L'essor que connaît actuellement le marché de l'ameublement en Algérie est loin de profiter à nos fabricants et artisans. Ils sont plusieurs à mettre la clé sous le paillasson en raison de la concurrence déloyale que leur livrent les importateurs de meubles. Les fabricants locaux n'arrivent plus à trouver de débouchés à leur production. Et pour cause, les consommateurs s'orientent de plus en plus vers le mobilier importé, notamment de certains pays, en particulièrement ceux en provenance de Malaisie. A Saoula comme à Koléa, deux localités qui concentrent à elles seules la grande partie des fabricants et ébénistes au niveau de la région d'Alger, la situation est pour le moins inquiétante. D'après les informations que nous avons recueillies, sur les quelque 400 ateliers activant dans cette région, plus de la moitié ont fermé boutique. Pourtant, tout avait bien commencé pour ces ateliers dont la plupart ont été créés ces dernières années à la faveur des dispositifs d'emploi de jeunes. "La situation était tellement favorable aux fabricants locaux à tel point que beaucoup d'ateliers ont pu régler leurs créances vis-à-vis de leurs banques respectives", affirme Samir, un jeune vendeur de meubles et dont la famille dispose d'un atelier de fabrication. Mais depuis deux ans, ajoute-t-il, "il y a un retournement radical de la situation à cause de l'arrivée sur le marché algérien de meubles importés d'Asie, plus précisément de Malaisie et d'Indonésie". Deux pays classés aujourd'hui, aux côtés de la Chine, parmi les grands producteurs mondiaux du mobilier. Devant l'incapacité d'écouler les meubles fabriqués, Samir nous révèle que sa famille a été amenée à se séparer de 21 employés et ne garder que le strict minimum pour la poursuite de l'activité. Plusieurs autres ateliers de fabrication ont procédé de la même manière. "Je connais des jeunes fabricants qui sont allés jusqu'à vendre leurs machines à moitié prix et changer carrément d'activité", révèle encore notre interlocuteur. La reconversion en vendeurs de meubles importés de Malaisie s'est érigée en véritable tendance chez plusieurs de nos commerçants. Il suffit d'une simple virée dans les grandes artères de la capitale pour s'en apercevoir. D'aucuns qualifient cela d'ailleurs de véritable "phénomène". La Malaisie est le pays qui revient le plus dans la bouche des vendeurs lorsqu'on les interroge quant à la provenance des meubles qu'ils exposent. Design innovant Ce qui frappe le plus les consommateurs dans ce mobilier "malaisien", ce n'est pas le rapport qualité/prix, mais surtout son aspect extérieur. Outre la finition qui est impeccablement réussie, ces meubles importés se distinguent aussi par leur design moderne et innovant. Ces deux éléments sont les véritables atouts de ces meubles. Des atouts qui, en revanche, font cruellement défaut au niveau des meubles fabriqués localement même s'ils sont de meilleure qualité. D'après les vendeurs eux-mêmes, ils sont nombreux parmi les acheteurs qui aimeraient à tout prix meubler leurs salons ou leurs chambres avec ce type de mobilier, et ce, en allant même jusqu'à fermer l'œil sur la qualité du produit. Les prix affichés ne sont pas de ceux qu'on peut qualifier d'abordables. Pour exactement le même produit exposé, différents prix sont appliqués. C'est en fonction du magasin et du lieu où le produit est exposé à la vente. Au quartier résidentiel de Dély Ibrahim et d'Alger centre où plusieurs magasins de meubles dits de luxe y activent, on y trouve les mêmes produits "malaisien" exposés dans les magasins de Bab Ezzouar ou à El Hamiz. Seulement pour les prix, c'est une autre histoire. Ils peuvent aller parfois du simple au double. Ce qui est sûr cependant, c'est que les prix d'origine sont de loin très faibles comparés aux marges engrangées par les importateurs, les grossistes et les détaillants. Du premier maillon de la chaîne au consommateur, la marge, avouent certains grossistes, "va jusqu'à 200% du prix initial". Fabriqués dans des pays où la matière première et la main-d'œuvre sont bon marché comme c'est le cas en Malaisie, les prix du mobilier sont très compétitifs comparés à ceux fabriqués dans d'autres régions du monde. D'ailleurs devant la concurrence féroce que leur livrent les fabricants asiatiques, plusieurs de leurs collègues européens ont fini par sous-traiter, même délocaliser, la fabrication de certaines catégories de meubles en Malaisie, en Indonésie ou en Chine. Certaines marques européennes de meubles très connues en Algérie, à l'instar de Mélodie, Olympique et autres marques italiennes proviennent aujourd'hui de Malaisie. Les statistiques douanières confirment, en effet, la baisse des exportations européennes en mobilier vers l'Algérie. L'Italie est à ce titre l'exemple le plus édifiant. Les importations de l'Algérie en provenance de ce pays, pour ce qui est du mobilier, ont atteint, pour l'année 2005, le taux de 0%. C'est dire que le revirement est entier du côté des importateurs algériens. L'envahissement que connaît notre marché par les produits asiatiques, dans différents domaines d'ailleurs, laisse perplexes les fabricants algériens de meubles. Pour eux, ce n'est pas tant l'introduction légale des marchandises sur le marché qui est décriée mais surtout le fait que les importateurs ne payent aucune taxe douanière sur les meubles introduits. Car si c'était le cas, les prix appliqués ne serait pas aussi inférieurs, disent-ils. Etant un produit fini, le meuble importé est soumis à une taxe de 30%. Ce niveau élevé de taxe, d'après certains fabricants locaux, ne permet pas de proposer des meubles à des prix comme ceux proposés actuellement sur le marché. Ce qui leur fait dire que le marché algérien de l'ameublement est aussi gagné par l'informel. Pour une concurrence loyale Conscients des enjeux qu'implique l'ouverture de l'économie nationale, les fabricants algériens que nous avons rencontrés demandent seulement à ce que l'Etat fasse son travail en agissant pour l'émergence d'une concurrence loyale dans le secteur. Un souci que partagent aussi les grands fabricants de meubles du secteur public pour qui l'importation anarchique constitue une véritable menace. C'est le cas de l'entreprise nationale ADECOR sise à Boufarik, spécialisée dans la fabrication de meubles domestiques et bureautiques. D'après son PDG, M Zaâf, "l'entreprise fabrique des meubles destinés essentiellement aux bourses moyennes de la société et dont le prix ne dépasse pas les 80 000 DA". A l'instar des petits fabricants, la société ADECOR fait face à une concurrence féroce et déloyale, notamment sur le segment du meuble domestique. Ce qui a rendu l'entreprise plus vulnérable à cette concurrence, souligne son responsable, "c'est le fait qu'elle soit restée figée et n'ait pas pu diversifier sa gamme de production". A l'opposé d'ADECOR, sa sœur dans le groupe ENAB, NEDROMEUBLE, sise à Tlemcen, a opté pour une stratégie plus efficace pour contrer la concurrence que lui livrent les importateurs des meubles asiatiques. Spécialisée dans l'ameublement domestique et bureautique de type "haute gamme de style" et "meubles de luxe", la société NEDROMEUBLE, souligne son directeur administratif et financier, Aboubaker Sanhadji, "a décidé tout simplement d'être à la page en fabricant sur place les mêmes produits importés de Malaisie". Cela a été possible, ajoute-t-il, "grâce à l'important investissement consenti par l'entreprise qui a acquis le matériel adéquat et la même technologie utilisée par les concurrents asiatiques". Fabriqué à base de panneaux et du MDF plaqué en PVC, les meubles dits malaisien, indique M Sanhadji, "sont certes très bien faits mais ils sont classés dans la catégorie de bas de gamme, ils sont loin d'égaler nos meubles qui sont fabriqués à base de bois massif connu pour sa dureté et dont la durée de vie est longue". En revanche, poursuit-il, "les meubles en MDF ou en panneaux sont d'une très courte vie surtout en Algérie qui est un pays chaud. Le PVC se décolle dans les milieux chauds". Toutefois, si on assiste aujourd'hui à un très grand engouement des consommateurs à l'égard de ce type de mobilier, M Sanhadji estime, en sa qualité d'observateur de marché, que "la cote des meubles importés d'Asie va finir par baisser sensiblement dans un futur proche". En attendant, c'est un autre métier "gagne-pain" qui risque de disparaître à jamais !