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Abdelaziz Bouteflika : le mandat de trop
Comment devient-on chef d'état en Algérie ? (Vii et fin)
Publié dans El Watan le 20 - 07 - 2013

En guise d'épilogue de notre série consacrée à l'accession au pouvoir de sept chefs d'Etat qui ont dirigé l'Algérie, nous finissons avec Bouteflika en retraçant son parcours depuis qu'il était ministre de la Jeunesse sous Ben Bella jusqu'à son arrivée au palais d'El Mouradia. Nous ne saurions boucler ce «feuilleton présidentiel» sans en tirer les conclusions qui s'imposent. Les Algériens sont en droit d'aspirer à des présidentielles honnêtes en priant pour que nos dirigeants guérissent enfin de la «maladie du pouvoir».
Quand, au soir du 15 avril 1999, Abdelaziz Bouteflika apprend les premiers résultats de l'élection qui le donnent vainqueur, il se fait violence pour contenir son émotion. Ce moment, il l'attendait depuis 20 ans. Aussi, cette victoire électorale devait-il la vivre un peu comme une revanche. Une revanche sur le sort mais, surtout, une revanche sur tous ceux qui lui avaient barré la route en 1979 et l'avaient empêché de succéder à Boumediène. Dans son esprit, le pouvoir était taillé pour lui. Et le burnous de Boumediène devait lui échoir comme on hériterait de la toge de Jules César.
Alors, naturellement, ce 15 avril 1999 sonnait pour lui comme une réparation divine : le président «putatif» qu'il avait toujours été s'emparait officiellement de son destin. En accédant enfin à la magistrature suprême, le successeur de Zeroual venait de mettre un terme à sa longue «traversée du désert», lui qui était tombé en disgrâce depuis que le 4e congrès du FLN l'avait évincé de la course au pouvoir.
«Boumediène m'a désigné comme successeur»
Avec le retour de Bouteflika aux affaires, la boucle est bouclée. Le clan d'Oujda reprenait le pouvoir d'une main de fer – si tant est qu'il l'ait jamais perdu. Le parcours de l'homme atteste bien qu'il est un pur produit du clan. C'est gravé dans son «ADN politique». Né à Oujda le 2 mars 1937 dans une famille originaire de Nedroma, Bouteflika n'a pas eu à aller très loin pour choisir son camp.
Il avait tout de suite trouvé en Boumediène un mentor et un protecteur. Durant la guerre de Libération, Bouteflika est secrétaire particulier du commandant Boukharouba au PC de la Wilaya V (basée à Oujda). Et il suivra l'épigone de Boussouf quand il prend la tête de l'état-major général. S'il n'a pas eu à livrer de grandes batailles sur le terrain militaire, le capitaine Bouteflika va néanmoins exécuter une mission autrement plus décisive, et c'est d'ailleurs cet épisode qui fera le plus parler de lui dans les livres d'histoire pour la période 1954-1962.
Il est chargé par le chef de l'EMG de parlementer avec les détenus du château d'Aulnoy (voir nos articles sur Ben Bella et Boudiaf), et c'est là qu'il est adoubé par Ben Bella. A l'indépendance, Bouteflika reste plus que jamais fidèle au clan d'Oujda. Député de Tlemcen à l'Assemblée constituante, Ben Bella lui renvoie l'ascenseur en le nommant, à 25 ans, ministre de la Jeunesse et du Tourisme.
Le 11 avril 1963, le ministre des Affaires étrangères, Mohamed Khemisti, est assassiné devant l'Assemblée nationale par un «fou», selon la thèse officielle, un détraqué mental qui, soit dit en passant, va se «suicider» dans sa cellule. Et Bouteflika d'hériter de son portefeuille. Il réussit à garder son poste contre vents et marées quinze ans durant, soit, jusqu'à la mort de Boumediène. Un record. Pourtant, Ben Bella avait fini par le congédier à un mois de la tenue de la Conférence afro-asiatique prévue fin juin 1965. Eminence grise de la clique des «conjurés» ligués contre Ben Bella, Bouteflika se venge de fort belle manière en incitant Boumediène à renverser son ancien allié. Suivront treize années fastes où il sera l'un des rares membres du Conseil de la Révolution à ne jamais être inquiété. Boumediène lui passe toutes ses foucades.
A la mort de Houari Boumediène en 1978, c'est lui qui se charge de lire l'oraison funèbre. Lunettes noires masquant des yeux humides, la voix émaillée de trémolos, il avait sans doute marqué des points lors des funérailles du raïs. D'aucuns, en voyant ces images, pensaient naïvement que la succession avait été réglée en sa faveur. Kasdi Merbah, chef de la Sécurité militaire à l'époque, était, lui, d'un autre avis. Il usera de toute sa force et sa ruse pour imposer le nom de Chadli Bendjedid aux membres de la commission des candidatures du 4e congrès du FLN.
Il avait été, préalablement, coopté entre chefs militaires lors d'une réunion secrète qui s'est tenue à l'Enita, fief de Larbi Belkheir. Vingt ans plus tard, Bouteflika ne digérait toujours pas le fait que la succession lui ait échappé en 1979 : «J'aurais pu prétendre au pouvoir à la mort de Boumediène, mais la réalité est qu'il y a eu un coup d'Etat à blanc et l'armée a imposé un candidat», se plaindra-t-il à Jean-Pierre Elkabbach sur Europe1 peu après son investiture (1). Bouteflika va même jusqu'à dire à Nezzar : «Boumediène m'a désigné comme son successeur par une lettre-testament qu'il a laissée avant sa mort. Cette lettre se trouvait à un moment donné aux mains d'Abdelmadjid Allahoum. Qu'est devenue cette lettre? Je voudrais bien le savoir, car je l'ai vue cette lettre»(2).
Quand Chadli Bendjedid prend ses fonctions, Bouteflika est nommé ministre d'Etat sans portefeuille. «Un statut indigne de mon rang», fulmine-t-il in petto. S'ensuit l'épisode de la Cour des comptes qui l'épingle pour comptabilité frauduleuse (arrêt du 8 août 1983). Exclu du FLN, mis au ban du pouvoir, Bouteflika erre comme une âme en peine et nomadise entre plusieurs capitales : Paris, Genève, Damas, Abu Dhabi…En 1987, il rentre au pays presque incognito. Au lendemain des événements d'Octobre 1988, son nom remonte à la surface. Il figure parmi les signataires de «l'Appel des 18» pour la réforme du système. Le FLN tient son 6e Congrès en novembre 1989 et Bouteflika est élu membre du Comité central du parti. Après, il y a «l'épisode 94». Le mandat du HCE arrive à son terme. Les «décideurs» cherchent un timonier pour gérer la période de transition. Ils proposent à Bouteflika de succéder à Ali Kafi. Après avoir donné son accord, Bouteflika se rétracte et laisse passer sa chance de revenir sur le devant de la scène en grande pompe.
«Le moins mauvais des candidats»
Bouteflika disparaît à nouveau des radars pour quatre autres années. Septembre 1998. Malade, exaspéré par les luttes de sérail entre son ministre-conseiller Mohamed Betchine et le chef d'état-major de l'ANP, Mohamed Lamari, Liamine Zeroual décide de démissionner et annonce la tenue de la présidentielle anticipée dans un délai de six mois. Selon Mohamed Sifaoui, il a été, à un moment donné, question de coopter le jeune Ahmed Ouyahia qui avait surtout les faveurs du général Lamari, pour succéder à Zeroual (3).
Option vite abandonnée après un veto musclé de Betchine. Finalement, le choix des «décideurs» va se porter sur ce même Bouteflika qui les avait lâchés quatre ans auparavant. Il est établi que c'est le général à la retraite Larbi Belkheir, surnommé «le cardinal de Frenda» ou encore «le parrain» qui va «vendre» la candidature de Bouteflika aux chefs militaires (lire : Le Lobbying décisif de Larbi Belkheir). Il faut croire que les «talents diplomatiques» de l'ancien MAE de Boumediène ont été déterminants dans ce choix. L'image de l'Algérie était au plus mal et les généraux dits «janviéristes» avaient besoin de ses réseaux à l'international pour se refaire une virginité. Quand la candidature de Bouteflika est officialisée au sein du «premier cercle», Nezzar n'en croit pas ses oreilles. Référence à la claque de 1994 reçue par les militaires. C'est là qu'il traite Bouteflika de «vieux canasson», avant de lui apporter sa caution et son onction. Dans son livre, Le Sultanat de Bouteflika, il explique ce revirement au bénéfice du «moins mauvais des candidats»  : «Au plan des capacités personnelles (il a présidé l'Assemblée générale de l'ONU), de l'expérience (il a été aux affaires pendant vingt ans), de la distanciation par rapport à ce qui a été perpétré dans le pays depuis 1980 et de l'absence chez lui d'une “tare” partisane réductrice, Bouteflika était assurément “le moins mauvais” des candidats. “Le moins mauvais”, exprimé, même par ceux qui l'ont grandement aidé, signifie : “Nous connaissons les pages pas très nettes de son passé, mais nous n'avions pas le choix et nous restons attentifs»(4).
Un mandat «à blanc»
Le «candidat du consensus» se retrouve face à six adversaires politiques et non des moindres : Hocine Aït Ahmed, Mouloud Hamrouche, Ahmed Taleb Ibrahimi, Youcef Khatib, Mokdad Sifi et Abdallah Djaballah. La veille du premier tour, les six candidats précités se retirent en bloc pour protester contre les prémices de fraude qui entachaient déjà le scrutin. Ils contestaient notamment le vote des bureaux itinérants et des bureaux spéciaux réservés aux corps constitués.
L'élection est maintenue dans l'embarras général. Le jour J, Bouteflika donnera des sueurs froides à ses parrains. Cloîtré à la Villa Aziza, siège de la fondation Boudiaf, à Poirson, il aurait sorti le chef du DRS de ses gonds lorsqu'il brandit la menace de se retirer à son tour. Motif  ? «Les décideurs, venait-il d'apprendre, n'allaient le créditer que de 53% des voix», écrit Mohamed Benchicou qui rapporte cette ruade (5). «Pas question que j'accepte un chiffre inférieur à celui de Zeroual !», se serait-il écrié. Le lendemain, le score tombait : Bouteflika est élu à 73,79% des suffrages exprimés. Le laboratoire électoral du DRS a fait du bon boulot…
Le 8 avril 2004, Bouteflika est réélu par 84,99% de voix contre 6,42% pour son principal challenger, Ali Benflis. Mohamed Lamari, qui était contre sa reconduction, quitte ses fonctions quelques mois plus tard. A peine ayant validé, par voie référendaire, sa charte pour la paix et la réconciliation nationale (29 septembre 2005), Bouteflika est évacué au Val-de-Grâce, officiellement pour un ulcère hémorragique. Depuis ce 26 novembre 2005, ce n'est plus le même homme. Malgré la maladie, son appétence pour le pouvoir n'a pas diminué. Le 12 novembre 2008, il fait amender la Constitution de 1996 en supprimant la clause limitant le nombre de mandats présidentiels à deux. Désormais, il peut postuler pour une présidence à vie. Le 9 avril 2009, Bouteflika est réélu pour un troisième mandat avec 90,24% des voix. Considérablement affaibli, il n'est plus que l'ombre de celui qui enchaînait interviews, visites de terrain et voyages à l'étranger lors de son premier mandat. Le 27 avril 2013, le président de la République est victime d'un accident ischémique transitoire, présenté d'abord comme étant sans gravité, avant de révéler un AVC plus compliqué que ce qui était annoncé. Après 82 jours passés entre le Val-de-Grâce et les Invalides, Bouteflika est rentré au pays le 16 juillet. Le président était sur une chaise roulante. L'image résume à elle seule toute la peine qu'aura éprouvée le chef de l'Etat pour honorer son troisième quinquennat qui vire, décidément, au mandat «à blanc». C'était, assurément, le mandat de trop.
-(1) Voir : Mohamed Benchicou. Bouteflika, une imposture algérienne, éditions Le Matin, 2003, P121.
-(2) Cité par Benchicou, P133.
-(3) Mohamed Sifaoui. Bouteflika, ses parrains et ses larbins. Editions Encre d'Orient. 2011. P99.
-(4) Khaled Nezzar. Algérie, le Sultanat de Bouteflika. Edition Transbordeurs. 2003. P29.
-(5) Mohamed Benchicou, op.cit. p15.


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