qu'il vérifie qu'elles sont « volontaires ». Khartoum affirme que des milliers de personnes sont rentrées chez elles depuis quelques semaines, mais beaucoup de ceux qui sont rentrés sont retournés dans les camps faute de sécurité dans leurs villages. En outre, des déplacés et des partis d'opposition soudanais accusent le gouvernement d'avoir converti les djandjawids en policiers et en gardes-frontières au lieu de les désarmer, ce que les autorités démentent en affirmant qu'une telle « accusation est simplement risible », selon le directeur de la police d'Al Facher. Dans le même temps, les délégations soudanaises, gouvernementales et rebelles, devaient se retrouver hier après avoir étudié un projet de résolution soumis par l'Union africaine (UA), destiné à améliorer la situation humanitaire dans cette province. Cette résolution, qui permettrait d'obtenir du gouvernement soudanais qu'il réaffirme son engagement à retirer ses troupes des camps de déplacés, est considérée comme une première étape essentielle avant d'aborder la sécurité ou un éventuel accord politique. En particulier, en vertu de cette résolution, les agences humanitaires de l'ONU pourraient circuler à leur aise de part et d'autre de la frontière soudanaise entre la province du Darfour et le Tchad. « Une position de compromis doit être dégagée afin de faire avancer les négociations et de convaincre la communauté internationale que ce qui se passe à Abuja est significatif », a déclaré un négociateur nigérian. « Le gouvernement est prêt à conclure un partenariat solide avec la communauté internationale afin que le problème du Darfour soit résolu sur une base consensuelle », avait déclaré dimanche soir le vice-ministre soudanais des Affaires étrangères, Najib Abdoulwad. « Nous attendons une formule raisonnable qui pourrait permettre de résoudre rapidement la crise humanitaire au Darfour », avait de son côté rétorqué le chef des négociateurs du Mouvement pour la justice et l'égalité (JEM, rébellion), Ahmed Mohammed Tugod, tout en accusant Khartoum de chercher à utiliser des « tactiques visant à alléger les pressions internationales ». Cependant le président de l'Union africaine et chef de l'Etat nigérian Olusegun Obasanjo, médiateur de ces pourparlers, a prévenu qu'il avait reçu confirmation, par les observateurs de l'UA sur le terrain, de récentes attaques des forces soudanaises contre les civils du Darfour et prévenu Khartoum que de telles violations du cessez-le-feu pourraient faire capoter les négociations. En ce sens, les accusations ne sont pas le fait d'une seule partie, elles proviennent de sources diverses jouissant toute d'une réelle crédibilité. Ce qui renforce la portée des pressions actuellement sur les autorités soudanaises pour aller au devant d'une guerre et trouver les solutions les plus adéquates. C'est encore une fois le devenir du Soudan en tant qu'Etat qui se trouve posé. Ce pays fait déjà face depuis 1983 à une autre guerre qui n'absorbe pas seulement l'essentiel de ses ressources, mais porte un coup sévère et peut être irrémédiable à son unité.