Au vu du blocage marquant la scène politique en Tunisie, le départ du gouvernement Laârayedh ne saurait être qu'une question de temps. Même le parti Ettakattol, allié d'Ennahdha au sein de la troïka, réclame sa dissolution. Tunisie De notre correspondant Les propos de Ali Laârayedh, dans sa conférence de presse, tenue hier, n'ont pas apporté la bouée de sauvetage tant attendue par les Tunisiens. «Il est resté sur des slogans généralistes, ne répondant pas à la gravité spécifique de l'étape actuelle», pense le politologue Slaheddine Jourchi. «La fragilité de sa position s'explique par l'absence de dialogue. Ennahdha ne saurait faire de concessions d'envergure d'entrée, avant de se présenter à la table de négociations», poursuit Jourchi. «C'est donc juste pour marquer la présence et sonder les intentions des adversaires politiques», ajoute-t-il. Jourchi n'est toutefois pas d'accord sur la démarche. «Laârayedh aurait dû anticiper pour reconquérir la confiance des citoyens en son gouvernement. Laquelle confiance est sérieusement touchée après les derniers incidents», lui reproche-t-il. Pourtant, l'option du gouvernement de salut national serait acquise dans les esprits de tous les intervenants sur la scène politique, y compris au sein de la troïka. Le porte-parole du parti Ettakattol, Mohamed Bennour, a réclamé «la démission du gouvernement et la tenue de négociations pour la formation d'un gouvernement de salut national». Ettakattol menace même de «quitter la troïka», si cette démission n'est pas acceptée par ses partenaires politiques, notamment Ennahdha. Mais le problème des islamistes n'est pas le gouvernement de salut national en soi. Ce sont plutôt son programme et sa mission. Cheikh Rached Ghannouchi ne veut pas entendre parler d'une quelconque atteinte aux prérogatives de l'Assemblée nationale constituante. «Les 90% de notre demeure sont déjà achevés. Ce n'est pas admissible que l'on s'apprête à la détruire sur nos têtes», affirme-t-il en réponse à ceux qui appellent à la dissolution de l'Assemblée.Ghannouchi n'a pas soulevé d'objection quant à une éventuelle dissolution du gouvernement. Une telle mesure serait même nécessaire pour satisfaire une partie des revendications populaires. Confiance ? Pour le doyen Fadhel Moussa, constituant réfractaire et président de la commission des législations à l'ANC, les 18 mois de travail en commun ont assommé la confiance entre l'opposition et la troïka gouvernante. «Il suffit de se rappeler les péripéties des deux étapes du Dialogue national, les accords passés avec Ennahdha et, surtout, la manière avec laquelle sa direction politique a renié les engagements de ses représentants, comme si de rien n'était, pour ne pas se permettre d'accorder une nouvelle fois confiance à ce parti dans des problématiques fondamentales pour la réussite de la transition démocratique en Tunisie», a expliqué Fadhel Moussa. Autre intervenant important sur la scène, la forte centrale syndicale, UGTT. Elle a parrainé à deux reprises le Dialogue national qui n'ont pas abouti, en raison du manquement d'Ennahdha. L'UGTT soutient aujourd'hui l'installation d'un gouvernement de salut national et exige des garanties réelles pour la concrétisation d'éventuels compromis. «Plus jamais de dialogue pour le dialogue. Le peuple en a marre. Des garanties claires sont nécessaires», affirme Hassine Abbassi, son secrétaire général. Dans les régions, c'est plutôt la défaillance du programme socioéconomique qui a fait perdre au gouvernement tout le crédit acquis suite aux élections du 23 octobre 2011. «Le chômage continue à sévir avec la même intensité. La cherté de la vie a porté atteinte au pouvoir d'achat des couches moyenne et populaire. La crise économique bat son plein. L'avenir est sombre», explique le président de l'Association des économistes tunisiens, Mohamed Haddar. «Ces régions se soulèvent aujourd'hui parce que les citoyens ont perdu l'espoir de voir se réaliser les objectifs de leur révolution», ajoute Samir Rabhi, syndicaliste de Kasserine, qui a vu hier l'envahissement du siège du gouvernorat par les manifestants. La Tunisie continue à manger son pain noir, en attendant des lendemains meilleurs.