Trois qualificatifs semblent résumer la campagne électorale de la présidentielle algérienne en France : indifférence, opportunisme et régionalisme. Cela est clairement visible dans la région parisienne, «capitale» de la communauté algérienne dans l'Hexagone. Paris De notre correspondant En deux semaines de mobilisation, les différentes permanences n'ont pas réussi à susciter l'intérêt des Algériens de France pour le rendez-vous du 17 avril. Une bonne partie des milliers de tracts à l'effigie des candidats, ou plutôt de deux candidats, a fini dans les poubelles. Les quelques traces vraiment visibles de cette campagne électorale sont les affiches de Bouteflika et de Benflis, collées côte à côte sur les murs dans plusieurs quartiers populaires à forte concentration d'immigrés algériens : Saint-Denis, Bobigny, porte de la Chapelle, Barbès, etc.Les citoyens algériens résidant en France, notamment les jeunes, ont montré une indifférence quasi unanime par rapport au scrutin. Le refus anticipé d'une éventuelle réélection du président-candidat n'est pas leur seule motivation. «Les jeux sont faits d'avance» «Cette élection est un non-événement pour moi. Elle ne va rien changer dans notre vie ni dans notre avenir. Les jeux son faits d'avance en faveur de Bouteflika. Et même si l'autre (Benflis, ndlr) passe, il ne va rien faire de mieux. C'est un fils du système, il prône la continuité de ce régime… Donc je ne voterai pas et je me fiche de qui l'emportera», affirme Karim, un étudiant à l'université Paris 8. D'ailleurs, cette position est celle pratiquement adoptée par l'Union des étudiants algériens de France (UEAF) qui conteste cette élection et revendique le départ de «tout le régime» par une voie «unitaire» et un «changement démocratique et pacifique». A Barbès, où se trouvent face à face des permanences de Bouteflika et de Benflis, des concitoyens s'expriment. Dès qu'ils aperçoivent des représentants de médias français ou algériens, leurs langues se délient. «Ce ne sont que des opportunistes qui défendent leurs intérêts. Je ne peux pas voter pour ces gens-là», affirme un retraité des chemins de fer. «Les militants de Bouteflika n'ont aucun scrupule à venir nous demander nos voix alors que nous avons fui le pays à cause de la misère et du chômage… Ehechmou (honte à vous) ! Je ne peux même pas voter», réplique un clandestin, vendeur à la sauvette. Sur le terrain, la vie des militants menant la campagne électorale n'est pas aussi facile qu'on pourrait l'imaginer. Ils sont traités de tous les noms : «Vendus», «Hypocrites», «Cheyatine (lèche-bottes)» ou «Larbins du système». Un certain sentiment de gêne a été même ressenti chez un militant pro-4e mandat dans la permanence de Bouteflika à la porte de la Chapelle. Il refuse de se présenter et de justifier son soutien au programme du président-candidat destiné à la communauté algérienne : «Je suis un militant d'un parti X qui soutient Bouteflika, je ne veux pas répondre à vos questions. Il faut appeler le directeur de la campagne en France», s'est-il défendu. A l'intérieur, une dizaine de personnes, dont plusieurs vieilles femmes, visionnent sur un écran LCD des documentaires et des écoutent des chansons à la gloire de Abdelaziz Bouteflika. Un député FLN originaire de Tlemcen, qui se présente comme ancien membre du MALG, récite un argumentaire paternaliste, vidé de toute logique politique, afin de rectifier les remarques «maladroites» mais sincères des femmes interrogées. Avec un accent oranais accrocheur, elles ont évoqué «la misère et le chômage qui poussent les jeunes Algériens à immigrer en France même clandestinement». En même temps, elles ont salué «la stabilité et le retour de la sécurité grâce au Président» qui leur aurait promis «des logements en Algérie». Celle qui a évoqué la dernière promesse vit en France, avec toute sa famille, depuis 35 ans ! Lors d'un meeting en faveur du candidat Benflis, animé par Karim Younès à Paris, rue de la Chapelle, 200 à 300 personnes ont exprimé leur «confiance que le 17 avril soit une fête nationale». Elles n'ont néanmoins scandé des slogans anti-Sellal. Dès la prise de parole du conférencier, un militant l'a interrompu en langue chaouie «pour répondre à l'insulte de Sellal». «Les billets, les billets !» Sur le fond, le programme de Benflis pour la communauté algérienne n'est pas vraiment différent de celui de son rival. Beaucoup de militants interrogés ne «reprochent» à Bouteflika que son état de santé. «Nous avons soutenu Bouteflika dans le passé. Pour le 4e mandat, ce n'est pas que nous avons des griefs contre lui, mais c'est juste qu'il est très malade. Nous ne pouvons pas soutenir un candidat qui ne peut pas parler. Aujourd'hui, à part Benflis, je ne vois pas un autre candidat pouvant diriger l'Algérie et assumer la responsabilité et la charge de la Présidence», indique Amar Mahmoudi, jeune chef d'entreprise, qui ajoute : «La seule différence entre les deux, c'est la justice. Benflis, qui était avocat, peut vraiment réformer la justice algérienne.» A la sortie de la salle ABC qui a accueilli cette rencontre, une passante algérienne d'une quarantaine d'années, sympathisante du FIS dissous, nous interpelle : «Ce sont tous des pourris, des hypocrites, qui ont mangé tous les biens du pays. Ce sont des ennemis de Dieu et de l'islam. Je ne voterai jamais pour eux.» A la porte Maillot, dimanche dernier, la salle du sous-sol du luxueux hôtel Méridien a accueilli le dernier meeting de l'équipe de Bouteflika en France, animé par Benyounès et Ghoul. Descendant des bus qui les ramenaient de plusieurs départements français, les supporters du président-candidat étaient munis de drapeaux, posters et casquettes, sans oublier les packs de nourriture offerts aux dizaines de femmes et enfants. A l'intérieur de la salle, l'alpha et l'oméga pour les présents est le prix des billets d'avion vers l'Algérie. Ils n'arrêtaient pas de crier : «Les billets, les billets…» Visiblement agacé, Ghoul les rassure : «Ce problème sera définitivement pris en charge.» En face de l'hôtel quatre étoiles et à l'intérieur même de la salle, les anti-Bouteflika ont dénoncé le «gaspillage de l'argent public» et les «voleurs qui se prennent pour des patriotes».