L'année 2013 s'achève sur une note plutôt triste pour les télés privées. Alors que certaines d'entre elles font de la résistance en attendant la promulgation de la loi sur l'audiovisuel promise pour le début de l'année prochaine, d'autres, et elles sont relativement nombreuses, n'ont eu comme solution à leurs problèmes que celle de mettre la clé sous le paillasson. En fait, elles ne pouvaient plus faire face aux fortes exigences financières de leurs entreprises qui ont dépassé de loin leurs prévisions budgétaires. Les résultats sont dramatiques pour beaucoup de familles qui se retrouvent du jour au lendemain sans ressources. On a licencié, en effet, massivement au niveau du personnel journalistique, technique et administratif pour éviter que les choses s'aggravent encore davantage. Solution de facilité extrême qui permet aux directions des chaînes en question de se tirer d'affaire sans trop de dégâts, mais qui se répercute violemment sur un personnel non responsable d'un tel fiasco, et sur lequel on avait pourtant fondé tous les espoirs de conquête. Que faut-il penser de cette situation pour le moins prévisible sinon qu'elle reste édifiante sur la manière dont a été conçue l'idée de l'ouverture audiovisuelle aujourd'hui brutalement remise en cause et qui, deux années après son lancement, commence sérieusement à montrer des signes d'échec que les nouveaux promoteurs, désabusés, ne démentiront pas. Mais à qui la faute ? Certainement pas aux nouveaux investisseurs qui se sont rués, sans trop réfléchir au départ, dans la petite brèche tolérée par le Pouvoir dans le but évident de se faire valoir comme un partenaire médiatique à part entière, dont l'ambition est d'être une alternative crédible au système de télévision existant, en attendant que les choses se clarifient sur le plan législatif. La faute, en réalité, c'est le gouvernement qui l'assume entièrement en agissant plus par calculs politiciens que par une préparation rigoureuse du projet d'ouverture qui nécessitait organisation et mise en place de structures fiables pour permettre à la télévision privée d'avoir sa place dans notre paysage télévisuel et surtout pour l'accompagner par des dispositions réglementaires et juridiques à même de faciliter son rayonnement. Au lieu donc de montrer ses dispositions et sa volonté politique à démocratiser réellement le champ audiovisuel dominé outrageusement par la télé étatique, le Pouvoir a lancé le projet en le livrant anarchiquement à l'initiative personnelle du tout-venant. Entre parenthèses, on saura, après deux années d'exercices vraiment poussifs, que cette attitude des autorités n'était pas tellement innocente puisqu'elle a servi, avec le temps, à décrédibiliser les écrans naissants. Façon de dire : «Vous voyez, ils ont voulu se risquer dans des aventures qui les dépassent !» Cela dit, les résultats semblent leur donner raison. Mais comment éviter une telle désillusion quand on bâtit des entreprises sur du néant ? Les télés privées ont, à ce titre, toutes les circonstances atténuantes pour elles pour avoir tenté de jouer le jeu en connaissant au préalable la nature des pièges qui parsemaient leur chemin. Le plus important des écueils aura été celui d'être poussé à créer des boîtes hors du territoire avec un statut de droit étranger. C'était la seule voie qui était possible pour lancer de nouvelles télévisions, autrement il fallait se croiser les bras et attendre une loi qui n'est pas près de voir le jour… Si les nouveaux promoteurs de télés avaient consenti à cette obligation, aucune chaîne privée n'aurait encore eu la chance d'afficher sa mire. Ce fut donc une bonne chose que l'on ait pris ce raccourci pour forcer la main au gouvernement, mais encore fallait-il qu'il soit suivi d'effet immédiat en termes d'impact sur les réticences de ce dernier à vouloir véritablement libérer l'espace télévisuel. Le gouvernement, mis au pied du mur, au lieu de simplifier la donne en invitant les investisseurs privés à venir s'installer dans leur pays, à l'image de ce qui se fait un peu partout dans le monde, a plutôt entrepris de compliquer les choses en faisant comme les trois singes : ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire… L'Algérie est devenue ainsi certainement le seul pays qui possède des télévisions privées qui relèvent d'un statut étranger. Le paradoxe est énorme et fort préjudiciable à ces nouvelles chaînes qui se sentent profondément algériennes en s'adressant à un public algérien, mais qui pour des impératifs de fonctionnement professionnel, administratif et économique, se voient exilées pour des considérations politiciennes étroites. Il ne restait pour ainsi dire que l'alternative de négocier avec le Pouvoir une accréditation, pour le moins déshonorante, dans son propre sol pour prétendre à une activité soumise à tous les aléas de la profession. Malgré ces restrictions drastiques, certaines télés ont réussi à faire leur baptême du feu en prouvant que le désir de transformer, souvent avec des moyens dérisoires, le paysage télévisuel en Algérie est plus fort que les calculs mesquins d'un gouvernement qui en réalité n'a jamais, n'était la pression de l'extérieur, voulu libérer les médias les plus influents sur l'opinion publique. D'autres, par contre, moins audacieuses ou moins nanties, ont connu des fortunes diverses, dont celle de fermer boutique. Elles symbolisent le jeu malsain préconisé par le pouvoir pour éliminer toutes les voix qui se proposent d'apporter une autre vérité à son discours.