M. Yaïci est docteur d'Etat ès sciences économiques, professeur d'enseignement supérieur et directeur de recherche à l'université de Béjaïa. Il a notamment occupé les fonctions de conseiller au ministère de l'Industrie, de la Petite et Moyenne entreprise et de la Promotion de l'investissement (2012), directeur général des analyses économiques et des grands équilibres au ministère de la Prospective et des Statistiques (2010-2012), doyen de la faculté des sciences économiques et de gestion à l'université de Béjaïa (2007-2010) et expert auprès de l'Agence nationale pour le développement de la recherche universitaire (ANDRU). -Les aides aux ménages ont augmenté de plus de 300% entre 1999 et 2012 (statistiques que vous avez récemment présentées). Comment peut-on interpréter cette hausse considérable ? Non. Les aides aux ménages ont augmenté de 685% durant la période, passant de 54 milliards de dinars en 1999 à 424 milliards de dinars en 2012. C'est par sous-périodes qu'elles ont d'abord augmenté de 78% entre 1999 et 2005, avant de faire un bond de 342% entre 2005 et 2012. Ces aides aux ménages ont atteint près de 3000 milliards de dinars, soit plus de 26% des transferts sociaux financés par le budget général de l'Etat, sur quatorze années (1999-2012). La hausse considérable de ces transferts sociaux à partir de 1999 s'explique, d'une part, par l'achèvement du programme d'ajustement structurel, en 1998, qui a libéré l'Algérie de ses engagements d'austérité avec le Fonds monétaire international et, d'autre part, par l'accroissement des recettes d'exportation des hydrocarbures depuis 1999, conséquence de l'augmentation quasi continue des prix du pétrole brut sur le marché international, dans un contexte de régression de la production algérienne des hydrocarbures depuis 2006, avec une baisse annuelle moyenne de l'ordre de 3,3%. Les revenus importants des hydrocarbures, qui ont atteint près de 44 000 milliards de dinars, soit plus de 600 milliards de dollars, durant la période 1999-2012, ont par ailleurs permis, cette même année 2006, d'achever le remboursement anticipé de la dette extérieure du pays, puis de dégager un surplus appréciable de moyens de paiement qui va alimenter les réserves de change, le fonds de régulation des recettes et, enfin, les subventions étatiques. -A travers le système actuel de subventions généralisées, le soutien de l'Etat bénéficie à toutes les catégories sociales sans différenciation. Quelle est la part qui revient réellement aux couches sociales les plus pauvres ? Durant la période étudiée (1999-2012), les aides aux ménages se répartissent entre les allocations familiales (5%), les subventions à l'éducation (6%), l'accès à l'électricité, au gaz et à l'eau (6%) et, enfin, le soutien aux prix du lait et des céréales (9%). En plus de ces aides aux ménages (26%), les transferts sociaux budgétisés concernent aussi les aides à l'habitat (26%), aux retraités (11%), à la santé (15,5%) et aux démunis, handicapés et faibles revenus (10%), entre autres. Il est donc difficile de déterminer la part exacte qui revient réellement aux couches les plus défavorisées de la population, puisque ces dernières bénéficient de leur quote-part de subventions, mais également, dans une certaine mesure, des quotes-parts dont les autres catégories sociales profitent. Par contre, si on veut différencier et cibler les couches les plus défavorisées de la population, il existe d'autres façons de les atteindre. Mais, toute la question est de savoir qui est concerné, comment est-il concerné et à partir de quel niveau de revenu on peut considérer qu'un citoyen algérien doit bénéficier de ces aides ? En outre, la politique des subventions ne doit pas être dissociée de la politique salariale, de la politique de l'emploi, voire des autres politiques de régulation. -Pensez-vous que ce système, destiné surtout à soutenir le pouvoir d'achat, remplit l'objectif qui lui est assigné ? Pourquoi ? Au regard de l'ampleur des transferts sociaux budgétisés, qui ont atteint 11 300 milliards de dinars, soit 156 milliards de dollars, durant la période 1999-2012, auxquels il convient d'ajouter les transferts sociaux implicites non budgétisés, mais sporadiques, qui auraient atteint 17% du produit intérieur brut uniquement en 2010 et parmi lesquels on peut citer les subventions aux prix de l'énergie sous forme de rachat de dettes des entreprises fournisseuses, on peut penser que la politique des subventions actuelle est généreuse. Mais, si on observe que, malgré tous les efforts consentis par les pouvoirs publics, la crise du logement n'est pas absorbée, le niveau de l'éducation est en dessous des standards internationaux, la qualité des soins dans les hôpitaux reste faible et, enfin, les citoyens vivant dans la précarité sont nombreux et en souffrent, on est en droit de se demander s'il n'y a pas eu de gaspillage de ressources et si une autre politique est possible. En effet, la principale justification des subventions réside dans le fait qu'elles doivent créer un effet positif pour toute la société. C'est la notion d'intérêt général qui doit primer et chacun doit être traité de façon égale. En Algérie, la politique des subventions, permise aujourd'hui par la conjoncture favorable des revenus des hydrocarbures, ne fait pas de discernement, manque de transparence et n'a pas de visibilité. De plus, elle risque de ne pas pouvoir être soutenue à l'avenir au regard d'un retournement possible du marché pétrolier international. -Peut-on imaginer un système moins coûteux pour l'Etat et plus équitable vis-à-vis des plus démunis ? Une des manières de rendre le système moins coûteux pour l'Etat et plus équitable vis-à-vis des plus démunis, mais aussi des générations futures, est de faire en sorte que la politique des subventions soit plus ciblée, plus juste, plus efficace et de moins en moins dépendante des hydrocarbures. Des pensions versées directement aux couches les plus défavorisées de la population pourraient, par exemple, remplacer les subventions généralisées. On pourrait aussi être amenés à penser que la levée des contraintes juridiques et environnementales et l'amélioration de l'organisation des entreprises publiques, donc leur meilleure gestion et la parfaite maîtrise de leurs coûts, réduiraient considérablement les montants des subventions qui leur sont allouées, voire les annuleraient. Mais, la meilleure manière d'imaginer un système de subventions moins coûteux et plus équitable est d'offrir au citoyen algérien un emploi décent qui lui permette de percevoir un salaire lui assurant une dignité et l'éloignant de toute aide ou subvention de la part de l'Etat. On peut, dans ce cadre, concevoir un transfert progressif de la subvention des prix des produits importés, donc des productions étrangers, vers la production nationale de substitution, dans le cadre d'un programme réfléchi de soutien dégressif, à mesure que les entreprises concernées entreront dans leur phase de rentabilité et que les produits fabriqués deviennent compétitifs des produits importés.