Le nouveau numéro un du MSP était visiblement fier de s'afficher avec son hôte de marque, l'idéologue tunisien, Ahmed Ghannouchi, lors du forum organisé par son parti pour commémorer l'anniversaire de la mort de Mahfoud Nahnah. Abderrezak Makri, en effet, ne cachait pas sa double satisfaction d'accueillir, d'une part une vieille connaissance aujourd'hui au sommet de son ambition, dans son pays qui possède, selon lui, le charisme recherché pour servir de référence et donc aider sa formation à avoir une autre dimension, et d'autre part, de voir sur un plan autrement plus stratégique, cette rencontre-hommage se transformer en un évènement politique qui aura marqué l'actualité de la semaine et qui aura surtout réussi à faire un bon score médiatique, puisqu'il a fait l'objet d'une large couverture dans la presse nationale et…tunisienne. Il faut dire que la présence du leader d'Ennahda dans cette assemblée islamiste quelque peu hétéroclite, où l'occasion lui a été offerte sur un plateau pour disserter sur les différents courants qui traversent la mouvance intégriste de manière générale, a suscité à elle seule l'intérêt des journalistes et a même, dans un certain sens, fait passer au second plan la symbolique militante du défunt père fondateur de Hamas dont l'évocation n'aura servi en définitive que de parenthèse pour engager les débats de fond sur l'avenir du mouvement islamiste, notamment après l'avènement des printemps arabes qui ont été en majorité détournés de leur cours. Ghannouchi n'est cependant pas la personne la mieux indiquée pour parler de l'expérience tunisienne où son parti a été particulièrement habile en matière de récupération. L'histoire retiendra que c'est la jeunesse tunisienne engagée dans le combat démocratique qui a mené la révolution pour chasser la dictature Ben Ali du pouvoir, et qu'au final ce sont les barbus qui ont réussi à tirer les marrons du feu. Résultat : la Tunisie est passée du rêve démocratique au cauchemar d'une société théocratique condamnée à se replier sur elle-même. Dé-occidentaliser…la Tunisie, c'est son programme actuel et c'est le modèle que l'ex-exilé de Londres veut exporter en Algérie, en ouvrant une connivence plus que suspecte avec le chef du MSP. D'ailleurs, en s'ingérant dans la vie politique algérienne, il a commis le buzz qui fera du bruit de présenter son ami Makri comme un candidat à la prochaine présidentielle, qui ferait un bon président de la République. Au-delà de cet impair diplomatique calculé, c'est d'abord le soutien indéfectible qu'il apporte au MSP qu'il veut exprimer. C'est ensuite une option politique de travailler la perspective d'une grande alliance avec le mouvement islamiste algérien qu'il engage dans l'espoir d'avoir un bon retour d'écoute un jour. En somme, en venant en Algérie, le mentor tunisien n'a pas perdu son temps. Il a même eu droit à un accueil presque officiel au plus haut niveau de la hiérarchie alors qu'il n'était qu'un simple hôte d'un forum à consonance partisane. L'effet Ghannouchi a bien fonctionné, alors que, paradoxalement, son image est au plus bas dans les sondages en Tunisie, où le combat pour l'instauration d'une véritable société démocratique ne fait que commencer, malgré la violente répression qui s'abat sur les militants de la liberté. Lors de l'interview qu'il a accordée à la seule télé algérienne, en l'occurrence Echourouk TV, le leader tunisien a voulu paraître comme un homme serein et rassurant sur son pays. Il a saisi l'occasion pour dédiaboliser Ennahda qu'il présente comme un parti animé par les plus belles intentions démocratiques. A entendre Ghannouchi, notre voisin n'a pas à s'en faire pour son avenir. Les libertés sont garanties et la société a toutes les chances d' évoluer vers le progrès. Il ne parle pas de toutes les restrictions, de tous les interdits qui font désormais partie du paysage politique et socio-économique tunisien depuis que sa formation a pris le pouvoir. Ni de l'insécurité qui gagne du terrain en raison de l'acharnement que mettent les salafistes à vouloir imposer leurs propres lois morales. Ni de la baisse drastique du développement économique qui a porté atteinte à la ressource principale, le tourisme. De l'avis de nombreux observateurs dans le monde, et particulièrement des spécialistes de la Tunisie, ce pays hier plus ou moins prospère se trouve aujourd'hui dans le creux de la vague. La politique menée par les islamistes est loin de pouvoir réaliser ce dont les Tunisiens ont toujours espéré, vivre dans une société plus juste, plus libre, plus équitable que celle laissée par Ben Ali. Avec Ghannouchi, le système de l'abus de pouvoir et de la corruption court toujours, et les Tunisiens eux-mêmes s'accordent à dire que si le régime Ben Ali est parti, ses pratiques n'ont pas pour autant disparu. Autrement dit, la solution islamiste, longtemps prônée comme la seule voie prometteuse pour l'avenir, est ressentie aujourd'hui comme une cruelle désillusion. Et pas seulement en Tunisie. En Egypte et même en Iran, on y croit de moins en moins. En fait, c'est le contenu du programme islamiste qui ne fait plus recette. Moraliser en effet la société contre les dépravations de tous genres est une chose, assurer et maîtriser le développement économique et social dans le contexte d'une mondialisation qui n'accorde aucun répit à ceux qui restent à la traîne en est une autre. Or, l'économie et ses projections pour donner du travail, le logement, l'éducation, le loisir, enfin tout ce qui fait le bien-être de l'individu, demeure le point faible de l'islamisme politique, qui ne peut à l'infini bâtir sa crédibilité sur le seul rapport à la religion pour dominer. Or, c'est cette politique islamiste en chute libre que le MSP veut ressusciter chez nous avec la précieuse collaboration du parti tunisien, en continuant simplement à faire croire qu'elle demeure toujours la solution idéale dans un monde pourtant qui change à une vitesse vertigineuse.