Après plusieurs semaines d'accalmie, la violence s'est à nouveau emparée de Tripoli, la capitale libyenne. Depuis le 28 avril dernier, des hommes armés encerclent, en effet, les ministères des Affaires étrangères et de la Justice. Le ministère des Finances a été également brièvement occupé lundi dernier. La raison ? D'anciens thowars (révolutionnaires) tentent de faire pression pour que le Congrès général national (CGN), la plus haute autorité politique de Libye formée de 200 membres, adopte une loi sur l'exclusion politique de collaborateurs du régime de Mouammar El Gueddafi. Ils ont menacé d'étendre leur action à d'autres institutions si le texte n'est pas voté rapidement. Face à ce chantage, le gouvernement a promis une «réponse ferme». Mais il est peu probable qu'il veuille vraiment aller à la confrontation. Tout le monde sait que sa capacité d'action est limitée dans la mesure où il n'a aucune assise sécuritaire. Dépourvu de moyens de riposte, l'Assemblée nationale libyenne a donc dû obtempérer. Les parlementaires libyens ont ainsi examiné hier au pied levé ce projet de loi controversé. Ce texte divise la classe politique, car il risque d'écarter plusieurs hauts responsables actuels. Craignant de voir la Libye s'enfoncer durablement dans la violence, des Organisations internationales de défense des droits de l'homme ont fermement condamné le forcing des milices qu'elles assimilent carrément à du banditisme. «Le CGN ne doit pas se laisser bousculer pour adopter de très mauvaises lois parce que des groupes d'hommes armés l'exigent», a estimé Sarah Leah Whitson, directrice de l'ONG Human Rights Watch pour le Proche-Orient et l'Afrique du Nord. «Les perspectives à long terme pour la paix et la sécurité en Libye seront fortement affectées si le Congrès accepte de plier», a-t-elle indiqué dans un communiqué transmis à la presse. Jibril et Zeidan sous la menace Selon le projet de loi en question, seront exclus de la vie politique durant cinq ans toutes les personnes ayant occupé des postes de responsabilité depuis le 1er septembre 1969, date de l'arrivée au pouvoir de Mouammar El Gueddafi et cela jusqu'à la chute de son régime en octobre 2011. Débattu maintes fois au CGN, il n'a pas fait consensus, car l'Alliance des forces nationales (AFN, libérale), qui a remporté les législatives de juillet 2012, estimait qu'il a été fait sur mesure pour exclure son chef, Mahmoud Jibril. Ce dernier était président du Conseil économique et social du temps d'El Gueddafi. S'il venait à être adopté dans sa forme actuelle, ce texte risquerait aussi d'écarter le Premier ministre, Ali Zeidan, et le président du CGN, Mohamed Al Megaryef, qui étaient tous deux des diplomates sous l'ex-régime avant de se ranger du côté de l'opposition en exil. Un compromis aurait été trouvé toutefois sur un projet de loi qui prévoirait des «exceptions», dont pourraient bénéficier des personnalités ayant appuyé la révolution de 2011. Cette clause d'exception épargne également les personnalités dont le maintien «sert l'intérêt national». Mais les milices ont averti qu'elles rejetaient toute exception. Les milices seraient-elles vraiment mues par le souci de prémunir «la nouvelle Libye» contre les velléités de retour aux commandes des anciens «gueddafistes» ? Beaucoup d'observateurs en doutent. Le bras de fer que celles-ci ont engagé avec le CGN ne serait, soutiennent des médias à Tripoli, qu'un «prétexte» qui cacherait d'autres calculs. Par ces actions spectaculaires, les thowars chercheraient en fait à renégocier le partage du «gâteau». En d'autres termes, ils veulent être intégrés au cœur même du pouvoir. Et toutes leurs manœuvres de ces derniers jours sont destinées justement à montrer leurs capacités de nuisance. Ces miliciens, ajoute-t-on, sont très probablement poussés par les mouvements islamistes, grands perdants des dernières élections. Des mouvements qui ne rêveraient aussi que de revanche et de conquête du pouvoir.