Ali Benflis a fait de son dépôt de candidature hier l'occasion d'avertir contre la fraude électorale dont il décèle les prémices dans les irrégularités qui ont émaillé la collecte de signatures pour Bouteflika. Haussant le ton devant le président du Conseil constitutionnel, le candidat a tenu à mettre l'institution devant sa responsabilité de veiller à l'équité entre les postulants à la présidentielle. Ali Benflis a déposé, hier, son dossier de candidature à l'élection présidentielle du 17 avril prochain. Et a tenu par la même occasion à mettre le Conseil constitutionnel devant ses «responsabilités». Dans le bureau de Mourad Medelci, président du Conseil, Ali Benflis s'est abstenu d'apposer immédiatement sa signature ; il a d'abord porté à la connaissance de celui-ci l'utilisation frauduleuse du registre de l'état civil au profil d'un candidat. Tout le monde aura compris qu'il s'agit du candidat Bouteflika. L'ancien chef du gouvernement a déclaré qu'il n'acceptera pas que l'on touche à son droit ni à celui du peuple algérien, qui, dit-il défendra sa voix. Prenant à témoin l'opinion publique, Ali Benflis a transmis au président du Conseil constitutionnel le message de ses partisans, qui n'accepteront pas que leurs voix soient détournées. «On ne se taira pas», a-t-il fait savoir. «Il faut que la prochaine élection soit le départ de la sortie de la crise et non celle qui l'approfondira», a-t-il encore fait savoir. «Ceux qui veulent détourner le choix du peuple, ceux qui veulent accaparer sa volonté, ceux qui veulent voler les voix du peuple, parce que c'est comme ça qu'il faut les appeler, eh bien je les mets en garde !», a-il prévenu, avant d'apposer sa signature pour officialiser son engagement dans l'élection présidentielle du 17 avril prochain. L'apostrophe est inédite dans les us des dépôts de candidatures, et la vidéo de la séquence a fait le tour de la toile durant toute la journée d'hier. Le candidat Benflis avait pris rendez-vous pour le dépôt à 10h. Ses partisans étaient déjà sur les lieux, posters en mains, attendant l'arrivée de leur champion. «Graves irrégularités» C'est le dernier jour du délai imparti à ceux qui postulent pour la magistrature suprême. Abdelaziz Bouteflika l'a fait la veille, en arrivant dans un cortège présidentiel plutôt martial. Pour marquer la différence, Ali Benflis a fait de son déplacement au Conseil constitutionnel un événement. C'est au niveau de l'intersection d'El Biar, où une grande foule l'attendait, que l'ancien chef de gouvernement est descendu de sa voiture. Prenant la tête d'une petite marche improvisée par ses partisans, Ali Benflis, accompagné de son staff de campagne, a rejoint à pied le siège du Conseil constitutionnel. A sa sortie, il a organisé une conférence presse dans le hall de l'institution présidée par Mourad Medelci. «Je suis un combattant de la liberté, je veux libérer le peuple algérien pour qu'il retrouve sa citoyenneté», a-t-il lancé aux nombreux journalistes qui l'entouraient. Interrogé sur la candidature du chef de l'Etat sortant, l'ancien chef de gouvernement a refusé de répondre, avant d'enchaîner que lui-même venait «pour sortir l'Algérie de la crise avec l'aide de Dieu». Le candidat n'a pas manqué de dénoncer les graves irrégularités ayant entaché la récolte des parrainages au profit de Bouteflika, disant que «si la justice était indépendante, elle aurait poursuivi ceux qui ont utilisé le registre de l'état civil pour le compte d'un candidat». Il appelle les Algériens à protéger leurs voix, car, pense-t-il, «de vils comportements» vont porter atteinte à la crédibilité de l'élection. «Tous les documents que j'ai présentés au Conseil constitutionnel sont authentiques», affirme Ali Benflis, qui promet de libérer les journalistes de la télévision publique, une manière à lui de dénoncer l'ostracisme de l'Unique. «Ne pas céder au chantage» Dans une déclaration écrite distribuée à la presse, Ali Benflis remercie «les centaines de milliers de citoyens» qui lui ont accordé leur confiance «en se mobilisant massivement» dans l'opération de collecte des parrainages. Ils ont témoigné, selon lui, «de leur détermination et de leur engagement et n'ont cédé ni devant le chantage à la stabilité exercé par les tenants du statu quo ni devant les tracasseries d'une administration contrainte et souvent contre la volonté de ses agents, soumis à la menace et au chantage». Ali Benflis qui dit soumettre «un projet de renouveau national, propose aux Algériens et aux Algériennes de l'aider à construire, ensemble, un Etat de droit et une société des libertés dans laquelle nous aurons la prospérité en partage». «Je n'ignore rien, a-t-il affirmé, du climat politique qui préside à l'organisation de cet important rendez-vous et des manipulations intolérables dont celui-ci est l'objet.» En décidant de se présenter, l'ancien chef de gouvernement dit comprendre aussi «les motivations et les préoccupations de ceux qui appellent au boycott ou de ceux qui ont renoncé à prendre une part active dans la vie politique de notre pays, car révoltés par les attitudes de mépris, d'arrogance, de viol de leur conscience et de confiscation de leur volonté». «Je m'engage dans cette compétition électorale en étant pleinement conscient des lourdes hypothèques qui pèsent sur son déroulement», souligne Ali Benflis, qui dit «assumer ses responsabilités devant Allah, devant la nation et devant le peuple algérien». Pour lui, «l'Etat algérien et ses institutions républicaines ne doivent pas faillir à leur mission pour que cette étape déterminante pour l'Algérie ne soit pas inscrite comme un rendez-vous manqué». Selon lui, il est impératif que le scrutin présidentiel prochain constitue une solution et une issue pour l'Algérie, au lieu d'être un facteur aggravant de la crise, comme l'accréditent des «signes précurseurs qui, malheureusement, pointent déjà à l'horizon».