Cela fait presque huit ans que les démentis du gouvernement sur l'état de santé réel du président Bouteflika succèdent aux rumeurs les plus alarmantes. Effacé de la scène politique pratiquement depuis son hospitalisation, le 26 novembre 2005, à l'hôpital français du Val-de-Grâce pour, officiellement, un ulcère de l'estomac, le président Bouteflika a une nouvelle fois été trahi, ce week-end, par l'âge et sa santé déclinante. Une dépêche laconique de l'agence officielle APS a révélé que le chef de l'Etat a fait, hier vers 12h30, un «accident ischémique transitoire». Autrement dit, il a été victime d'un «mini-AVC». Se voulant néanmoins rassurant, le directeur du Centre national de médecine sportive, le professeur Rachid Bougherbal, s'est empressé de souligner que l'état de santé du premier magistrat du pays «n'occasionne aucune inquiétude». «Les premières investigations ont été déjà entamées et Son Excellence le président de la République doit observer un repos pour poursuivre ses examens», a ajouté le professeur Bougherbal. Combien de temps doit durer ce repos ? Le chef de l'Etat pourra-t-il reprendre normalement ses fonctions ? Le directeur du Centre national de médecine sportive n'a pas pris le risque de s'avancer sur la question. Il faut dire que l'initiative aurait été trop hasardeuse. Cela fait maintenant presque huit ans que les rumeurs sur l'état de santé réel du président Bouteflika succèdent aux démentis du gouvernement. Celui-ci se borne, à chaque fois, à affirmer que le chef de l'Etat va bien et qu'il est toujours capable de gouverner. Et entre un démenti et un autre, le président Bouteflika a souvent eu à séjourner dans des hôpitaux occidentaux. Au-delà, tout le monde s'accorde à dire que les spéculations ont été avant tout nourries par le secret qui a entouré la maladie du chef de l'Etat. C'est, du moins, ce qui s'est produit précisément lors de sa toute première hospitalisation en France. Durant cette période, les informations étaient très rares. Pour mettre un terme aux rumeurs, dont certaines étaient des plus alarmistes, la Télévision nationale a dû le filmer à sa sortie d'hôpital, le 17 décembre 2005. A cette occasion, M. Bouteflika avait même prononcé, d'une voix à peine audible, quelques mots qui se voulaient rassurants : «Le peuple n'a pas du tout à être inquiet. Nous n'avons rien à cacher. Nous avons tout dit, en totale clarté et en toute transparence. On ne peut être responsable d'un peuple et d'une nation et vouloir cacher des choses pour lesquelles nous devons rendre compte à Dieu.» Le professeur Zitouni contre le professeur Debré Le professeur Zitouni, son médecin traitant, lui emboîte le pas en soutenant mordicus qu'il s'agit bel et bien d'un ulcère hémorragique. «Cela a nécessité une intervention chirurgicale assez bénigne puisqu'elle n'a pas duré plus d'une heure», a-t-il attesté, avant de préciser que «cela a nécessité une période de suivi postopératoire de 30 jours et, de ce fait, nous sommes tout à fait dans les normes». Il glisse au passage que les rumeurs et les spéculations qui ont entouré cette affaire n'avaient «aucune base ni scientifique ni éthique». En réalité, la mise au point s'adressait surtout au professeur Bernard Debré, chef du service d'urologie de l'hôpital Cochin, en France. Celui-ci avait en effet exprimé de vives réserves quant au diagnostic officiel avancé. Dans un entretien au Parisien en date du 16 décembre 2005, il a déclaré : «Quand on a un ulcère simple à l'estomac, cela se traite en quelques jours. Quand on a un ulcère hémorragique, cela peut se traiter soit médicalement avec une fibroscopie, soit exceptionnellement en chirurgie, mais dans cette hypothèse-là, le post-opératoire ne dure pas plus de six jours. Il est donc disproportionné qu'il soit encore à l'hôpital.» Le professeur Debré s'était laissé aller à ce verdict : l'illustre patient souffrirait d'«un cancer de l'estomac avec des complications, c'est-à-dire qu'il a des ganglions, des métastases». Le docteur Debré concluait, catégorique : «La seule chose qu'on sache : ce qu'on nous dit sur sa santé ne peut pas être vrai.» Du coup, bien sûr, il remettait en cause la capacité du président Bouteflika à gouverner. Quand WikiLeaks remet tout en cause Toutefois, la polémique sera complètement enterrée après que le président Bouteflika eut regagné le pays, le 31 décembre 2005. Son hospitalisation au Val-de-Grâce, le 20 avril 2006, pour «une visite de suivi médical» ne suscitera par ailleurs aucune inquiétude du fait qu'entre-temps, il avait repris ses fonctions. La Présidence aura la paix jusqu'au jour où WikiLeaks viendra remettre tout en cause. Dans un câble daté du 3 janvier 2007 et rendu public par l'agence Reuters (dépêche du 24 février 2011), l'ancien ambassadeur américain, Robert Ford, rapporte les confidences d'un médecin proche de Bouteflika qui lui aurait tenu ces propos : «Un médecin, au fait de la santé du président Bouteflika, nous a affirmé dans la plus stricte confidentialité que le Président souffrait d'un cancer – comme cela était largement soupçonné – mais qu'il était actuellement en rémission, autorisant le Président à remplir sa fonction.» Dans un autre câble, en date du 19 décembre 2007, le même ambassadeur Ford rapporte la teneur d'une entrevue qu'il a eue avec le docteur Saïd Sadi. Voici ce qui ressort du télégramme en question : «Sadi nous a affirmé qu'il a eu une conversation récente avec le général Toufik Mediène et Mediène a reconnu que tout ne va pas bien avec la santé de Bouteflika et l'Algérie de manière générale.» Un autre câble de WikiLeaks, daté du 25 janvier 2008, fait état cette fois d'un échange entre Robert Ford et son homologue français, Bernard Bajolet. Ce dernier aurait avoué : «La santé de Bouteflika est meilleure et il pourrait vivre encore plusieurs années. Son rétablissement et son regain d'activité lui donnent plus de poids sur l'armée.» Mais le chef de l'Etat ne compte pas se laisser faire. Il est décidé à tordre lui-même le cou à la rumeur. A l'occasion d'une interview à Reuters en mars 2008, M. Bouteflika revient de manière énergique sur la polémique soulevée par son dossier médical : «Tout le monde sait que j'ai été malade et que j'ai dû subir une sérieuse convalescence. Mais maintenant, j'ai repris mes activités normalement et je ne pense pas que cette question devrait engendrer des commentaires ou des calculs, qui sont plus ou moins fantaisistes.» L'opinion le croira jusqu'au jour où il est de nouveau hospitalisé à Paris. C'était le 14 septembre 2011. Là, le doute se réinstalle au sein de l'opinion. Depuis, les alertes se sont faites nombreuses.