Que valent les surenchères et les appréciations faites, par-ci par-là, à propos du rapatriement des tonnes de bronze du fameux canon Baba Merzoug, planté dans le port de Brest, devant la jetée Kheireddine, un ouvrage d'art chargé d'histoire que nous regardons chaque jour que Dieu fait, sans pouvoir l'approcher ? Une culture ne meurt que de sa propre faiblesse», disait André Malraux. Au moment où nous célébrons le 50e anniversaire de l'indépendance, qui tire à sa fin, beaucoup de conférences et d'expositions se sont déroulées à travers le pays. Des haltes ont eu lieu un peu partout dans les régions d'Algérie. Mais nombre d'historiens, de plasticiens, de poètes et d'archéologues, pour ne citer qu'eux, ne comprennent pas leur rôle véritable dans la mesure où le politique ne les implique pas dans la réhabilitation ou la réappropriation de la mémoire collective. Que de pans d'histoire sont pratiquement mis sous scellés ou interdits au grand public, à l'image de la Darse (amirauté) qui a donné naissance à El Djazaïr, un lieu dont une virée de nos enfants aurait suffi à les éveiller à la longue histoire de leur pays, notamment Bordj Sidi Amar dont les voûtes, devant servir de musée de la Marine, et la mosquée Sidi Braham réquisitionnée. Que valent finalement les surenchères et les appréciations faites par-ci par-là à propos du rapatriement des tonnes de bronze du fameux canon Baba Merzoug, planté dans le port de Brest, devant la jetée Kheireddine, un ouvrage d'art chargé d'histoire que nous regardons chaque jour que Dieu fait, sans pouvoir l'approcher ? «Comment voulez-vous que nos enfants aient une idée sur leur histoire alors que des sites historiques, datant de cette époque qui fourmille d'événements, ne figurent même pas dans les manuels scolaires, à l'image du site dit Fort l'Empereur (Koudiat essaboun, ndlr), un site pourtant d'une grande valeur historique, classé en référence à l'attaque de Charles Quint au XVIe siècle», martèle sur un ton aussi aigri que péremptoire le graphiste et sculpteur, Mustapha Adane, membre fondateur du mouvement des Aouchem, ex-président de l'UNAP et ancien professeur de l'Ecole d'architecture et des beaux-arts d'Alger, dirigée alors par Bachir Yelles. Nos écoliers ignorent même l'existence d'une citadelle qui surplombe la médina, théâtre de plusieurs siècles d'histoire et dont l'opération de restauration s'étire dans le temps, depuis une trentaine d'années. Les travaux sont en dormance, laisse-t-on entendre, et les portes de Dar Essoltane closes au grand dam du public. Le bureau d'études polonais PKZ, rappelé en 2005 à la rescousse, et les cinq BET algériens ne pipent mot ni sur l'écroulement d'une partie des remparts ni sur la réactualisation de l'étude ou l'état d'avancement de la restauration. Motus et bouche cousue aussi du côté du chargé de communication du département de la culture dont dépend Dar Essoltane, un édifice où élisait ses quartiers, faut-il le rappeler, le dernier dey de la Régence, et ce, après avoir fui sous la pression de la population algéroise en rogne, le palais de la Djenina démoli au milieu du XIXe siècle par l'autorité coloniale. «Cette dernière a certes causé beaucoup de préjudice à l'histoire de Beni Mezghenna, dénaturant les édifices et effaçant par-là même des faisceaux de connaissances, de témoignages et de repères pour la postérité, mais lorsque nous regardons l'énormité commise dans le quartier de la Marine, à savoir le parking – érigé sur le site d'Icosium – dont le concepteur a eu le génie de copier le minaret de la mosquée Djamaâ El Kebir, construite à l'époque des Almoravides, au XIe siècle, par Youcef Abou Tachfin, il y a de quoi grincer des dents sur l'impertinente érection qui lacère le paysage qui s'ouvre sur la mer, au même titre d'ailleurs que l'Institut national de musique élevé sur les vestiges des murailles ouest de Bab el Oued», renchérit un professeur de l'Ecole nationale des beaux-arts. Legs ancestral méconnu A l'est d'Alger, le monument de Bordj El Kiffan, construit au XVIe siècle par Ali Pacha pour défendre la baie d'Alger, est envahi par des bâtiments, alors que la réglementation en vigueur prévoit qu'un rayon de 200 m autour d'un site archéologique non constructible doit être respecté. Plus, une belle demeure, dépendance de la résidence du dey Hassan Pacha, située dans l'enceinte du CHU Lamine Debaghine vient d'être pulvérisée par des «bien pensants». La bâtisse a fini par passer à la moulinette, au moment où des dizaines d'autres édifices historiques du fahs agonisent sous l'action de l'usure du temps et de l'incurie des locataires, sinon font l'objet de travaux viciés. Une situation qui ne laisse pas insensibles des pédagogues artistiques, des graphistes, des designers et sculpteurs, des paysagistes et aménagistes urbains et tant d'autres artistes qui se disent outrés par la mise à l'écart des compétences, qui cumulent un capital expérience dans la réhabilitation des monuments historiques en apportant leur précieux concours dans les opérations d'agencement des équipements infrastructurels urbains appropriés, de manière à mettre en évidence les édifices historico-culturels. Des artistes s'élèvent, ou du moins regrettent qu'un musée, le Mama en l'occurrence, élise domicile dans une rue centrale complètement délabrée ou encore la sculpture de l'Emir Abdelkader sur sa monture en bronze soit peinte en faux bronze ! Dans la foulée, la décision du ministère des Moudjahidine de faire de la prison de Serkadji (ex-Barberousse) un musée de la détention et des martyrs guillotinés, n'a pas tenu ses promesses.Le lieu est redevenu, après sa restauration, prison d'Etat. A l'évidence, «toutes les manifestations du 50e anniversaire devraient avoir lieu dans les enceintes de ces sites historiques, afin de fixer ces moments en concepts graphiques et iconographiques, censés être à la disposition des visiteurs. Les manuels scolaires sur l'histoire depuis 1830 en seraient certainement influencés et feraient revivre notre culture auprès de nos enfants», dira Mustapha Adane, un Aouchémiste qui contrecarre, par ailleurs dans son manifeste «la philosophie d'un Golvin ou d'un Marçais dont les écrits sur les indigènes équivalent ceux de Mein Kampf».