Il y a quarante ans naissait à la presse nationale une talentueuse femme journaliste professionnelle. C'était le 15 janvier 1974 et notre consœur Nadjia Bouzeghrane sortait fraîchement émoulue de la préstigieuse école de journalisme d'Alger (rue Jacques Cartier) pour venir épouser (c'est le mot) une vocation à laquelle elle restera fidèle quatre décennies sans discontinuité. Elle est aujourd'hui une des doyennes, sinon la seule, des journalistes femmes algériennes encore en activité. Versée dans l'unique quotidien francophone de l'époque, El Moudjahid, elle sera bercée par l'accueil chaleureux de ses confrères de la rédaction (dont certains occupent aujourd'hui des postes de responsabilité dans la presse publique et privée) et, il faut le dire, endurera, au début, le scepticisme machiste de son directeur de l'époque, Nour Eddine Naït Mazi, qui ne lui prédisait pas une grande carrière (tout comme il le fera plus tard pour le quotidien El Watan naissant à qui il ne destinait pas plus de trois mois d'existence…), Nadjia allait se révéler, petit à petit, une grande plume au sein de la rubrique des informations internationales. Peu avant les événements d'Octobre 1988, elle militera avec ses congénères au sein du Mouvement des journalistes algériens (MJA) avant d'aller fonder, le 8 octobre 1990 en compagnie de 19 de ses collègues, le quotidien indépendant El Watan. Dès le début, le labeur au sein de ce nouveau-né était dur et Nadjia se pliait à la tâche de 8h à 20h, allant sur le terrain à la rencontre de l'Algérie profonde, et affrontant, avec courage, le bouleversement chaotique qu'a connu la scène politique et sécuritaire nationale. En parallèle à son travail de journaliste de terrain et à ses innombrables reportages remarquables, elle se fera l'écho des associations féministes pour promouvoir la condition de la femme algérienne durement éprouvée par la prédominance de l'islamisme au début des années 1990. C'était à l'orée de la décennie noire avec toute la tragédie éprouvée par la corporation qui a perdu, assassinés, plus de 70 journalistes.
Forcée à l'exil Habitant un quartier populaire de la capitale et sur insistance de ses proches et de ses voisins, elle a dû se résoudre à fuir les groupes terroristes qui sévissaient alors à Alger et ailleurs. Au milieu de l'année 1993, elle s'installa donc, avec beaucoup de difficultés, en France d'où elle donnera corps et dirigera jusqu'à aujourd'hui le bureau d'El Watan à Paris. Très introduite dans le cercle fermé des correspondants des journaux étrangers établis dans la capitale française, elle sera quotidiennement sollicitée par ceux-ci, au cours de cette période, pour informer de la situation intérieure nationale et de ses enjeux, les journalistes mondiaux ayant des difficultés, notamment à cause de la situation sécuritaire, pour se rendre en Algérie, en appelaient à ses informations et ses analyses. Par son inlassable activité au sein du mouvement associatif français émigré et international, des institutions officielles locales, des représentations des ONG et des cercles intellectuels, elle est considérée dans l'Hexagone comme une référence représentative du journalisme algérien. Affable, d'une gentillesse et d'une générosité à toute épreuve, son mérite immense n'a d'égal que sa modestie. Elle se serait en effet opposée à cet écrit si elle l'avait su, préférant sans doute se fondre dans l'anonymat de sa signature à la fin d'un de ses milliers articles écrits au cours d'une riche carrière que d'être mise à la lumière de cette édition. Ses collègues et membres fondateurs d'El Watan, comme elle, ont tenu à lui rendre cet hommage au moment où elle pénètre la classe des quarantenaires du journalisme à El Watan (Tayeb Belghiche, Merad Abderrezak, Ali Bahmane), Elle lancera certainement, après sa surprise d'avoir vu sa photo au beau milieu de cette page 28, un sourire sympathique vers les presques quarantenaires que sont les Omar Belhouchet, Omar Kharoum, Hamid Tahri, Yazid Ouahib, Mohamed Mazari (Maz)... Comme elle ne manquera pas d'avoir un œil compatissant envers les non encore retraitables de ses associés que sont les Omar Berbiche, Mohammed Larbi, Mohamed Tahar Messaoudi et Ali Guissem (entre 32 et 36 ans de journalisme actif permanent). Encore et toujours en activité, Nadjia Bouzeghrane s'applique à elle-même ce postulat qu'elle n'a cessé de ressasser : «On ne peut épouser le journalisme pour un temps, on est journaliste pour toujours jusqu'à ce que la mort nous sépare.»