Directeur général de Lafarge-Algérie, Luc Callebat évoque dans cet entretien le conflit social au sein de la cimenterie d'Oggaz, ainsi que la stratégie de développement de la filiale algérienne du cimentier français. -Beaucoup d'encre a coulé à propos du mouvement social qui a touché la cimenterie d'Oggaz. Pourriez-vous revenir sur ce conflit qui persiste encore ? Il y a deux sujets distincts. L'un qui touche le social et l'autre qui touche les conséquences d'actes disciplinaires. Si l'on prend le volet social, Lafarge, Algérie, société algérienne qui emploie 2600 collaborateurs algériens, bénéficie du développement d'une politique sociale qui, à cette échelle et pour une entreprise industrielle en Algérie, tend à être unique : grille de rémunération spécifique et favorable, politique de formation, fonds de roulement pour prêts sociaux, première nationale en termes de mutuelle santé pour les familles de tous les collaborateurs/employés, politique de santé et sécurité, etc. Cette politique sociale est reconnue, un signe en est le nombre croissant de jeunes Algériens qui nous appellent : nous avons ainsi reçu un nombre record de CV à la Foire de l'emploi l'an dernier. Nous avons de plus en plus d'Algériens diplômés en Algérie et de l'étranger qui frappent à la porte de notre entreprise, qui voient la réalité de ce qui se fait, nos valeurs, notre dynamisme et la qualité de la politique sociale. J'étais encore à la cimenterie d'Oggaz la semaine dernière où j'ai pu constater la qualité du climat social et l'aspiration des équipes à la quiétude sociale. Et ça c'est la réalité de que l'on vit avec une politique basée sur des valeurs, le dialogue et l'ouverture. Sur une entreprise de cette taille-là, vous pouvez avoir, et malheureusement cela a été le cas, une minorité de personnes qui ont commis des actes contrevenant au droit du travail, et tombent sous le coup de sanctions disciplinaires. On ne peut que le regretter. Mais cela arrive dans tous les pays et les sociétés. Cela a été le cas de façon particulièrement préoccupante en décembre puisqu'une quinzaine de personnes ont commis des actes délictueux graves, compromettant l'intégrité physique de cadres et des dommages industriels dont le coût pour l'entreprise a été important. Il y a aussi un coût sociétal puisque nous sommes sur une industrie stratégique pour l'Algérie, pays en croissance, où il y a un besoin de matériaux de construction. Quelqu'un qui contrevient à la liberté génère un coût pour la société. Ces personnes ont commis des actes délictueux graves. Nous avons dû prendre des décisions conformément au règlement intérieur. Aucune société au monde ou en Algérie ne peut laisser la sécurité physique de ses collaborateurs ou la sécurité d'outils industriels menacées par des actes graves d'une infime minorité de personnes. De surcroît, les tentatives de négociation et de médiation successives, prises en coopération avec les autorités locales et les autorités syndicales, ont été rejetées par ces personnes qui ont refusé la main tendue, notamment des commissions des wilaya. Il y a un moment où une telle intransigeance laisse peu de choix à l'entreprise, aux autorités de la wilaya et aux autorités syndicales. Ceci ne doit pas cacher la réalité sociale de l'entreprise, conforme aux valeurs de notre groupe, et qui est en train de développer un modèle reconnu par tous ceux qui travaillent chez nous et voudraient y travailler. -Les grévistes maintiennent toujours leurs revendications, à savoir, entre autres, la réintégration et la cessation des poursuites pénales... Nous avons une responsabilité vis-à-vis de nos 2600 employés/collaborateurs nationaux. Nous leur devons un climat social apaisé conforme à leurs attentes, le respect des règles et du droit, et nous avons aussi une responsabilité vis-à-vis du marché de la construction où il y a une demande croissante pour répondre rapidement à l'urgence des besoins. Nous avons la responsabilité de ne pas laisser des actes irresponsables se reproduire. Il y a une communion de vues sur ce fait de la part des employés, sous-traitants et des communautés locales ; seul un petit nombre de personnes, qui pour des raisons qui nous échappent, et que nous regrettons, utilisent ces personnes à des fins personnelles. -Aujourd'hui, la médiation est-elle rompue ? Par deux fois, ces personnes ont rejeté la médiation de la commission de wilaya. Malgré les questions que d'aucuns se posent sur leur mouvement, nous leur avons apporté un suivi quotidien dès le premier jour conformément à nos valeurs. Nous avons assumé nos responsabilités vis-à-vis de nos collaborateurs et cherché des issues à cette situation, mais, une fois encore, les médiations des commissions de wilaya ont été refusées par ces personnes. -Le groupe Lafarge Algérie compte renforcer ses capacités de production avec l'entrée en production d'une nouvelle cimenterie à Biskra. Peut-on avoir plus de détails sur ce projet ? Nous sommes engagés sur un projet, celui de la nouvelle cimenterie de Biskra, précisément à Djemoura au travers de la société Cilas, dans le cadre d'un partenariat 51/49. Nous y apportons à travers une délégation de gestion, tout le savoir-faire Lafarge. Le projet bénéficie de toutes les autorisations, l'essentiel des contrats a été signé et en voie d'être mis en vigueur. Le terrassement est en cours et le démarrage de la construction est imminent. La mise en service progressive est confirmée entre 2015 et 2016. Le projet doit générer 600 emplois permanents et représente un investissement de plus 30 milliards de dinars. Cette cimenterie aura la particularité d'être la plus innovante et moderne que le groupe Lafarge aura contribué à réaliser, notamment en matière environnementale. Nous sommes ainsi particulièrement attachés à l'empreinte environnementale de cette usine dans une région connue pour son activité agricole. Les recrutements ont déjà commencé et nous sommes engagés dans la formation sur les 24 mois prochains de façon à ce que les équipes qui prendront les commandes de cette cimenterie soient, dès le premier jour, parfaitement opérationnelles aux meilleurs standards que le groupe Lafarge puisse garantir. -Lafarge a signé fin 2013 un contrat de performance environnementale pour la co-incinération des médicaments périmés stockés avec le Syndicat national des pharmaciens d'officine et le ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement. Quelle est la contribution de votre entreprise dans ce projet-pilote ? Nous sommes effectivement engagés en étroite coopération avec le ministère de l'Environnement dans cette initiative qui vise à permettre l'incinération dans les cimenteries des déchets. Lafarge possède, et c'est ce que nous apportons, un savoir-faire reconnu en la matière. Un certain nombre de cimenteries fonctionnent avec plus de 90% de leur combustible constitué par des déchets : pneus, plastiques broyés, etc. Ces déchets peuvent se substituer à des fiouls solides ou du gaz utilisés dans les fours des cimenteries. Ces déchets représentent dans le cas de l'Algérie plusieurs intérêts. Le premier est d'économiser une source d'énergie qui est le gaz, source d'exportation. Cela permet d'optimiser l'empreinte environnementale de ces cimenteries et offre aussi une solution pour les déchets pour lesquels il peut ne pas y avoir des solutions faciles en termes de traitement aujourd'hui. C'est le cas des médicaments usagés qui font l'objet du contrat que nous avons signé, et dont l'incinération démarre à Oggaz. Et cela permet d'avoir un impact positif sur la création d'emplois puisque cette incinération génère la création de filières de tri, de collecte et de préparation pour qu'ils puissent être incinérés dans les cimenteries et se substituer aux combustibles classiques.Notre savoir-faire réside dans la connaissance de déchets et des processus industriels pour développer et utiliser un combustible alternatif avec des impacts environnementaux et sociaux très positifs pour le pays. -Lafarge-Algérie couvre actuellement 40% des besoins du marché du ciment. Quelle est votre stratégie pour augmenter vos parts de marché, notamment face à la rude concurrence du groupe public, GICA ? En matière de production de ciment, au mieux de nos estimations, nous pensons détenir un tiers de la production de ciment consommé dans le pays. Au-delà de l'investissement sur le long terme, que nous avons engagé par exemple avec la cimenterie de Biskra, notre contribution sur le marché est vraiment incarnée par l'innovation au service de la construction. Je citerai l'ouverture du laboratoire de la construction, le quatrième au monde. Il représente ce que l'on pense pouvoir apporter en termes de valeur supplémentaire sur le marché de la construction, selon notre signature, au service de la construction de villes meilleures. Nous avons identifié sur ce marché la valeur que les systèmes constructifs ou matériaux innovants peuvent apporter pour construire des villes plus durables, plus compactes, plus esthétiques. Nous sommes engagés sur le développement du béton, avec la mise sur le marché de 6 à 10 nouveaux produits tous les ans. Nous sommes engagés sur un effort qui vise à prendre en compte les attentes des différentes parties prenantes de la construction, et développer la production des matériaux permettant de répondre à ces attentes, diversifier les gammes de produits qui permettent de construire plus vite, à coût abordable, plus esthétique et plus facilement. Nous produisons par exemple des bétons perméables, des bétons autoplaçants permettant une construction plus rapide, des bétons à haute performance, etc. Pour résumer, nous avons trois axes d'investissement : le premier touche à la production. Nous avons une responsabilité de suivre la croissance et d'adapter nos productions, ce que nous faisons. Le second axe est de contribuer à ce que les produits que nous mettons sur le marché y soient accessibles aux consommateurs finaux à un prix abordable. Ceci passe par une professionnalisation de la distribution d'où par exemple l'initiative de lancer l'enseigne Batistore l'année dernière, premier supermarché des matériaux de construction, et qui compte déjà une dizaine d'adhérents. Le troisième axe touche à l'innovation, au développement des gammes de produits et systèmes constructifs qui permettent de concourir à la réalisation de villes meilleures. Demain, la différenciation se fera beaucoup plus au travers de l'innovation, à apporter des solutions aux utilisateurs finaux qui correspondent à leurs attentes, qu'à produire quelques sacs de ciment de plus. -Nombre d'entreprises étrangères ou algériennes se plaignent constamment d'un climat peu propice aux affaires en Algérie. Quelle est votre appréciation à ce sujet ? Lafarge en Algérie depuis cinq ans aura doublé sa production dans toutes ses lignes produits, elle aura aussi investi près de 30 milliards de dinars. Elle aura innové dans la distribution, ses gammes de produits et dans les services. C'est une forme de réponse à votre question. Par ailleurs, dans tous les pays du monde, les opérateurs économiques peuvent avoir un rôle de proposition dans l'évolution de l'environnement des affaires. Pour ceci, il y a des instances patronales qui sont les relais naturels des aspirations de ces acteurs économiques, et elles me paraissent remplir cette mission. Je pense que l'évolution de Lafarge depuis cinq ans est une bonne illustration de ce que nous nous réjouissons de l'environnement dans lequel nous travaillons et des possibilités qui nous sont offertes d'investir sur le long terme, au service du marché de la construction. Nous avons une conviction forte sur le potentiel du marché national et nous sommes conscients de la responsabilité que nous avons d'y apporter des solutions et de mettre notre savoir-faire au service de ce secteur. -Les cimentiers Lafarge et Holcim ont conclu récemment une mégafusion. Quel sera son impact sur sa filiale algérienne ? Le projet de fusion entre Lafarge et Holcim, à ne pas confondre avec une acquisition, donnerait naissance à un groupe à l'avant-garde de l'industrie des matériaux de construction. Ce nouveau groupe permettra d'enrichir l'offre à nos clients en Algérie ou ailleurs dans le monde avec une gamme unique de produits et de services répondant à une demande en pleine évolution et aux défis de l'urbanisation croissante. Ce mariage est aussi de nature à renforcer voire accélérer la réalisation par Lafarge de ses engagements pris en Algérie, et offre des opportunités élargies aux collaborateurs algériens du groupe. A ce stade, c'est un projet approuvé par les deux conseils d'administration et dont la finalisation est attendue au premier semestre 2015.