La tendance est pour une grève illimitée si le ministère ne décide pas de tenter un signe d'apaisement. Les avocats ont débrayé hier. Au Palais de justice Abane- Ramdane d'Alger, aucun procès n'a eu lieu. Même celui de Redouane Osmane et quatre de ses collègues, des enseignants syndicalistes poursuivis en justice. Même constat à travers les autres régions du pays où le mot d'ordre des robes noires a été massivement suivi. C'est la contre-attaque de la défense, prévue et devenue effective après n'avoir été qu'une menace. Le risque de geler les tribunaux et les cours a été annoncé, lors d'un point de presse, tenu le 29 mai dernier, dans l'enceinte du Palais de justice. D'un ton loin d'être conciliant, soutenu par l'ensemble des robes noires, Abdelmadjid Silini annonça le mot d'ordre: une grève nationale le 10 juin. Les avocats ont mal calculé! Ils avaient pensé que le laps de temps allant du 29 mai au 10 juin allait pousser les responsables de tutelle à éviter le débrayage. Néanmoins, aucune bonne nouvelle n'a été en mesure de rassurer les avocats. Résultat: le mot d'ordre de la grève a été maintenu et, par ricochet, les tribunaux et les cours ont été carrément gelés hier. Seul le procès de l'avocat de Remchi (Tlemcen), poursuivi en justice, s'est déroulé dans la journée d'hier. Il n'est pas le seul. Il figure dans une liste de 39 avocats poursuivis en justice pour, comme chefs d'inculpation, «atteinte au règlement intérieur des résidences pénitentiaires». C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. «Jamais, depuis des années, la défense ne s'est trouvée dans une situation aussi critique», s'insurge, Me Hakim Bekhiti, approché par L'Expression. Entouré par trois de ses collègues, la tendance tourne en faveur d'une grève illimitée. A demi-mots, d'une façon plutôt indirecte, les trois avocats préfèrent jeter la balle à la base qui devra se réunir mercredi en assemblée générale. C'est à Me Sidhoum d'afficher clairement la couleur. «Je crois que c'est un choix inévitable si le ministère n'intervient pas pour apaiser les esprits». En tout cas, le spectre d'une grève illimitée planait déjà bien avant la journée d'hier. Contacté par nos soins, le président de l'Union nationale des barreaux d'Algérie, Abdelmadjid Silini, dira que cette option «est la plus privilégiée des robes noires». La défense «a connu une détérioration grave de ses droits», apprend-on encore de la part de nos interlocuteurs. C'est pourquoi le choix d'aller vers un débrayage ouvert pèse plus lourd sur la balance des choix. Cette question sera soumise à l'examen des 13 barreaux d'Algérie, en réunion jusqu'au 15 du mois en cours à Oran. Il n'y a pas que l'affaire des 39 avocats poursuivis en justice qui provoque les foudres de la famille de la défense. Le différend a bel et bien pris une ride. Il risque de devenir plus aigu que jamais. Autres reproches: «Des greffiers sont instruits à ne plus recevoir et fournir des renseignements aux avocats au niveau des chambres et des sessions», «le courrier de clients présumés est ouvert avant qu'il n'atterrisse chez la défense» et autres réclamations révélées par le délégué des avocats, lors de sa précédente conférence de presse. Grosso modo, il y a bel et bien une «volonté de marginaliser les droits des avocats». Mais quelles pouvaient être les conséquences de ces critiques? Au département de Tayeb Belaïz, c'est le statu quo. Les avocats ont tenté et «réussi», samedi, une autre action au sein de la nouvelle enceinte du Palais de justice du Ruisseau (Alger). Les robes noires d'Alger ont boycotté la session criminelle avec, comme résultat, le renvoi sine die de procès. A en croire les avocats interrogés, hier, par L'Expression, le blocage se situe au niveau de la tutelle. Car, «le procureur général et le président de la cour ont tenté un déblocage de la situation». Toutefois, «ces deux instances dépendent directement de la tutelle, c'est pourquoi leurs tentatives étaient vouées à l'échec», suppose Me Guerrouche Mouloud. Tôt dans la matinée, les amis et sympathisants de la cause des robes noires s'étaient rendus au Palais de justice d'Alger. Tous scandalisés et désabusés. A commencer par les enseignants syndicalistes qui font l'objet de poursuites judiciaires, des délégués du mouvement citoyen de Kabylie et des journalistes à l'instar de Mohamed Benchicou. L'affaire de Redouane Osmane et des trois autres de ses collègues a été également ajournée. Le porte-voix du Conseil des lycées d'Algérie (CLA) estime que le fait de convoquer les enseignants devant la justice le jour du Bac «est un procédé gravissime; j'ai dû demander une autorisation pour venir au procès». Redouane Osmane s'insurge aussi contre ce qu'il appelle «l'inversion de la tendance», c'est-à-dire que «le tribunal administratif est censé protéger les justiciables contre l'administration». En tout cas, les robes noires se réuniront mercredi en AG extraordinaire pour débattre des suites à donner à leur mouvement. Le spectre d'une grève illimitée se précise.