L'Algérie est le seul pays au monde à entretenir un drôle de paradoxe : elle dispose désormais de plusieurs chaînes de télévision privées mais qui ne sont pas régies par le droit algérien. Contrairement, par exemple, aux autres pays du Maghreb, où les télés privées se sentent armes et bagages complètement chez elles, les nouvelles qui arrivent chez nous sont certes des télés algériennes faites par des Algériens mais qui fonctionnent selon une réglementation et une juridiction étrangères. En exil pour le moment, on les a classées, à juste titre, dans la catégorie dite offshore, qui fait d'elles des sociétés ni officielles ni clandestines ou peut-être un peu les deux à la fois. Conséquence : le pouvoir politique algérien, qui a verrouillé, jusque-là, le champ des médias lourds, se retrouve complètement désarmé devant la floraison de ces chaînes sur lesquelles il n'a aucune prise. Non seulement ces télés ont envahi notre ciel avec une totale liberté d'action et d'expression qui correspond à leurs lignes éditoriales, mais aucune d'elles n'a trouvé nécessaire de se conformer au canevas imaginé initialement par le gouvernement qui, selon le ministre de la Communication, ne prévoyait que des chaînes thématiques. Ainsi, si nos gouvernants voyaient cette ouverture du champ audiovisuel sous l'angle le plus restrictif qui soit, avec des télés qui toucheraient à tout sauf au politique, autrement dit qui n'auraient l'autorisation de se spécialiser que dans les branches «pacifiques», comme le sport, la musique ou la cuisine, c'est toute leur stratégie à vouloir maintenir coûte que coûte sous leur contrôle idéologique l'espace satellitaire qui semble voler en éclats en ayant aujourd'hui affaire avec des entreprises agissant sous une configuration généraliste et qui de surcroît se font un devoir d'intervenir sur le terrain politique pour, précisément, briser le monopole accordé à la télévision d'Etat. En une période très courte, dès l'annonce en fait de l'engagement du gouvernement à lever – partiellement – la censure sur l'audiovisuel qui date de moins d'une année, les Algériens se sont surpris à se familiariser avec de nouveaux sigles autres que ceux avec lesquels ils étaient habitués. Pas moins de quatre télés, parmi les plus remarquées, ont vu le jour presque simultanément, Echourouk, Ennahar, El Djazairia, et El Magharibia pour ne pas les citer, et l'ensemble de cette nouvelle toile cathodique – à l'exception de celle qui diffuse un programme à vocation intégriste à partir de Londres et qui n'arrive pas à accrocher – a, rapidement, après les premiers tâtonnements du démarrage technique et financier, réussi avec plus ou moins de bonheur le baptême du feu. Ces écrans, chacun dans son style, se sont pour ainsi dire incrustés petit à petit dans le paysage avec une marge de progression très confortable qui les place dès à présent dans une position concurrentielle positive par rapport à l'Unique. C'est la preuve que les promoteurs algériens qui se sont lancés dans l'aventure télévisuelle ont non seulement la capacité de s'adapter aux situations les plus difficiles, mais aussi le génie de contourner les obstacles les plus rebutants, comme la bureaucratie ou le louvoiement politicien. Il y avait certes un terrain favorable à conquérir avec un besoin de changement et une attente grandissante des téléspectateurs qui voulaient à tout pris sortir du prisme déformant de la télévision nationale, mais monter avec ses propres moyens de véritables sociétés de télévision à partir de l'étranger sur des assises professionnelles et technologiques visiblement très fiables ne sont pas à la portée de n'importe qui, même si derrière la boutique, le sponsoring et l'ambition politique font bon ménage. L'envie d'enrichir le paysage médiatique algérien, d'instaurer dans notre société, longtemps muselée, une expression plurielle par la télévision dans le but de faire avancer la démocratie constitue, cependant, une motivation principale qui donne aujourd'hui des résultats très appréciables. Pour tout dire, ces télévisions privées qui se sont presque imposées à la force du biceps au Pouvoir n'ont rien entrepris jusque-là de ce qui pourrait être considéré comme dangereux pour la stabilité de la société. Sauf qu'elles apportent une autre façon de regarder cette même société et c'est ce qui apparemment déplaît à nos gouvernants. D'autant qu'avec leur présence et leur savoir-faire, c'est l'image de l'Unique qui se dégrade encore un peu plus La question alors qu'on ne peut s'empêcher de se poser est de savoir quelle serait l'attitude du gouvernement une fois que la loi sur l'audiovisuel sera adoptée par l'Assemblée nationale, si jamais l'Exécutif maintiendrait les principes de l'option thématique ? Va-t-il les interdire sous prétexte de non-respect à la loi ou les régulariser comme cela a été déjà le cas avec le bâti faoudaoui ?