La majeure partie de la population des zones steppiques tire ses revenus de l'élevage d'un cheptel ovin estimé à 15 millions de têtes. Cette activité contribue avec près de 80% dans l'économie de la steppe et participe avec un taux de 45% dans l'économie agricole nationale. L'élevage ovin représente une valeur ajoutée de 3 milliards de dollars, selon les chiffres officiels. La wilaya de Djelfa comptabilise 3 millions de têtes dont 75% de bêtes productives. L'existence de ce cheptel et la qualité du produit reconnue mondialement se justifient par la disponibilité de plantes vivaces dans la région comme l'alfa, l'atriplex, l'armoise blanche (chih), etc. Ce cheptel qui constitue l'unique ressource de la wilaya est plus que jamais menacé de disparition à cause de la contrebande. En effet, depuis quelques années, des maquignons originaires de l'est du pays font main basse sur les marchés du bétail de la région. Le cheptel acquis au prix fort est exporté de manière frauduleuse vers la Tunisie. Cette pratique a forcément déstabilisé les coûts habituels et le consommateur n'est plus roi au pays du mouton. Mohamed B., ancien boucher installé au marché central de la ville de Djelfa, nous explique le phénomène : « Juste après le match de football Algérie-Tunisie à Sousse, le prix de l'agneau est descendu jusqu'à 500 DA grâce au ‘‘froid'' qui s'était installé entre les populations des deux pays. Après la normalisation des relations, les prix ont augmenté jusqu'à 750 DA et nous nous attendons à une nouvelle hausse à l'occasion du mois du Ramadhan à cause des spéculateurs de tout bord à la recherche du gain facile. Un agneau coûte actuellement entre 13 000 et 20 000 DA alors qu'il était cédé à 9000 DA au maximum il y a encore quelque temps avant la monopolisation du marché par les contrebandiers qui ont investi à 500 DA le kg tous les marchés du bétail de la wilaya. Le prix d'achat en gros étant trop élevé, nous ne pouvons vendre à des prix abordables au détail, sachant que le pouvoir d'achat du citoyen est en baisse. » Un autre boucher installé dans un quartier périphérique évoque le marché parallèle : « Ceux qui se sont spécialisés dans l'exportation au noir sont à l'origine de la flambée des prix. Ils vont jusqu'à donner le double du prix normal asphyxiant ainsi les petits commerçants dont certains ont choisi de trafiquer pour survivre. Ils ne passent plus par l'abattoir. Les bêtes sont abattues et vendues sans le moindre contrôle sanitaire. Parfois, de faux cachets sont portés sur les carcasses de mouton. En évitant les charges, ils préservent leur bénéfice au détriment de la santé du consommateur. » Son voisin a tout simplement arrêté la vente de viande rouge, la remplaçant par la volaille qui a automatiquement subi la loi du souk. La diminution de la viande sur les étals a fait passer le prix du poulet de 180 DA à 250 DA le kg . Du coup, le clients boudent les boucheries devant lesquelles ils ne font que passer. Certains propriétaires de ces magasins disent vouloir changer d'activité alors que d'autres ont mis en location leur fonds de commerce. « L'absence de l'Etat pénalise les commerçants de bonne foi », n'ont pas manqué de préciser nos interlocuteurs. Pour les éleveurs, le problème est perçu autrement. « L'élevage engendre d'importantes dépenses : l'alimentation du bétail en temps de sécheresse, les soins, le transport, etc. », nous explique El hadj Maâmar qui n'exclut pas un certain trafic. Saïd S., maquignon, nous déclare sans le moindre embarras : « Je suis commerçant et je vends au plus offrant. Il n'est pas écrit sur le front de mes clients “contrebandier”. C'est à l'Etat de faire son travail. » Tous les commerçants que nous avons interrogés ont dénoncé le trafic international. « Ce n'est un secret pour personne et les complicités existent à bien des niveaux. Le cheptel est menacé de disparition, ce qui entraînera de graves conséquences. Dans le meilleur des cas, nous verrons notre propre cheptel importé. Il est grand temps que l'Etat mette en place un dispositif de contrôle rigoureux afin de stopper les exportations frauduleuses », nous ont-ils affirmé.