La cause palestienne vit l'une des phases les plus périlleuses de son histoire. A l'annexion rampante, symbolisée par le tracé du Mur, s'ajoutent une crise intérieure sans précédent qui menace le principal atout des Palestiniens, leur unité, et une véritable « prise d'otage » de tout un peuple qui, sous couvert de sanctionner le Hamas, vise en réalité l'implosion de l'Autorité nationale palestinienne. Née des accords d'Oslo, cette dernière se trouve désormais simultanément confrontée au blocus financier imposé par les Etats-Unis, suivis par l'ensemble de la communauté internationale, et à la profonde déception de sa base populaire qui, un jour, avait cru à une solution négociée. Cette politique de sanctions, outre le fait qu'elle est criminelle d'un point de vue humanitaire, conforte les prétentions israéliennes selon lesquelles « il n'y a pas de partenaire palestinien ». Un postulat fabriqué de toutes pièces pour légitimer « l'unilatéralisme » prôné par Ariel Sharon et poursuivi par son successeur, Ehoud Olmert. La politique que nous voyons se dérouler sous nos yeux a en effet débuté lors du retrait unilatéral de la bande de Ghaza, un geste destiné à préparer le terrain pour l'annexion de Jérusalem et de la majeure partie de la Cisjordanie. Ainsi en « échange » des 750 km2 de Ghaza, les autorités israéliennes s'arrangeaient-elles pour mettre la main sur la plus grande partie des 5500 km2 de la Cisjordanie et empêcher définitivement une quelconque émergence d'un Etat palestinien viable. Forte de la construction du Mur, des nouvelles mesures d'annexion de Jérusalem, de la mainmise de facto sur la totalité de la vallée du Jourdain « pour raisons de sécurité militaire », d'une batterie de lois scélérates réglementant le regroupement des familles palestiniennes ou étendant à la Cisjordanie les lois infâmes de 1948-1950 relatives à la « propriété des absents », cette nouvelle conquête de l'expansionnisme israélien ne pouvait cependant aboutir si l'acteur palestinien demeurait présent sur scène. Le résultat des élections législatives du 25 janvier 2006 a fourni l'alibi à cette politique de l'occupant appuyée, quoi qu'ils en disent, par les Etats-Unis. Ces élections se sont pourtant déroulées dans une atmosphère démocratique remarquable ainsi que l'affirment tous les observateurs internationaux et rien ne permet de contester leur résultat. La nouvelle majorité issue du scrutin, que l'on soit du Hamas ou de l'opposition, est donc incontestablement légitime. Tout comme l'était et le demeure le président Mahmoud Abbas, arrivé lui aussi au pouvoir par la voie des urnes. La situation qui en a résulté est celle d'une double légitimité fondée sur deux visions opposées tant de la solution du conflit que de la gestion de la société. Une sorte de « cohabitation » mais sous occupation ! Cette donnée pèse lourd dans la mesure où Israël s'en sert pour dévoyer le jeu démocratique palestinien et empêcher toute avancée du dialogue national. Les contradictions existent naturellement entre le Fatah et le Hamas, la société palestinienne elle-même est plurielle et fière de l'être. Il ne s'agit donc pas ici de faire porter à l'occupant toutes les contradictions internes palestiniennes, mais de dénoncer une politique perverse et constante visant à décrédibiliser la direction palestinienne : hier Yasser Arafat, aujourd'hui Abou Mazen. Le Président affirme-t-il sa volonté de dialoguer que les hélicoptères israéliens se hâtent de lancer leurs missiles sur Ghaza tuant militants islamistes et citoyens civils. Proclame-t-il sa foi dans la feuille de route que les commandos spéciaux entrent à Jénine et assassinent des responsables du Fatah. Annonce-t-il la tenue d'un référendum sur l'offre de paix palestinienne élaborée par les prisonniers de tous les bords que Olmert s'empresse d'expliquer qu'il s'agit là d'une « affaire interne » palestinienne qui n'a « rien à voir avec les négociations ». Et le citoyen palestinien, victime et témoin quotidien d'horreurs tel le massacre de toute une famille sous les yeux de l'une de ses enfants sur une plage de Ghaza, se trouve confronté à la question de savoir si Israël qui voue le Hamas aux gémonies n'est pas en réalité le plus fervent partisan du maintien du même Hamas au pouvoir. Tant il est vrai que ces crimes permettent tout à la fois de saper le discours du camp palestinien de la paix, de nourrir le cycle répression/attentats/répression et de justifier ainsi toute la politique unilatérale d'annexion. Face aux périls, trois tâches s'imposent au peuple de Palestine. La première, vitale et urgente, est celle de la reconquête de l'unité nationale, celle-là même qui a permis par le passé de résister à toutes les campagnes d'encerclement et d'anéantissement menées tant par Israël que par certains Etats arabes. La deuxième, indispensable politiquement, est de reprendre l'initiative sur le plan diplomatique en formulant un plan cohérent qui à la fois préserve les droits nationaux inaliénables, ouvre la voie à une solution juste, règle les problèmes les plus épineux - Jérusalem, le retour des réfugiés, le démantèlement des colonies - et met un terme définitif à l'occupation. La troisième, enfin, impose de mobiliser à nouveau les Arabes, Etats et peuples, ainsi que l'opinion internationale, en soutien à l'initiative palestinienne. Ces tâches ne sont pas vitales pour les seuls Palestiniens. Il y va de l'avenir des Arabes et du monde. Elias Sanbar, Farouk Mardam-Bey