Depuis une décennie, le parc des véhicules de tourisme, principale source de pollution urbaine, s'est diésélisé à un rythme très élevé en Algérie malgré les risques avérés que fait peser ce carburant sur la santé. Les émissions des véhicules diesel, et plus particulièrement les particules de carbone qu'elles contiennent, constituent une cause directe des pathologies du cancer. Le diesel est bien cancérigène ; l'annonce a été faite il y a quelques semaines par l'OMS. L'air pollué peut pénétrer dans les poumons, entrer dans la circulation sanguine et provoquer des cardiopathies, des cancers du poumon, des cas d'asthme et des infections respiratoires», indique l'OMS, qui a compilé les données sur la qualité de l'air fournies par 1100 villes dans 91 pays. La pollution urbaine est principalement incriminée dans l'augmentation de la fréquence des maladies respiratoires, notamment l'asthme et la rhinite allergique qui touchent respectivement un million et trois millions d'Algériens. Les spécialistes ont déjà tiré la sonnette d'alarme, mais les pouvoirs publics tardent à mettre en place une réglementation stricte quant à l'utilisation d'un carburant moins polluant. A ce jour, aucune étude ni enquête nationale n'a été menée sur les risques de la diésélisation du parc automobile sur la santé. Si des mini-enquêtes portant sur les conséquences de la pollution sur l'appareil respiratoire ont été réalisées par des praticiens de santé publique, rien d'autre n'a été fait pour connaître l'ampleur des émissions cancérogènes de ces moteurs, bien qu'il ait été démontré que les risques de santé publique les plus évidents dus aux émissions de particules fines et d'oxyde d'azote sont le cancer du poumon et les crises d'asthme. Les spécifications en matière de teneur en souffre et en plomb contenus dans l'essence tardent à voir le jour pour la consommation d'un carburant moins polluant. Le seuil limite, dans la réglementation actuelle, est de 0,40 g de plomb/litre d'essence produit en Algérie. A noter que le plomb est un produit dangereux. L'essence avec plomb contribue à la pollution atmosphérique ; il présente une menace sur la santé de la population dans les centres urbains. La pollution est un des facteurs de nuisance d'un certain nombre de cas cliniques. Dans une étude réalisée, les différents services de pneumologie à Alger en 2001 a confirmé le lien direct entre l'augmentation du nombre de consultations et le taux de pollution dans l'air notamment les poussières (PM10). Le Pr Nafti, chef du service des maladies respiratoires à l'hôpital Mustapha Bacha, affirme que la ville d'Alger est exposée à une forte pollution vu son intense activité portuaire ; son port concentre le tiers du tonnage national. Son réseau routier, explique-t-il, a connu un développement remarquable et Alger s'est vue dotée d'importantes infrastructures routières et autoroutières. D'importants centres industriels sont implantés à l'est de la ville ainsi qu'une raffinerie et deux cimenteries, dont une est située en pleine agglomération. Il signale que les facteurs climatologiques de la capitale font d'Alger un lieu privilégié dans la mesure où le phénomène de brise de mer provoque des pics de pollution en hiver et en été. Le parc automobile est alimenté principalement par des importations et la proportion des véhicules de moins de cinq ans atteint 40% pour les véhicules de tourisme et est estimée à 39% pour les camions et autobus. Tout ce parc utilise des carburants polluants comme l'essence et le gasoil (diesel). «La ville d'Alger est inscrite sur une liste dressée par la Banque mondiale parmi les villes les plus polluées par l'essence ou le plomb. On estime que la quantité de plomb déversée chaque jour dans l'atmosphère de la ville est de l'ordre de 15 tonnes !», a-t-il précisé. Et de signaler que si la mesure de l'émission des polluants n'est pas régulièrement effectuée, on dispose de données chiffrées à plusieurs années d'intervalles. Il déplore que plus de 5000 tonnes de déchets sont déversées et brûlées quotidiennement dans la décharge située en bordure de l'autoroute Est, dégageant un nuage de fumée noire chargée de gaz toxiques et de particules qui se déplacent au gré du vent tantôt vers l'est tantôt vers l'ouest en direction de… l'agglomération algéroise. «En hiver, le brouillard de la plaine de la Mitidja se combine à ces fumées pour former un véritable smog responsable d'une baisse importante de la visibilité sur l'autoroute et a engendré des carambolages où l'on a dénombré de très nombreuses victimes.» Le Pr Nafti signale que les taux de pollution de cette décharge publique des déchets de la capitale ont été rarement mesurés. Mais, il rappelle qu'une étude réalisée au début des années 2000 a révélé une acidité forte 460 mg/m3, une fumée noire : 306 mg/m3, sachant que l'effet seuil alors que les normes en valeurs journalières doivent être inférieures à 75 mcg/m3 de fumée noire et 145 micg/m3 d'acidité forte. Il est clair, précise-t-il, que l'impact sur la santé des citoyens est plus que dramatique. Les résultats des études épidémiologiques des principales affections sont édifiants. La prévalence de l'asthme chez l'enfant fréquentant les écoles situées au centre ville est passée de 6,6% à 11,8% en 14 ans (1996-2010). La broncho-pneumopathie chronique, dont la cause principale est le tabagisme ainsi que la pollution qui a une responsabilité non négligeable, est passée de 2,3% en 1990 à plus de 4,8% en 2009. Quant au cancer bronchique, l'incidence des cas déclarés à Alger, qui était de 0,90 pour 100 000 habitants en 1980, est passé à 8,3 en 1996 pour atteindre 29 cas pour 100.000 habitants en 2010. «L'analyse des causes d'hospitalisation dans les services de pneumologie de la capitale montre que, pour l'asthme, l'hospitalisation a triplé au cours de 10 dernières années, a doublé pour le cancer bronchique et quadruplé pour les maladies des bronches (BPCO) alors que le nombre d'hospitalisations pour tuberculose a diminué de plus de 70%», a conclu le Pr Nafti. D'autres études réalisées par l'Institut national de santé publique (INSP) et le ministère de l'Environnement ont également montré le lien direct entre l'augmentation du nombre de cas de ces maladies et la qualité de l'air. Malgré toutes ces études nationales et internationales, l'Etat hésite encore à franchir le pas, comme cela est fait dans certains pays voisins et en Europe, pour se mettre aux normes internationales qui limitent l'exposition aux particules. La norme européenne fixe le seuil à 50 millionièmes de gramme de particules en suspension par mètre cube d'air et fait obligation d'installer un filtre à particules (cet équipement n'a été rendu obligatoire qu'en 2011). Les émissions d'oxyde d'azote sont elles aussi réduites grâce à la généralisation du pot catalytique. Mais il n'en demeure pas moins que ces moteurs produisent des rejets polluants. En France, où le taux de diésélisation du parc avoisine 70%, quelque 40 000 morts par an sont imputés aux émissions de particules de carbone. Cet état de fait a déjà amené la Commission européenne à proposer le changement du système de fiscalité pétrolière pour ralentir le phénomène de diésélisation. Qu'attend l'Algérie pour revoir sa législation et s'aligner sur ces normes ?