Les entreprises algériennes qui peuvent se prévaloir d'un niveau de compétitivité mondial se comptent sur les doigts d'une seule main. Malgré le fait que nous ayons les salaires et les prix de l'énergie les plus bas de la région méditerranéenne, la productivité est si faible et déclinante que la vaste majorité de nos entreprises n'arrive pas à défendre ses parts de marché face à l'assaut des importateurs et encore moins à exporter. Ceci implique forcément que la vulnérabilité s'accroît au fur et à mesure que les incertitudes sur la situation du secteur de l'énergie s'amplifient. Alors que faire ? Nos administratifs ont toujours un programme, un espoir quelconque, une activité en cours qui règlerait le problème. Mais le constat est là : aucun de ces plans n'a réussi à ériger des entreprises algériennes mondialement compétitives en nombre voulu. Le programme sur lequel reposent tous les espoirs maintenant se situe au niveau de la mise à niveau. Or, nous devons considérer plusieurs dimensions liées à ce projet. En premier lieu, il ne concerne que moins de 3% des entreprises algériennes et de taille modeste. Trop d'espoirs reposeraient sur un programme de dimension trop restreinte par rapport aux enjeux en question. Par ailleurs, on devait avoir un programme technique, par la suite, il a été fortement si bureaucratisé que l'on commence à douter de son efficacité. Il est curieux de constater que toujours et toujours la bureaucratie prend le dessus sur les intérêts du pays en s'arrogeant le pouvoir de décision au détriment de l'expertise. Que ce soit les programmes de recherches ou les plans d'actions du gouvernement. Au début, ils devaient consacrer les décisions techniques, mais la bureaucratie finit toujours par les fissurer et ruisseler à l'intérieur et les faire dériver vers la primauté du processus administratif sur l'efficacité managériale. Vers le rétablissement des priorités Mentionnons encore une fois que dans le contexte du mode de fonctionnement administratif actuel, aucun plan d'action des pouvoirs publics ne peut produire des résultats significatifs. Il faut débureaucratiser d'abord. Mais les leçons de la débureaucratisation sont toujours occultées. Ce sont des bureaux d'études spécialisées qui peuvent le faire, avec un cahier de charges précis, en collaboration (et en dépit) des concernés. Mais il ne faut point demander à l'administration de s'auto-réformer, ce serait l'échec assuré. Nous supposons donc que les pouvoirs publics arrivent à débureaucratiser efficacement. Ce qui serait en soi un exploit. Sans débureaucratiser efficacement nous compterions alors sur un miracle pour nous en sortir. Si nous étudions en profondeur les pratiques des pays qui réalisent de bonnes transitions, qui réalisent des taux de croissance appréciables, la structure de leurs systèmes productifs doit nous interpeller. Certains s'en tirent grâce à un tissu de PME/PMI très dense. Les moyennes entreprises arrivent à exporter en tissant autour d'elles une myriade de plus petites. Elles s'intègrent volontiers efficacement dans la chaîne des valeurs des grands groupes étrangers mondiaux. C'est le cas de Taiwan, par exemple. D'autres pays, à l'instar du Japon et surtout la Corée du sud, ce sont des grands groupes nationaux, entourés d'une multitude de PME/PMI qu'elles ont fidélisées qui concourent le plus au PIB et à l'exportation. En Corée du sud, les 10 plus grandes firmes réalisent plus de 70% de la production et des exportations du pays. Apparemment, l'Algérie a toujours voulu se structurer par des très grandes entreprises à effet d'entraînement important. Cette stratégie peut réussir sous les conditions de la débureaucratisation et de l'efficacité managériale interne. Mais ce sont ces deux écueils, étroitement reliés, qui ont fait déraper tous les programmes des pouvoirs publics. Ces deux facteurs continuent d'être négativement actifs jusqu'à nos jours. Et aucun programme qui leur a été consacré n'a pu en changer la situation. Mais là réside en fait le nœud gordien de toute la problématique du développement. Pour une compétitivité accrue Nous avons un tissu de milliers de PME qui ont enraciné une culture peu compatible avec une très haute compétitivité. Il est extrêmement compliqué d'agir sur l'ensemble. Le programme de mise à niveau qui est très ambitieux envisage d'améliorer le mode de fonctionnement de 20 000 PME/PMI, un peu moins de 3% du parc existant. L'impact serait minime même si l'effort est gigantesque. Certes, on assure que le programme serait pédagogique, dont un effet de reproduction par imitation se produirait. On copie les réussites. Rien n'est moins sûr. La culture du Benchmarking n'est pas encore là. Il reste qu'un contrat de compétitivité initié avec les dix entreprises — publiques et privées — les plus performantes serait en mesure d'opérer des changements par le haut. Il serait réalisé sur la base du volontariat. Ces entreprises seraient encadrées par les meilleurs bureaux d'expertise managériale afin de se hisser au rang des firmes mondiales les plus performantes. Par la suite, les sous-traitants seront soumis aux mêmes exigences de performance et ces derniers imposeront des normes aux PME/PMI contractualisées. Ainsi, nous aurons un ruissellement par le haut des bonnes pratiques managériales. Nous aurons alors une dizaine de grandes firmes qui se hisseraient au rang d'entreprises de classe mondiale. Si ces dernières réussissent leurs défis de croissance, elles pourraient contribuer à hauteur de 50% ou plus au PIB hors hydrocarbures. Les grandes entreprises coréennes font mieux. Les dix plus grandes participent à la formation de 69% du PIB. Ce programme ne serait pas concurrent à celui de la mise à niveau. Il serait complémentaire. On se donne plus de chance de réussir. L'un pourrait échouer et l'autre mieux fonctionner. Il est plus facile de se concentrer sur un petit échantillon d'entreprises qui ont un effet multiplicateur notable sur l'économie, l'emploi et le développement hors hydrocarbures. Les pays asiatiques qui ont eu recours à ce genre de procédés ont accompli ces tâches aux premiers stades de développement des entreprises. Cela a été beaucoup plus facile pour eux. L'Etat était même actionnaire dans ces entreprises qu'il a cédées plus tard aux privés. Nous prenons ces entreprises après plusieurs années d'existences autonomes. La plupart sont des entités privées. On n'est pas sûr qu'elles veuillent coopérer. Le contrat de compétitivité doit être négocié. Nul ne peut l'imposer. Certaines entreprises choisiraient de ne pas en faire partie. Celles qui choisiraient d'y être feraient partie des fers de relance de la reconquête industrielle. L'accès aux crédits ne serait que plus facilité. L'Etat pourrait prendre en charge une partie des dépenses d'amélioration managériale (audits, intelligence économique, fonctions classiques d'entreprises, exportations, innovation, etc.). Agir sur les paramètres essentiels pour un nombre limité d'entreprises serait plus facile et plus prometteur. Cependant, nous avons tendance à bureaucratiser tout programme d'action. Notre bureaucratie a des pouvoirs inimaginables d'imposer sa suprématie sur tout ce qui peut améliorer l'économie ou le bien-être des algériens. Toute question d'expertise devient vite une priorité administrative. Dans ce cas, aucune amélioration ne sera possible.