Le livre Nos mals-aimés : ces musulmans dont la France ne veut pas, paru chez Grasset, a alimenté la polémique. Certains reprochent au journaliste Claude Askolovitch d'encourager l'islamisme. Lui répond qu'il s'agit de sauver la République des excès lorsqu'elle fustige les siens, c'est-à-dire les musulmans qui constituent désormais une partie non négociable du pays. Entretien. -Avez-vous été étonné par les réactions parfois négatives que la parution de votre livre a suscitées ? La France change, que ce soit difficile pour pas mal de gens ce n'est pas nouveau. Je ne suis pas étonné sur le fait que la France a du mal à accepter sa nouvelle identité musulmane, c'est sûr. Deuxième point, il y a eu dans certains médias des attaques complètement folles. On peut penser bien sûr que ma thèse n'est pas la bonne, que des lois laïques restrictives contribueraient mieux à l'intégration, je pense le contraire, mais j'admets qu'on soit en désaccord. En revanche, et je pense que cela me donne raison en creux, quand certains expliquent que mon livre haïrait la France et qu'il veut la détruire avec les salafistes pour punir la France d'avoir fait Drancy (Ndlr la déportation des juifs), on voit à quel point une part des élites françaises est sortie du sens commun. Des expressions qu'on ne voyait plus depuis des années dans ce pays. Je savais que c'était dans l'air, mais c'est révélateur. Cela veut dire que des gens n'ont pas vu ce qui se passe. La détestation des musulmans, c'est dire intrinsèquement que les musulmans ne pourraient pas participer à l'expérience de la société française. -Nous pouvons tous faire le même constat sur la détestation, mais est-ce pour autant qu'il faut aimer les intégristes, comme vous semblez le laisser entendre ? Je répondrai à cette question, mais avant cela je voudrais dire que Marine Le Pen a été considérée comme normale alors qu'elle pratique une islamophobie constante, qu'elle a pu expliquer que n'importe quel immigré clandestin est un Merah potentiel. Cette violence là est révélatrice. D'autre part, ce qui m'a intéressé à la parution de mon livre ce sont les articles favorables et les réactions positives de musulmans dont beaucoup de non pratiquants. Ils ressentent ce qui se passe depuis des années. Le moment de la vie politique où les autorités française ont visé à restreindre le champ d'apparition de l'Islam, ce moment-là est en train de basculer. Le rejet est allé trop loin. -Alors venons-en à la question de l'intégrisme. A flatter, est-ce qu'on ne flatte pas aussi l'extrémisme de certains personnages auxquels vous donnez la parole, comme ce salafiste d'origine tunisienne, sympathisant d'Ennahdha ? Religieusement, il se considère comme un musulman d'obédience salafiste… Il travaille, il est marié, sa femme ne porte pas le voile, il part à Euro Disney… Salafiste, quand il prie, ou quand il se recueille il va chercher… -Vous pensez que les salafistes ne sont pas des extrémistes ? A aucun moment je ne flatterai des gens qui seraient liberticides, dangereux, coercitifs, méchants. Dans mon livre, je m'exprime assez clairement sur les extrémismes. Les extrémistes qui mettent en danger autrui ne sont pas ma tasse de thé. Pour autant, la société française a évolué de telle manière qu'il y a des gens engagés, et même intégristes de la religion. Ce n'est pas ma culture, mais la réalité est celle d'une société qui n'est pas capable de dépasser sa peur de ce qui est différent, pour se barricader. Pas une seconde je n'approuverai l'existence de radicaux djihadistes. Et en plus pas dans un journal algérien, vous qui savez exactement ce que c'est, vous qui avez vécu une guerre civile autour de ça. Je ne suis pas dingue, évidemment non ! Moi, je parle simplement de musulmans affirmés. La France vis-à-vis des musulmans n'accepte pas le fait qu'elle a changé, qu'elle ne ressemble plus à l'idée qu'elle se faisait d'elle-même. On est passé du racisme anti-immigrés, que les bonnes consciences pouvaient combattre, à l'idée que les musulmans sont en train de nous changer de l'intérieur. Sous le ton de «attention, on n'est plus chez nous»… Les démocrates face à cela sont démunis. Je dis simplement : non, la France n'est pas en proie à des extrémistes qui voudraient nous tuer. Les musulmans sont des gens comme nous.Vous savez que ce qu'on a vécu en Algérie était aussi un combat entre vision laïque et tentation de tout islamiser. Ce face-à face de tous les jours dure encore en Algérie et depuis quelque temps en Tunisie, en Egypte. Est-ce que votre démarche ne favorise pas cet islam politisé ? Je ne donnerai pas de leçon en la matière aux Algériens et à l'Algérie, cela serait indécent par rapport à ce que vous avez vécu. Je sais ce que l'Algérie a vécu. La France de ce point de vue-là n'est pas l'Algérie. -Vous ne pensez pas que l'intégrisme est unique, que ce soit en Algérie ou en France ou ailleurs ? Les sociétés sont différentes. Les musulmans dont je parle dans mon livre sont des hybrides. A la fois musulmans orthodoxes, intégristes parfois, et extrêmement Français dans la contradiction. Il y a bien évidemment des choses dangereuses qui se passent, comme Merah ou Kelkal…
-Pardon, je ne parlais pas de terrorisme, mais d'intégrisme. On parle suffisamment de l'influence de certains pour changer les mœurs de leurs coreligionnaires… Non ? Je vous réponds. Il n'y a pas de complot. La loi est là, à l'école, dans les entreprises, ou ailleurs et les autorités sont là. Pour moi, je le dis tranquillement, il n'y a pas de complot intégriste musulman pour transformer la France, ni pour contraindre les musulmans à changer. Il y a des gens qui peuvent avoir des comportements désagréables, cela doit être combattu dans la société. Il n'y a pas d'organisation, de main noire qui voudrait bouleverser la France tout entière. Il y a une société française qui se cherche et dont les musulmans, y compris engagés religieusement, font partie. La France trouvera son équilibre. Je vois très bien la lutte entre les laïcs et les salafistes en Tunisie, mais je ne peux la transposer à la situation française. Mon sujet c'est que parmi les pays similaires européens ou occidentaux, nous sommes celui qui est le plus coercitif et le moins adapté à sa propre diversité. Quand en Tunisie les pré-fascistes veulent contraindre les gens, imposer des comportements, je suis totalement contre. Quand en France les maniaques de la laïcité veulent empêcher une jeune fille d'aller à l'université parce qu'elle porte un foulard, je suis radicalement contre. Je sais où je me bats dans ma société, et vers où va ma sympathie dans les pays de l'autre côté de la Méditerranée. -Le voile pour les femmes fait partie de la panoplie islamiste. En 20 ans, le nombre de femmes qui le portent s'est démultiplié. Pouvez-vous le considérer uniquement comme un vêtement musulman sans ce qu'il y a derrière ? Je ne suis pas théologien musulman. Je trouve ça ni normal ni pas normal. Toutes les religions passent par des phases de ré-identification. Ce qui s'est passé dans le monde musulman a eu des effets en France. Rien ne naît par hasard. Une fois qu'on a dit ça, les femmes portant foulard sont métissées, d'origine musulmane, française, je ne peux pas accepter que la société française les traite comme des non-citoyennes. Mais j'entends parfaitement ce que vous me dites, je le vois, et je sais parfaitement le martyre en Algérie des femmes qui refusaient de le porter, mais cela n'a rien à voir avec la pratique libérale et républicaine que nous devons avoir. En revanche, si des femmes étaient forcées à porter le voile, les frères, maris, pères devraient être poursuivis et condamnés. On voit bien que les femmes le font plutôt spontanément. Cela peut surprendre et déranger, mais c'est dans notre société que cela se passe, avec des gens français. C'est comme ça.