Plus on avance, et plus on constate qu'entre les télévisions de l'Etat et les nouvelles chaînes privées il n'y a pas grande différence ni dans le contenu des programmes, ni dans la recherche de l'originalité. A part l'étalage d'un style plus clinquant, certainement plus moderniste de la part de celles qui arrivent sur le marché avec l'ambition de le conquérir en un laps de temps, la vraie nouveauté tarde à venir. Elle ne se dessine pas encore. La diversité qui devait relever le niveau de production et de réalisation des émissions grand public, de l'info ou du divertissement a ressemblé à un feu de paille. Forgés par les années à la qualité des productions occidentales et des chaînes orientales qui se sont alignées sur les impératifs de l'esthétique et du professionnalisme, les algériens trouvent que nos écrans, notamment ceux qui promettaient un label plus élaboré, font dans le bricolage. En passant donc d'un écran à un autre, on a la nette impression que le produit télévisuel n'a pas tellement évolué. Si les écrans de l'Unique paraissent encore dominer largement la scène et ratissent par conséquent plus large en matière d'audience nationale, c'est plus en raison de leurs équipements et de leurs moyens techniques et humains que de leur savoir-faire qui reste pour la majorité des téléspectateurs locaux bien en deçà des standards internationaux. Deux années après l'expérience de l'ouverture (toujours non officielle) du champ télévisuel aux privés, le bilan est plutôt médiocre. C'est l'avis d'une large majorité qui estime que la nouvelle télévision algérienne n'a pas encore le profil nécessaire pour pouvoir accompagner les bouleversements socio-culturels et politiques qui caractérisent le pays. L'enrichissement naturel de l'espace qui devait surgir d'une saine émulation laisse place à un faux challenge qui installe une idée de confrontation à distance dans laquelle les entreprises privées, parce qu'elles représentent ce secteur qui reste toujours inférieur aux yeux des dirigeants, partent perdantes à l'avance. Le clivage est voulu. Il est encouragé par le Pouvoir pour éviter que les concurrents potentiels de l'Unique soient trop influents. Et le paysage n'est pas près d'être chamboulé. On a d'un côté une télé étatique mastodonte sous forme d'une hydre à plusieurs têtes qui continue de sévir avec les mêmes réflexes d'arrière-garde, le même mode de pensée sclérosée pour un programme global qui n'accroche plus, et de l'autre de petites entreprises de télévision qui se sont construites dans le tas pour d'abord exister et occuper le terrain, et ensuite essayer de se singulariser mais avec des moyens dérisoires. Lorsqu'on sait qu'une télé privée dans le monde absorbe un budget colossal à plusieurs millions de dollars juste pour faire fonctionner un personnel considérable et des équipements de pointe sans lesquels la courbe d'audimat resterait toujours braquée vers le bas, on a vite conscience que les nôtres appartiennent à une autre catégorie de médias. Avec un personnel technique et journalistique réduit à une portion congrue, un studio exigu, une caméra ou deux et sans apport publicitaire conséquent elles ne peuvent, matériellement et humainement, que faire de la résistance. Faire semblant et résister, c'est le leitmotiv de toutes les nouvelles télévisions qui se sont créées avec des investissement dérisoires dans le but évident d'avoir une part du marché télévisuel qui est, ne l'oublions pas, très rentable en Algérie dans la mesure où tout reste à faire. L'intention du départ de ces nouveaux explorateurs du champ audiovisuel qui se sont d'emblée mis en porte-à-faux de la loi en prenant un statut étranger pour l'identité, n'aura donc pas été de combattre politiquement et idéologiquement le système de communication instauré par l'Etat à son service exclusif, et bien entendu de le démocratiser pour rendre la télévision plus libre et plus proche des préoccupations des citoyens, mais de s'affirmer comme partie prenante de ce système avec l'ambition de réaliser autant que faire se peut de bonnes affaires commerciales et économiques. Vue sous cet angle, la télé version privée ne serait-elle qu'un vulgaire tremplin pour mettre un pied dans la politique qui mène aux affaires, alors qu'on a fait croire au public que c'est la fin du diktat de la médiocrité de la télé étatique qui était recherchée ? On saisit mieux aujourd'hui pourquoi, d'une part, l'Unique ne se sent nullement inquiétée par cette multiplication de nouveaux écrans qui aspirent à se faire une place au soleil dans un monde de l'audiovisuel où l'argent dirige tout, et, d'autre part, pourquoi la concurrence reste très faible par rapport aux attentes sachant que les arrivants dans le circuit demandent plus qu'ils ne proposent. Déjà qu'ils sont soumis presque à l'allégeance en espérant que les gouvernants veuillent bien leur accorder (ou prolonger) l'agrément de transition en attendant de voir plus clair avec l'adoption d'une loi sur l'audiovisuel qui renforcera d'abord les médias publics, leur avenir est pour ainsi dire tracé. Ils se feront avec des nuances calculées aux schémas thématiques qu'on aura choisis pour eux. Ils seront dans l'obligation de se soumettre à la volonté politique qui prépare une ouverture soft, pas du tout compromettante pour la télé d'Etat. Il y a comme une fatalité qui s'est installée dans ce milieu et qui nous permet de penser que la télévision de demain ressemblera au système politique qui survivra à la prochaine élection présidentielle. Aux nouveaux entrepreneurs de la communication de nous prouver le contraire !