Il ne chante pas, il rappelle, et ses rappels transportent. Rachid Khali, Kraïmèche Rachid pour l'état civil, fonctionne en relation constante avec son art, le chaâbi, sa ville de naissance, Alger. Son souci premier : entretenir le répertoire musical de ses ancêtres, le reconstituer dans son essence et ses bribes avant de le réinventer en tonalités actuelles, l'enrichir avec les mots du jour ; les goûts présents, le réinterpréter avec de «nouvelles touches», de sonorités conformes au moment, en re-créativité constante et vigilante. Rachid ne ressasse pas les complaintes. Il les habite de sa voix, de ses nuances vocales, de sa sensibilité d'interprète proche des gens de son entourage, de leur vécu. Porteur de projet esthétique et non suiveur aveugle, l'artiste distingué n'est pas là uniquement pour rendre visite. Dépoussiérer et repartir. Il est dans la réhabilitation avant d'être dans la contemplation. Dans les versions musicales qu'il propose à ses publics, Khali est totalement impliqué dans la restitution éclairée du genre chaâbi dans ses tempos spécifiques, ses rituels citadins nourris au melhoun ancestral et à la tradition maghrébine, ses codes d'honneur transmis de l'hier et ses préoccupations esthétiques de l'aujourd'hui et de demain. Sa voix est marquée par l'amour de la fidélité à El Hachemi Guerouabi, El Hadj M'hamed El Anka, Mahboub Bati et à tous ces amoureux d'un art populaire puisé du patrimoine citadin, lieu de convergence de toutes les influences culturelles et de tous les terreaux lyriques développés par la tradition et l'échange… d'écoute. Chez ce Casbadji pur jus — il a débuté sa carrière en 1971 à l'école de musique andalouse du quartier mythique d'El Assima — la chanson chaâbie est d'abord un art de vivre qui sait d'où il vient et où il va et comment y arriver. Arpenteur acharné des legs des anciens dans leur version la plus authentique et la plus complète possible, l'auteur inspiré de Chabka — en hommage à El Hachemi Guerouabi — a une voix qui relie les cœurs et adoucit les comportements. Nos comportements. Avec la complicité de ses violons, cuivre, guitares sèches, mandoles et percussions, il rend bien hommage à la patrie de son père avec ses qçaid que beaucoup de candidats au genre ont malmenées ou carrément trahies. L'espérance inassouvie en matière de quêtes de nouveaux territoires esthétiques inexplorés, Rachid, enfant de l'indépendance, est un irrédentiste nomade de la patrie chaâbie dans son histoire intarissable et son actualité bouleversée. Passeur chevronné de tout ce qui touche à la chanson chaâbie, Rachid Khali frémit fort au désir ardent de promouvoir cette musique à profondeur maghrébine indéniable. Invité dernièrement au 11e Festival Mawazine de Rabat, Rachid Khali — premier chanteur chaâbi à se produire sur cette prestigieuse scène dédiée aux rythmes et musiques du monde — revisitera de fort belle manière les œuvres éternelles de notre patrimoine artistique et culturel commun. Sur un concert de plus d'une heure quarante, il chantera avec une élégance sans pareille plus de 20 chansons. Chanteur-compositeur au long cours et qui ne se presse pas trop pour éditer ses œuvres, Khali a foulé les grandes scènes de pays à grande tradition lyrique, comme le Maroc, la Tunisie, la Russie, la France, l'Italie, l'Allemagne, le Portugal, les Etats-Unis, mais il n'a jamais été tenté de tourner le dos à sa Casbah natale, de s'éloigner de ses senteurs populaires, de ses valeurs sûres et de sa poétique quotidienne. Sa célèbre qacid Ya Dzaïr est là pour le confirmer. Confirmer son attachement au pays, à ses traditions à ses autres cheikhs comme Amar Zahi, Boudjemaâ El Ankis et Abdelkader Chaou. Lors de ses récitals, ses aïeux ne sont jamais loin. Il les invite pour mieux dire sa fidélité, son respect, sa ligne de conduite. L'interprète inspiré de Goumriet Lebrouj est régulièrement escorté par le souffle créatif de ses aînés… de leur soutien, de leur reconnaissance à sa mission revalorisatrice, continuatrice, réparatrice. Normal, le disciple des belles œuvres reste fidèle aux modèles… à leurs actions… à leurs sentences. Ould El Bahaja n'est pas dans la reproduction mais dans la continuité sereine et avisée. Pour preuve, le témoin avisé de son temps, respirant l'optimisme de tous ses pores, est co-fondateur de l'association El Hachemi Guerouabi.