Secrétaire médicale aux urgences du CHU de Batna, Ouanassa occupe avec ses deux enfants un semblant de logis, où ils vivent dans des conditions de misère insoutenable. A la lisière du quartier «Le camp», une maison abandonnée. Les fenêtres emmurées, les façades en décrépitude et le toit en ruine, elle évoque la légende des Carpates tant elle donne l'impression d'une maison hantée. Et pourtant elle sert de gîte à une petite famille composée de deux garçons, 13 et 14 ans et leur maman. Divorcée voilà 9 ans, elle se débrouille comme elle peut pour élever les enfants et subvenir à leurs besoins sans aucune aide de l'ex-époux qui refait sa vie ailleurs. Il était 9h30 et Ouanassa revenait du marché. Recouverte d'une djellaba de couleur foncée, un fichu sur la tête, un petit visage dominé par deux auréoles violettes qui entourent l'orbite des yeux dont le regard qui s'y dégage est inexpressif. «Mes yeux sont asséchés, je n'ai plus de larmes», nous dira-t-elle plus tard. Elle nous reçoit avec des excuses et s'efforce de justifier son absence au moment de notre arrivée devant la porte. «Je suis revenue du travail, j'ai réveillé les petits, je leur ai préparé le petit déjeuner et je suis partie faire des courses», ajoutera-t-elle. Elle farfouille dans son sac et finit par trouver l'unique clé qu'elle introduit précipitamment dans le trou de la serrure, et nous invite à visiter «la misère». Une «sqifa» (halle), plongée dans la pénombre, d'où se dégage une odeur intenable de moisissure et dont les poutres de bois vermoulu qui soutiennent le plafond, menacent de s'écrouler à tout moment, donne sur une grande cour avec à droite une masse en parpaing servant de toilettes, en face, une chambre en ruine faisant office de cuisine et qui s'était effondrée lors des dernières précipitations du mois de février passé. «Heureusement que cela s'est passé la nuit», nous dira cette mère-courage, la gorge nouée et les lèvres tremblantes et le trémolo dans la voix à peine audible. Des rats pour voisins Au rez-de-chaussée, trois chambres abandonnées, ceux qui y avaient habité, ont déménagé il y a 4 ans, et Ouanassa, n'ayant pas cette chance, y reste avec ses deux enfants. «Je travaille la nuit. J'enferme chaque soir mes deux enfants pour les empêcher d'aller errer dans les rues et je m'en vais travailler», nous dira-t-elle. Elle occupe le poste de secrétaire médicale aux urgences du CHU de Batna depuis 24 ans. Elle nous invite à la suivre à l'étage supérieur où elle occupe deux chambres. Un escalier en bois donne sur un balcon branlant dont les parties manquantes sont remplacées par des planches de fortune et en guise de rideaux pour parer au soleil des pans de toile de jute effilochés accentuent le décor déjà assez lugubre. Une pièce transformée en cuisine depuis l'effondrement de celle du rez-de-chaussée, offre un spectacle des plus désolants : le parquet en bois, recouvert de carreaux rouge sang et qui a perdu de son éclat, laisse entrevoir des trous que la maîtresse de maison comble à l'aide de sachets en plastique. «C'est l'ouvrage des rats ! Ce sont nos seuls voisins», nous explique-t-elle comme pour s'excuser. Des bassines et des bidons en plastique remplis d'eau sont rangés le long des murs et, pourtant, dans ce bric-à-brac, un coin de cette chaumière en ruine est érigé telle une chapelle ardente, où l'objet de culte est étonnamment l'emblème national flanqué, bien sûr, de deux petits tableaux, l'un à gauche comportant l'inscription Mohamed (QSSL) et celui à droite représentant le Livre Saint. Après 24 ans de dur labeur, ne dormant ni la nuit ni le jour, elle n'arrive pas à fermer les yeux, elle a peur que l'effondrement de la maison la surprenne en plein sommeil. Comme pour nous convaincre de la véracité de ses craintes, elle ordonne à son petit de taper du pied. Il s'exécute et nous avons ressenti les vibrations. «Le même effet est ressenti à chaque passage de poids lourd devant chez nous», nous dit-elle en posant son regard attendri sur ses deux petits, unique espoir de sa vie ; et d'ajouter : «Le plus âgé passera son BEM bientôt et je prie dieu qu'il réussisse». Combien d'autres, comme elle, vivent dans ces conditions ! Beaucoup de bénéficiaires de logement social n'habitent plus ce genre de taudis, et les louent. Ouanassa, qui y est née, le loue à 1000 DA/mois.