Les atteintes aux libertés individuelles et collectives, dont la liberté d'expression, se multiplient dans le pays dans l'indifférence quasi totale. Le phénomène s'est banalisé et imposé à la société comme une fatalité contre laquelle il n'y a aucun recours possible. Les affaires des deux blogueurs : Aloui de Tlemcen, incarcéré depuis un mois à Serkadji, poursuivi pour avoir mis en ligne des caricatures jugées outrageantes du président Bouteflika et du Premier ministre Abdelmalek Sellal, et de Saber Saïdi, détenu en juillet 2012 pendant 9 mois pour «apologie du terrorisme» pour avoir mis sur la Toile des vidéos sur le Printemps arabe, n'ont suscité aucune mobilisation au niveau de la classe politique et de la société civile, en dehors de quelques initiatives isolées des militants des droits de l'homme. Cette passivité, démission de la société devant un phénomène qui prend des proportions inquiétantes, a encouragé le pouvoir dans ses dénis du droit. Conforté en cela dans sa conviction que les contrepouvoirs qui empêchent tous les autoritarismes de s'exprimer ont déserté, pour des raisons multiples, le champ des luttes démocratiques. La dernière salve tirée contre le droit constitutionnel de la liberté d'expression et de la presse est illustrée par la polémique soulevée par un commentaire de notre confrère du quotidien El Khabar, Saad Bouakba, qui s'indignait que l'information sur les obsèques du général Giap diffusées par la Télévision nationale ait été donnée avant l'information sécuritaire nationale. Le ton martial de la mise au point du ministère de la Défense nationale et les menaces à peine à voilées qui s'adressent, au-delà du fait d'actualité en question, à la corporation et à toutes les voix «rebelles» et contestataires, voire tout simplement trop critiques au goût du pouvoir, annoncent un sale temps pour les libertés publiques en cette période préélectorale. Le coup de semonce du MDN résonne comme un avertissement contre toute velléité de semer le doute dans les esprits quant aux signaux sur la normalisation politique et la bonne gouvernance que les autorités algériennes tentent difficilement de faire passer à l'extérieur. L'armée, qui n'est plus désormais un sujet tabou – et c'est tant mieux –, entend-elle par cette réaction, que beaucoup jugent disproportionnée par rapport au «délit» de presse réel ou supposé commis par le journaliste, siffler la fin de la récréation ? Du moins pour tout ce qui touche à l'institution militaire placée sous les feux des projecteurs des médias de la presse écrite privée, à la faveur des changements intervenus récemment au niveau de l'encadrement de l'ANP. Serait-ce une manière dissuasive visant à inviter les journalistes et les militants des droits de l'homme à ne plus s'occuper des affaires ayant trait à l'institution militaire ? Qu'on laisse l'armée «en paix» ! En tout état de cause, ces trois affaires successives soumises à la justice reposent dans toute son acuité la question immatérielle de l'outrage au président de la République, à corps constitués. Un concept mal codifié dans la loi, laissé à la seule appréciation du juge dont l'indépendance par rapport au pouvoir politique ne dépasse pas le stade du discours. Pendant que le destin d'un journaliste, d'un blogueur, d'un militant des droits de l'homme ne tient qu'à un fil ténu, on invite sans sourciller les journalistes à débattre de la carte professionnelle de presse et on organise à Alger un forum arabe sur «la bonne gouvernance de l'utilisation de l'internet». Surréaliste !