Le verdict est tombé hier en début de soirée dans l'affaire du trafic de cocaïne, sanctionné par des peines de 5 à 20 ans de prison. Des avocats ont plaidé l'innocence de leurs clients, déclarant que certains enfants de personnalités n'ont pas été poursuivis. Les nombreux avocats qui se sont succédé à la barre du tribunal criminel d'Alger, pour défendre les auteurs présumés du trafic de cocaïne, se sont pour la majorité insurgés contre la torture subie par les accusés dans les locaux du Département de renseignement et de sécurité (DRS). Maître Miloud Brahimi, agissant au nom de Zenir Hicham Mohamed Anouar et du chanteur Réda Sika, s'en prend avec virulence au réquisitoire du parquet. «Les demandes du ministère public violent la Constitution qui garantit l'individualisation de la faute pénale. C'est inacceptable. Tout ce dossier est basé sur du bricolage. Ces lourdes peines ont été requises parce qu'il y a eu importation de 2O3 g de cocaïne d'une valeur ne dépassant pas 10 000 euros. Le 26 novembre dernier, j'ai moi-même assisté à une affaire de saisie de 109 kg d'héroïne et 45 kg de cocaïne, dont une partie des auteurs ont été poursuivis en France par le tribunal correctionnel et, croyez-moi, le verdict est très loin du réquisitoire du ministère public, y compris contre le ressortissant français impliqué et arrêté en Algérie. Comment expliquer ce racisme judiciaire ?», s'offusque l'avocat. Il se demande «pourquoi le chanteur cité dans le dossier n'a pas été convoqué», ajoutant : «Nous ne pouvons pas mettre tout le monde dans le même panier. Celui qui importe pour sa consommation n'est pas comme celui qui importe pour revendre. Les peines requises sont barbares et sauvages…» Abondant dans le même sens, maître Bennaceur fait état de «graves violations de la procédure» et de «tortures» subies par les accusés. «Comment pouvons nous nous plaindre de ces tortures lorsque nos clients sont présentés au juge à 4h du matin ?», dit-il en plaidant l'innocence de Zenir Hicham. Les mêmes propos sont tenus par Me Chaoui, qui évoque «la torture sans trace, celle qui consiste à noyer les poumons d'eau à l'aide d'un chiffon que l'on met dans la bouche de l'accusé». Il juge très graves ces pratiques qui, selon lui, ont poussé les mis en cause à s'accuser mutuellement. Lui emboîtant le pas, l'avocat de Maghraoui Faycal déclare : «Mon client a subi l'épreuve du chiffon mouillé dans la bouche. Les militaires lui ont ligoté les mains et les pieds avant de le suspendre comme un mouton pour qu'il avoue des choses qu'il n'a pas commises, en vain. Même dans les geôles du tribunal, il a été menacé par le DRS.» La veille, Me Bouhana, qui agit pour le compte de Bourad Yazid, le gardien du port d'El Djamila, jette un pavé dans la mare en donnant les noms de hautes personnalités dont les enfants ont été, selon lui, cités dans l'affaire mais n'ont pas été poursuivis. «Bouras a été torturé durant deux jours et a déclaré au juge avoir signé des procès-verbaux en blanc. C'est un zawali (simple citoyen) qui travaille au port d'El Djamila en tant que gardien des bateaux de plaisance appartenant aux enfants de riches, comme Amine le fils de Aboudjerra Soltani, Sofiane le fils du général à la retraite Khaled Nezzar, qui ont pour habitude de consommer de la cocaïne. Pourquoi le juge n'a-t-il pas ouvert d'enquête sur ces personnes, comme il l'a fait pour de nombreux accusés qui sont dans le box pour consommation ?», s'insurge Me Bouhana, qui regrette que «le juge abandonne les requins pour s'intéresser à la petite sardine qu'est Bouras…» En fait, dans les procès-verbaux de l'instruction, Bouras s'est présenté comme un gardien qui s'occupe des bateaux de plaisance de riches Algérois et des enfants de hautes personnalités de l'Etat. Les zawali et les fils de Soltani, Nezzar et Boustila Tout le monde le connaît au port d'El Djamila et lui sait tout ce qui s'y passe. En plus des noms révélés par son avocat à l'audience de lundi, Bouras a aussi cité quelques propriétaires de bateaux qu'il fréquente, comme Mourad, le petit-fils de Messaâdia, ou encore Yacine, le fils du général-major Boustila, patron de la Gendarmerie nationale, et le fils de l'ex-ministre de la Solidarité nationale, Djamel Ould Abbès. Plaidant pour les frères Farsi, Me Lakhlef commence par qualifier les demandes du parquet général de «scandales». Il dénonce «la torture subie» par certains accusés qu'il qualifie de «honteuse». Il revient sur les faits en disant qu'«ils manquent de preuves matérielles» et déclare que la police judiciaire «doit trouver les preuves et non pas les fabriquer». Maîtres Chaâba Linda et Boumerdassi défendent, quant à elles, le chanteur Réda Sika en axant sur les «nombreuses failles» de la procédure, mais aussi «sur l'absence» de preuves matérielles. Me Boumerdassi rappelle que l'accusé «avait avoué avoir consommé de la cocaïne en 2008, lorsqu'il est parti pour Bamako et que depuis, il a juré de ne plus y toucher». Malgré la torture subie, il a nié tout lien avec cette affaire. L'avocat de Derbah juge «insensée» la situation de son mandant «qui n'est cité ni comme consommateur, ni commerçant, ni importateur de cocaïne». Pour maîtres Hamouda Salim et Chiat Hocine, Oumeziane Bilal est poursuivi parce qu'il a avoué avoir tenté de consommer de la cocaïne. Il n'est pas consommateur, ni transporteur, ni vendeur. Alors, pourquoi la peine perpétuelle ? Me Laibi tente de démontrer que l'enquêteur principal de la Brigade de recherche et d'investigation (BRI) de la sûreté de wilaya d'Alger, Guenez Redouane, n'est qu'une victime. Il exhibe les félicitations que le policier a obtenues en 2007 pour la saisie de 17 kg de cocaïne, en 2009 pour l'arrestation d'un groupe de terroristes et en mai 2013 pour la saisie de 500 kg de kif à Maghnia. «Il a été félicité par le patron du DRS. Il ne connaît que Farsi Tayeb. Sous la pression du DRS, Abdennour a appelé son frère Tayeb, qui était recherché, et lui a demandé de le retrouver à la maison parce qu'il a eu un grave accident. Tayeb appelle Guenez et lui demande d'aller aider Abdennour. Il s'est déplacé à Draria et lorsqu'il a vu le fourgon du DRS dans le quartier, il s'est comporté comme un policier en offrant ses services pour arrêter Tayeb. Une semaine après, les militaires l'ont convoqué, mais ses supérieurs ont refusé qu'il aille à la caserne. Ils leur ont demandé de venir l'entendre à la sûreté de wilaya. Il est l'un des rares policiers qui continue d'exercer malgré cette affaire, parce que ses chefs connaissent son intégrité et ses compétences», note l'avocat qui plaide l'innocence. Me Chorfi axe sa plaidoirie sur le contexte dans lequel son client, Hellou Youcef, a été «abusé par des prédateurs». «Il fréquente le milieu du Club des Pins où les enfants de la ‘‘kiyada'' (autorités) sont habitués à l'impunité. J'ai en mémoire une affaire similaire où, parce que des enfants de gros pontes étaient poursuivis, le dossier a été scindé en deux, une partie correctionnelle pour les enfants des riches et l'autre criminelle. Nous sommes dans deux Algéries. Celle des pauvres qui grossit et celle des riches qui se fortifie. Les riches ont utilisé Hellou et aujourd'hui, ils s'en lavent les mains», souligne Me Chorfi, précisant qu'«en racontant toute la vérité sur l'affaire avec spontanéité, Hellou n'a fait qu'expier une erreur qu'il a reconnu avoir commise et qu'il regrette». Il révèle : «Il y a un déséquilibre entre la PJ du DRS et celle de la gendarmerie et de la police, sinon pourquoi ce sont les seules qui font des présentations clandestines, sans la présence des avocats et, surtout, pourquoi leurs affaires passent telles quelles, sans changement ?» L'avocat insiste sur le profil de Hallou en disant : «C'est un jeune homme de 27 ans qui regrette terriblement les actes commis et espère la clémence du tribunal.»