L'Algérie de Bouteflika n'est pas encore prête à concevoir et gérer politiquement une communication plurielle. Elle n'est donc pas encline à démocratiser le champ audiovisuel comme l'a promis le chef de l'Etat quand il avait lancé avec grand fracas sa série de réformes, dont celle de l'information occupait une place privilégiée dans son esprit. Après moult tergiversations, le gouvernement qui était devant l'obligation de répondre formellement à la volonté du Président, à l'époque soumis à une terrible pression exercée par la hantise du printemps arabe, a fini par pondre un texte de loi qui dévoile aujourd'hui le grand mensonge de l'Etat à propos d'un engagement politique qui avait suscité beaucoup d'espoirs chez les professionnels de l'image et du son. Pour être plus précis, disons que le document relatif à l'activité audiovisuelle sur lequel planche actuellement l'APN, au lieu de libérer le champ de la communication à travers les entreprises privées de télé et de radio, projette au contraire un verrouillage encore plus drastique de cette activité, en mettant gravement au ban des parias un secteur privé auquel les pouvoirs publics n'accordent pratiquement aucune liberté d'action. L'une des graves entorses faites à la Constitution aura été justement la ségrégation établie ouvertement entre le privé et le secteur public qui, contre toute attente bénéficie encore de toutes les faveurs de l'Etat. Les hommes de loi apprécieront certainement l'attitude méprisante, voire infamante des représentants de l'Etat concernant ce déni d'existence accordé au secteur privé réduit au rang d'une entité subalterne qui doit se soumettre à toutes sortes de restrictions, à toutes les conditions humiliantes et handicapantes sous peine de se démettre. En effet, quand les institutions et les organismes publics ont, selon ce texte, le droit de créer avec l'argent du contribuable des sociétés de télévision ou de radio, les promoteurs issus du privé sont soumis, eux, au parcours du combattant pour lancer leurs projets. Des facilités pour les postulants étatiques, des clous pour les autres. Et pourtant ils appartiennent au même pays, ils ont la même nationalité. Pourquoi cette discrimination alors que l'ouverture du champ de l'information et de la communication élargi aux médias lourds se profilait au départ avec l'apport de l'investissement privé comme un enrichissement du paysage audiovisuel national qui accumule trop de retard par rapport au développement de la société ? La réponse à cette question est clairement énoncée dans le document gouvernemental : «La communication audiovisuelle, quel que soit le support terrestre ou satellitaire, influe de façon décisive sur l'opinion et les comportements, voire sur la décision politique. En raison de cet enjeu sociologique considérable, elle n'a jamais laissé indifférents les pouvoirs publics, dont la mission de gardien des intérêts moraux de la nation légitime leur intervention en la matière». Les concepteurs de la loi nous disent donc sans ambages que, s'agissant d'une mission de conditionnement des esprits, la création d'une chaîne de télévision ou d'une radio reste une affaire trop sérieuse pour la laisser entre les mains du privé. Il n'y a, par conséquent, que le monopole du discours officiel qui peut être à la hauteur de la situation. Faut-il en rire ou être surpris par cette attitude de nos gouvernants qui pensent toujours que d'une part les citoyens algériens ne sont pas encore mâtures pour apprécier une communication à sa juste valeur, et que d'autre part les promoteurs privés sont tous des agités qui cherchent à semer le désordre partout où ils passent. Ah, mais risque-t-on de répliquer : ils auront quand même la liberté de créer des chaînes thématiques avec un petit programme d'info contrôlé à la minute près. C'est ce qu'on appelle une liberté surveillée qui conforte l'Etat dans toute sa mansuétude. Les téléspectateurs et les auditeurs auront eux l'embarras du choix entre une télé qui consacrera le gros de ses émissions à la cuisine et une autre qui nous gavera de football, lorsque l'Unique et ses clones seront en terrain conquis, celui de l'information qui ne dira que du bien des gouvernants. Mais tout ça n'est pas nouveau. Le gros scandale, c'est le mépris qui est témoigné aux professionnels de l'audiovisuel que le Pouvoir politique continue de minoriser et d'affaiblir pour conserver intact un monopole de la communication qui a pourtant fait trop de dégâts jusque-là en censurant à tout-va les vérités que les algériens ont droit de savoir. Toutes les dispositions de cette loi sont pensées et rédigées de façon à réduire l'action du privé à sa plus simple expression.Le Pouvoir, on l'a dit à maintes reprises, ne veut entendre que le son de sa propre voix. Il refuse d'admettre qu'il y a un phénomène de démocratisation dans le monde qui balaie tout sur son passage et qui finira par le toucher. Se maintenir en poste, c'est sa devise, mais pour combien de temps encore alors que les réseaux sociaux fleurissent et qu'avec internet on ne peut plus rien cacher. Finalement, comme dit l'adage, la montagne a accouché d'une souris. Trois ministres se sont relayés depuis la sortie publique de Bouteflika pour endormir l'opinion publique, chacun avec son style, chacun avec son langage, mais tous prenant part à la grosse entreprise de falsification qui se proposait de dire une chose en assurant le contraire. Il reste que depuis, des chaînes se sont créées sur le tas avec un droit étranger, mais qui s'adressent aux algériens exclusivement. Ces chaînes ont réussi à capter un public, quel sera pour autant leur avenir immédiat sachant qu'elles fonctionnent avec une autorisation qui roulera jusqu'à la fin décembre ? Le nouveau ministre de la communication a promis de traiter le sort de ces chaînes au cas par cas, mais étant dans leur conception des chaînes généralistes, comment pourront-elles devenir du jour au lendemain des écrans thématiques ? A moins que la négociation portera sur autre chose, le casse-tête ne paraît pas simple à résoudre.