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Taisez-vous, M. yacef !
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Publié dans El Watan le 25 - 03 - 2014

Que Yacef Saâdi essaye encore une fois de s'attribuer l'exclusive paternité de la Bataille d'Alger n'a en soi rien d'étonnant.
Ce qui l'est plus, c'est que la «démonstration» a été donnée lors d'une interview accordée à une journaliste qui n'a rien trouvé de mieux que d'en extraire une seule phrase pour en faire le titre et la première page du journal : «Larbi Ben M'hidi n'a pas tiré une seule balle contre le colonialisme.» Si le but recherché était un «scoop», il était d'une maladresse et d'un mauvais goût qui ne sauraient jeter un quelconque discrédit sur la mémoire d'un martyr qui n'a accordé d'autres «interviews» qu'à ses tortionnaires. Et même si c'était le cas, le professionnalisme aurait voulu de titrer l'interview et le journal : «Yacef Saâdi : Larbi Ben M'hidi»
Quant à Yacef Saâdi, il n'y a vraiment pas de quoi s'enorgueillir d'avoir vainement essayé de toucher à une icône qui appartient à tout un peuple, ne se doutant pas que ce faisant c'est tout ce peuple qui s'en trouverait offensé. Que sait-il en fait de ce qui s'est passé en cette nuit mémorable du 1er Novembre 1954 à Cassaigne et à Ouillis dans l'Oranie où Ben M'hidi et Ramdane Benabdelmalek n'avaient qu'un pistolet pour deux ? Quand on veut écrire l'histoire, il faut savoir de quoi on parle. Faut-il lui rappeler que celui qui «n'a jamais tiré une balle contre le colonialisme» était, avec Abane Ramdane, les véritables stratèges de la Révolution, qu'ils ont été les principaux acteurs du Congrès de la Soummam et qu'à la suite de cela il a été désigné pour coordonner la lutte au niveau d'Alger.
Fallait-il que les membres du CCE soient à ce point convaincus par ses qualités pour lui confier cette mission dont allait dépendre grandement l'issue de la Révolution ? Peut-être n'a-t-il pas lu les mémoires de Bigeard et Massu qui ont écrit que Larbi Ben M'hidi était leur ennemi n°1 durant la Bataille d'Alger. Peut-être ne sait-il pas que cet homme représentait de par ses immenses qualités de stratège un danger tel pour la 10e division de parachutistes avec ses quatre régiments d'élite ramenés de Suez, leur effectif de 3500 hommes sous les ordres du général Massu et des colonels Trinquier, Godard, Meyer, Brothier et Bigeard, pour être considéré par eux comme leur ennemi n°1.
Faut-il lui rappeler que c'est Larbi Ben M'hidi qui a convaincu le CCE de frapper l'opinion internationale d'un grand coup à la veille de la discussion de la question algérienne à l'ONU et rafraîchir la mémoire de Yacef Saâdi en lui rappelant que c'est lui qui lui a annoncé la décision de la grève générale de 1957 en lui disant : «Il faut qu'à l'approche de la session de l'ONU, nous fassions la démonstration que tout le peuple est derrière nous.» Fallait-il vraiment que Ben M'hidi ait du cran pour ne pas être impressionné par les 8 compagnies de CRS, les 55 compagnies des unités territoriales, le 5e RCA, le 25e Dragon et 2 détachements d'intervention et de reconnaissance, soit plus de 6000 hommes, et croire sans faille qu'il était possible de les vaincre politiquement. N'a-t-il pas dit à Bigeard : «Vous serez vaincus parce que vous ne croyez à rien. Nous, nous sommes l'avenir, nous croyons à la République algérienne. Si je meurs, des milliers d'autres combattront après moi pour notre patrie.»
Le même Bigeard dira plus tard à son propos : «Il y a eu entre nous des dialogues dignes de la tragédie grecque.» et Massu dira qu'en quittant le PC de Bigeard, le poste de garde lui a présenté les armes. On pourra bien évidemment douter de ces propos, mais leurs auteurs étaient-ils obligés, des années plus tard, de les tenir si quelque part ils n'avaient pas été marqués par cet «ennemi» ? Le lieutenant Jacques Allaire, qui avait procédé à son arrestation, a confirmé que c'était lui qui avait ordonné qu'on lui présentât les armes avant sa remise aux tortionnaires parce que, dira-t-il : «C'était un seigneur Ben M'hidi, impressionnant de calme, de sérénité et de conviction. Ben M'hidi était pour moi un grand monsieur et d'ailleurs son prénom, dans la résistance, c'était Akim, qui veut dire : le preux.»
Est-il vraiment utile de revenir sur les tortures atroces infligées à Larbi Ben M'hidi jusqu'à ce que mort s'ensuive sans pouvoir altérer en rien sa foi en l'indépendance de l'Algérie. Tout le monde le sait.On retiendra simplement pour la postérité ce qu'il a écrit dans El Moudjahid paru dans la clandestinité sur «le chemin de la Libération nationale, de la grande révolution politique, économique, sociale et culturelle qui prépare l'Algérie démocratique de demain où tous ses enfants, sans distinction si ce n'est le mérite et le dévouement, vivront libres, unis et heureux».
On retiendra ces extraits d'El Moudjahid du 28 février 1958. «Le souvenir de Ben M'hidi est vivant dans le cœur de tous les Algériens... La vie et la mort de Ben M'hidi sont un exemple et un symbole qui continuera à illuminer les générations à venir.» On retiendra également ces extraits d'El Moudjahid du 27 mars 1983 : «Si Larbi Ben M'hidi est le symbole d'une prodigieuse accélération de l'histoire, il est aussi, lui le jeune militant constantinois, le dirigeant oranais et le leader algérois le symbole d'une unité nationale fondée sur la discipline sociale et la démocratie politique.»
On retiendra pour finir ces propos tenus par Djamila Bouhired lors d'une conférence donnée le 4 mars 1985 : «Il est entré dans la légende, car il était exceptionnel.»Alors, si après tout cela vous n'avez rien d'autre à dire qu'il n'a jamais tiré une balle contre le colonialisme, c'est que vous ne connaissez vraiment rien de lui, et de grâce, taisez-vous !


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