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«Pour sortir de l'ornière, la Somalie doit être accompagnée sur le long terme» Eloi Yao. porte-parole de la Mission de l'Union africaine en Somalie (Amisom)
Cela fait vingt ans depuis que la Somalie est plongée dans le chaos. Mais si elle paraît aujourd'hui en passe d'être sauvée, c'est en grande partie grâce aux soldats africains de la Mission de l'Union africaine en Somalie (Amisom). Un début de victoire qui a coûté cher. Très cher même. Eloi Yao, responsable du département de communication de l'Amisom, évoque ici les défis que la Somalie et les troupes africaines se doivent de relever à l'avenir pour écarter durablement le danger terroriste. Et ils sont très nombreux. Entretien ! -Cela fait maintenant six années depuis que les troupes de l'Union africaine (Amisom) sont à pied d'œuvre dans la corne de l'Afrique. Quelle est aujourd'hui la situation en Somalie ? Elle est bonne. Il n'y a aucune commune comparaison avec ce qu'elle était lorsque nous y sommes arrivés en 2007. En six années, il y a eu des progrès incontestables. Souvenez-vous, avant personne n'osait aller en Somalie. Le constat était valable aussi pour Mogadiscio, la capitale du pays. La Mission de l'Union africaine pour la Somalie (Amisom) en collaboration avec les forces somaliennes ont pu repousser les shebab en dehors de la capitale et des villes environnantes. Les forces africaines ont permis au gouvernement somalien d'étendre son autorité à de nombreuses régions. La reprise de la ville portuaire de Kismayo en octobre 2012 marque, à ce propos, un tournant dans la stabilisation de la Somalie. C'était un bastion important des shebab. -En quoi Kismayo était importante pour les shebab ? La ville leur permettait de recevoir des armes et de s'adonner à des trafics en tous genres pour financer leurs activités criminelles. Les médias n'en parlent pas beaucoup mais d'autres localités ont été reprises aussi depuis. Cela a d'ailleurs conduit l'Amisom à gérer 4 nouveaux secteurs en dehors de Mogadiscio. Les choses aussi avancent sur le plan de la reconstruction et de la relance économique. La preuve est que l'aéroport de Mogadiscio est actuellement très fréquenté. De nombreuses compagnies internationales assurent désormais une desserte entre la Somalie et plusieurs grandes villes africaines, proche-orientales et occidentales. -Quelles sont les principales difficultés auxquelles fait face l'Amisom ? Il y en a plusieurs. Malgré les efforts accomplis jusque-là, il y a encore un grand problème de sécurité en Somalie. Défaits et n'ayant donc plus les capacités de nous affronter de manière frontale, les shebab ont changé de stratégie. Ils ont désormais opté pour les attentats-suicides. Le drame qui vient de se produire à Nairobi confirme largement ce constat. Et il est devenu difficile de les identifier ou de les appréhender car ils se fondent dans la population. Autre difficulté : la mission a décidé d'étendre sa zone de contrôle. Mais l'inconvénient est que les moyens humains et matériels ne suivent pas. Avec ses 17 000 hommes, l'Amisom ne peut raisonnablement pas couvrir tout le territoire somalien. C'est ce handicap qui permet d'ailleurs aux terroristes de se reconstituer en groupes et de garder un niveau de nuisance. Sachez, par exemple, que l'Amisom ne dispose ni d'avions de transport de troupes et encore moins d'hélicoptère d'attaque. Il y a aussi un manque cruel en équipements. L'Amisom connaît aussi un problème de financement. Rien ne sert de le cacher, nous dépendons de l'Union européenne (UE). Ce sont les Européens qui financent en grande partie le budget de l'Amisom. C'est une réalité. L'inconvénient maintenant est que l'UE a des pays qui sont en crise. Pour parer à toute éventualité, nous voudrions que la communauté internationale, les Africains y compris, apportent leur contribution. -Y a-t-il des risques de voir l'UE renoncer à financer l'Amisom en raison justement de la crise financière internationale? L'Union européenne a des problèmes, certes. Mais en même temps, le terrorisme est devenu un problème international. Si l'insécurité persiste en Somalie, celle-ci aura fatalement des répercussions sur le reste du monde. L'Union européenne en est consciente. Donc… -Le budget de l'Amisom pour l'année 2013 – 2014 est-il bouclé ? Oui ! Tout récemment, il y a eu une promesse de l'Union européenne. Je crois que Bruxelles va bientôt dégager les fonds qui permettront à l'Amisoim de poursuivre sont travail. Son apport cette année devrait être de 125 millions d'euros. Je crois donc l'UE va continuer à soutenir la mission. -Cette somme ne risque-t-elle pas donc d'être insuffisante sachant que l'Amisom a besoin de plus de 300 millions d'euros pour remplir convenablement sa mission ? Oui. L'apport de l'UE servira déjà à payer les salaires des membres de la mission. Je crois qu'il y aura quand même d'autres sources de financement. -L'Amisom se plaint d'un manque d'hommes. Combien, selon vous, faudrait-il de soldats pour que la Mission africaine puisse assurer un maillage correct de la Somalie ? Au départ, les effectifs de l'Amisom étaient de quelques milliers d'hommes. Ce chiffre est aujourd'hui de 17 000. Tout récemment, il y a eu une révision des objectifs de l'Amisom. Nos experts conviennent tous qu'il faudrait entre 20 000 à 25 000 hommes pour que ces nouveaux objectifs soient atteints. -Et en quoi consistent ces nouveaux objectifs ? La révision dont je viens de vous parler a été faite en fonction des objectifs que le gouvernement somalien s'est lui-même fixés. Il ne faut pas perdre de vue que l'Amisom est là pour soutenir le gouvernement somalien. La sécurité et la stabilisation restent donc toujours dans notre agenda. Nous nous investissons aussi dans la reconstruction des institutions et l'instauration d'une bonne gouvernance. Il s'agit globalement d'aider le gouvernement à réaliser ses priorités. Et bien sûr, tout cela ne peut se réaliser sans sécurité. Je parle de la mise en place d'une armée et d'une police efficaces capables de défendre le pays. C'est un passage obligé pour instaurer un Etat de droit. -Pourquoi le processus de réconciliation en Somalie peine encore à porter ses fruits ? En plus des défis sécuritaires que posent les shebab, il faut savoir que la Somalie est une société très clanique. Les Somaliens ont tendance à faire davantage allégeance à leur clan qu'à la nation. Vous l'aurez compris, cette situation a pour effet de compliquer le processus de réconciliation et l'amorce d'un dialogue inclusif. Mais je vous rassure, la communauté internationale, l'Union africaine y comprise, est en train de chercher des formules qui puissent permettre de «construire» une représentation capable de donner satisfaction au peuple somalien. -Le gouvernement à Mogadiscio sera-t-il en mesure de tenir sa promesse d'organiser des élections générales en 2016 ? Si cela devait se faire, l'Amisom réduira-t-elle sa présence après cette échéance? Le gouvernement actuel fera tout pour que les élections se tiennent en 2016. Mais quoi qu'il en soit, le dispositif sécuritaire actuellement en vigueur restera en place. Comme l'avons dit, les forces de sécurité somaliennes ont besoin d'un soutien énorme. Elles ne disposent pas encore du strict minimum. Mais cela ne veut pas dire que l'Amisom va rester éternellement en Somalie. Elle partira un jour, c'est sûr.Et dans cette perspective, il est important que la communauté internationale se mobilise et aide la Somalie à bâtir une armée digne de ce nom. Une armée capable justement de pallier un jour au départ de l'Amisom. Vu l'état des lieux actuel, il serait plus prudent d'opter pour un accompagnement à long terme.