La majorité de l'ANC, y compris les islamistes d'Ennahdha, a par ailleurs rejeté deux amendements, l'un proposant l'islam et l'autre le Coran et la sunna comme «source principale de la législation», malgré la vive opposition de certains élus du groupe Wafa (fidélité à la révolution) et du Courant de l'amour de Mohamed Hachemi Al Hamedi. Les obstacles des problématiques épineuses de l'Etat civil (article 2) et, surtout, de la liberté de conscience (article 6) dans la Constitution tunisienne ont été surmontés sans encombre par l'ANC. Une majorité confortable de 149 voix a soutenu la formulation qui stipule : «L'Etat est le garant de la religion. Il garantit la liberté de conscience et de croyance et le libre exercice du culte, il est le protecteur du sacré, garant de la neutralité des lieux de culte par rapport à toute instrumentalisation partisane.» Cette formulation a provoqué des réactions diverses parmi la classe politique. Ainsi, le porte-parole du bloc Wafa, proche des islamistes, Azed Badi, a estimé que «cette liberté permettrait aux satanistes, à l'idolâtrie d'organiser des manifestations publiques (...) pour propager leurs croyances». Par contre, la députée Selma Mabrouk, du bloc démocratique, a exprimé sa satisfaction de cette adoption. «L'opposition à la liberté de conscience risque de nous renvoyer à des périodes sombres de l'histoire de l'humanité, quand on accordait à certaines personnes et institutions l'inspection de la conscience des gens», a-t-elle souligné. La Ligue tunisienne des droits de l'homme a, quant à elle, appelé à lever le flou sur cet article qui «ouvre la voie à la mainmise de l'Etat sur la religion et le sacré, ce qui pourrait aboutir à des atteintes aux libertés et à la citoyenneté ». Islam et démocratie en bon ménage Les observateurs considèrent que cette attitude de la part des islamistes d'Ennahdha était attendue dans la mesure où leur leader Rached Ghannouchi avait déclaré en mars 2012 que la formulation de l'article premier de la Constitution – la Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain, sa religion est l'islam, sa langue est l'arabe et son régime est la République – allait être préservée. Ces positions ont été confirmées dans le Dialogue national, entamé depuis plusieurs mois, pour parvenir à un consensus autour de la formulation du projet de la Constitution. Toutefois, plusieurs franges de la classe politique ont exprimé leurs craintes de voir Ennahdha revenir sur ses engagements. Mais les islamistes tunisiens ont retenu la leçon égyptienne et veulent plutôt montrer qu'«islam et démocratie peuvent aller ensemble», comme n'a cessé de dire leur leader Rached Ghannouchi. Consensus Si le consensus a été respecté au sein de l'ANC qui est parvenue à voter le préambule ainsi que les 15 premiers articles de la Constitution, cela n'occulte pas la pression et les tiraillements qui ont caractérisé les débats. Ainsi, le député nahdhaoui, Habib Ellouze, a accusé de mécréance le député Mongi Rahoui, ce qui a nécessité de renforcer la sécurité autour de ce dernier, désormais objet de menaces de mort de la part des djihadistes, suite à ces accusations. Le bureau de communication d'Ennahdha a dû publier un communiqué pour se désolidariser des propos de Habib Ellouze. Ledit communiqué a «salué l'avancement des travaux de l'adoption de la Constitution et appelé toutes les parties à se concentrer sur les objectifs essentiels et dépasser les différends secondaires». Sur la voie du salut Cet incident n'empêche pas de dire qu'avec l'adoption de ces articles sur la liberté de conscience et l'aspect civil de l'Etat, un premier pas fondamental a été franchi sur la voie de l'adoption de la Constitution en Tunisie. Toutefois, l'ANC est face au pari difficile de parvenir à finaliser cette adoption avant le 14 janvier prochain, avec 131 articles encore à adopter et plus de 200 amendements à examiner. Déjà, compte tenu de ce calendrier serré, les séances se prolongent jusqu'à 23h. Mais il faut surtout renforcer ce climat de confiance qui commence à s'installer entre les blocs politiques, primordial pour la réussite de ce pari. Car il ne faut pas oublier que d'autres tâches sont à parfaire, notamment l'élection de l'Instance supérieure indépendante des élections (ISIE), prévue pour hier matin et retardée à l'après-midi suite à l'incident entre les constituants Rahoui et Ellouze. Sur un autre plan, le quartette parrainant le Dialogue national rencontre aujourd'hui, d'abord, les présidents des partis politiques, ensuite, l'actuel chef du gouvernement, Ali Laârayedh, et son successeur nominé, Mehdi Jomaâ, en vue de régler les procédures de la transition, prévue dans les jours à venir. La démission officielle de Laârayedh aura lieu mercredi ou jeudi, selon des sources du quartette. Si ces bons signes se confirment, la Tunisie est désormais en train d'avancer à pas sûrs sur la voie de sa transition vers la démocratie.