Les magistrats de la cour d'Alger se sont réunis hier au palais de justice Abane Ramdane pour exprimer leur « colère » quant « aux propos tenus à leur rencontre par certains avocats » lors du boycott de la session criminelle, qui dure depuis 10 jours. Sous l'égide de la section d'Alger du Syndicat national des magistrats (SNM), les juges ont débattu pendant plus d'une heure des moyens de réponse à ce qu'ils ont qualifié de « graves propos à desseins malveillants et aux arrière-pensées inavouées ». Leur réaction est intervenue après que des avocats aient dénoncé le refus de la cour d'Alger de rendre publics les noms des magistrats désignés pour siéger au tribunal criminel, affirmant à ce titre que ce refus pourrait les empêcher de « recourir au principe de la suspicion légitime pour récuser un juge corrompu ou impartial ». Pendant une semaine, les avocats ont déserté les audiences du tribunal pénal, poussant les magistrats à renvoyer les affaires à une date ultérieure. « Nous ne pouvons plus nous taire devant de tels propos et de telles revendications. Dans le cas contraire, nous allons assister à une escalade dans les insultes. Aucune loi n'oblige la cour à communiquer les noms des juges du pénal. L'écrasante majorité des cours ne le font pas », a déclaré un président de chambre. Son collègue, juge d'instruction au tribunal d'Alger, s'est interrogé sur les arrière-pensées de certains avocats qui, selon lui, « veulent, à travers ce boycott, régler des comptes avec certains magistrats parce qu'il les gênent. S'ils ont des problèmes avec la présidente, ils n'ont qu'à aller la voir, sans pour autant verser dans des accusations aussi graves. Nous respectons leur décision de boycotter les audiences, mais nous tenons à préciser que celles-ci se poursuivent et nous ne sommes pas responsables du report des affaires. Nous aurions pu l'être en renvoyant tous les procès à la prochaine session, mais nous ne l'avons pas fait ». Un autre magistrat a rappelé à ses confères leur statut d'hommes de loi qui ne parlent qu'avec les textes de lois. « La suspicion légitime n'est utilisée que quand il y a une relation familiale entre le détenu et le magistrat. De plus, si un avocat connaît les magistrats corrompus et ne les dénonce pas, il est passible de la poursuite pour non-dénonciation. » Le magistrat a demandé à l'assistance si le ministre de la Justice avait le droit d'adresser une note à la cour pour lui notifier la publication de la liste des noms des magistrats désignés au tribunal criminel. « N'est-ce pas là une injonction à des magistrats qui sont censés être autonomes de la chancellerie. A-t-on le droit de refuser ou d'accepter cet ordre venu du ministère ? Quelle doit être la position des magistrats du siège devant cet état de fait ? » Néanmoins, cela n'a pas empêché le boycott des avocats de se poursuivre puisqu'un seul a plaidé hier. Situation que les magistrats ont dénoncé et contre laquelle ils ont appelé à « une riposte ». Ils ont donc interpellé le secrétaire général du SNM, Djamel Aïdouni, sur la nécessité d'une réaction à « la hauteur » des griefs reprochés aux avocats. « Il existe des avocats sages et sereins que nous allons approcher pour leur demander de mettre un terme à cette campagne contre les magistrats. Mais en attendant une lettre de protestation sera adressée au bâtonnat et aux plus hautes instances du pays. » ll est à signaler que c'est pour la première fois que des magistrats sortent de leur réserve (même si c'est sous la casquette syndicale) pour exprimer leur colère face à des accusations colportées par des robes noires. Mieux, certains d'entre eux ont même poussé le débat jusqu'à remettre en cause une note de la chancellerie.