Avec l'adoption définitive de sa Constitution, prévue demain, la Tunisie franchira un pas décisif sur la voie de sa transition démocratique, d'autant plus que le nouveau chef du gouvernement, Mehdi Jomaâ, remettra également dans la journée la liste de son équipe de compétences indépendantes au président Marzouki. Le vote de confiance à ce gouvernement est prévu mardi prochain à l'Assemblée nationale constituante (ANC). La Tunisie tournera ainsi la page de deux ans du pouvoir de la troïka formée par les islamistes d'Ennahdha, d'Ettakattol de Mustapha Ben Jaâfar et du CPR de Moncef Marzouki. De l'avis général, le projet qui vient d'être adopté, article par article, ouvre la voie à la démocratie en Tunisie. «Le projet de Constitution amendé par la commission des consensus et soumis à l'ANC est, dans l'ensemble, un texte correct qui contient les garanties minimales pour la protection des droits et des libertés (Etat civil proclamé, droits de femmes améliorés, restrictions aux libertés limités, séparation des pouvoirs, droits de l'opposition consacrés, etc.)», estime le professeur Ferhat Horchani, président de l'Association tunisienne de droit constitutionnel. M. Horchani ajoute que «concernant le régime politique choisi, il garantit, dans l'ensemble, une division du pouvoir et un meilleur équilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif. La création d'une justice constitutionnelle est une garantie essentielle pour la protection des droits et des libertés et pour se prémunir contre l'arbitraire». Consensus historique Cinq avant-projets de Constitution ont été discutés et améliorés depuis décembre 2012 avant de parvenir à cette version finale. La société civile a joué un rôle décisif en exerçant de très fortes pressions (colloques, conférences, manifestations, etc.), qui ont été relayées par la société politique, notamment à travers le Dialogue national parrainé par le quartette (UGTT, Utica, LTDH et Ordre des avocats). Ledit Dialogue national a été entamé le 16 octobre 2012, à la veille du premier anniversaire des élections du 23 octobre 2011, lorsque les déboires de la troïka gouvernante commençaient à se faire ressentir sur le terrain. «Depuis mars 2012, ont commencé les premières promesses caduques d'Ennahdha, lorsque Jebali avait annoncé à partir de Bruxelles des élections en Tunisie pour le printemps 2013», rappelle le politologue Hamadi Redissi. «Il a fallu une série de contretemps de la troïka, notamment en rapport avec la montée du terrorisme, pour que la société civile et politique se décide à faire une pression terrible sur les gouvernants afin qu'ils passent à l'acte en matière de rédaction de la Constitution et d'avancées sur la voie des nouvelles échéances électorales», poursuit Redissi pour expliquer les derniers acquis en Tunisie. «Le franchissement du seuil de l'assassinat politique a sonné le glas d'Ennahdha au pouvoir. Et même si les islamistes ont pu sortir avec des dégâts minimes suite à l'assassinat de Chokri Belaïd, le 6 février 2013, l'assassinat du constituant Mohamed Brahmi a discrédité le pouvoir de la troïka. Depuis cette date, le pouvoir réel est désormais passé au consensus dans les sphères du Dialogue national, comme l'indiquent les dernières péripéties de l'adoption de la Constitution», explique le professeur Redissi. A travers ce Dialogue national, la Tunisie est parvenue à échapper aux déboires de l'exemple égyptien. Ennahdha a retenu la leçon.